La métropolisation est-il un concept pertinent ?
Dans leur article intitulé « On voit des métropoles partout, sauf dans le statistiques », Olivier Bouba-Olga et Michel Grosseti remettent en cause la pertinence du concept de métropolisation. Si nous ne voulons aucunement prendre parti dans ce débat, l’impossibilité d’obtenir une réponse de Laurent Davezies à ce propos et l’approfondissement de nos recherches nous a néanmoins interrogé sur les multiples sens de ce concept.
Il existe en effet un véritable enjeu autour de la définition de la métropole dans la mesure où ce terme ne renvoie pas toujours à la même échelle géographique ou au même objet juridique. A l’occasion d’entretiens notamment, cette importance lexicale nous a régulièrement été spécifiée. En effet, les sens multiples de ce concept peuvent engendrer des analyses tout à fait divergentes selon la définition de départ. Ainsi le terme de « métropole » ou de « métropolisation » a pu nous apparaître également comme un mot-valise n’ayant pas nécessairement d’équivalent en dehors de la France. Cette particularité mais surtout le manque de précision statistique de cette notion est un des arguments d’Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti qui plaident pour l’abandon de cette notion en économie.
Faut-il abandonner le concept de métropole ?
Claude Lacour, en 1999, s’interrogeait déjà sur la diversité des définitions de la métropolisation ou de la métropole. Perplexe, ce dernier se demandait si cette diversité était une évidence de la richesse de ce concept… ou de sa pauvreté. Au cours de nos recherches nous avons plusieurs fois pu saisir un certain scepticisme contenu principalement dans deux assertions d’Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti :
1- Une notion aux « contours un peu flous »
La métropolisation est une notion aux aspects multiples et aux contours un peu flous qui associe, entre autres, des constats démographiques (l’urbanisation, la croissance des villes en général), des considérations sur la mondialisation (avec la notion de « ville globale » proposée il y a 25 ans par la sociologue et économiste Saskia Sassen) et des théories économiques sur les effets sur l’innovation de la concentration et de la diversité des populations. Beaucoup d’auteurs défendent l’hypothèse selon laquelle les grandes villes sont plus productives car elles permettent plus d’innovation grâce à la taille et la diversité de leur population. Elles établissent entre elles des échanges qui dessinent un réseau (un « archipel » pour reprendre l’expression de l’un de ces auteurs, Pierre Veltz) qui se dissocie des autres territoires. Cette thèse est devenue une sorte d’évidence pour de nombreux auteurs : « It is well known that, in many countries, the economic productivity of a city increases with its size » écrivent des experts de l’OCDE dans une publication récente.
Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti
2- Une « croyance » idéologique et non-empirique
Nous aurions pu ajouter d’autres croyances du même genre, par exemple sur les effets de la mondialisation et le supposé effacement des contextes nationaux. Il existe en fait un réseau de croyances de ce type, dont aucune n’est sérieusement fondée empiriquement, mais qui, prises toutes ensemble, constituent un système qui s’est imposé dans de nombreux milieux scientifiques et politiques et guide de nombreuses décisions. Ce système s’est diffusé de façon d’autant plus large qu’il s’adosse à des valeurs politiques.
Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti
Un terme-valise
L’utilisation du logiciel Europresse aurait dû nous aider à cerner le cadre de notre sujet, il nous a plutôt permis de le remettre en question.
En effet, la récurrence du terme « métropolisation » ou « métropol* » indique vraisemblablement une utilisation vague voire abusive de ces notions dans la presse française. L’ampleur des résultats obtenus dévoile dans le détail des articles aux thématiques éloignées : s’il est question à certains moments de la création des métropoles dans le cadre de la loi MAPTAM, on retrouve également des articles sur l’étalement urbain dans les campagnes ou bien encore… le forum Smart City se tenant à Toulouse le 16 décembre 2014.
La graphique ci-dessous rend bien compte de la variété des thématiques s’apparentant à la « métropolisation » ou à la « métropole ».
Si l’objet est vague et utilisé peut-être à tort et à travers, nous avons néanmoins noté que son utilisation était massive en 2014 et 2015 au moment de l’élaboration des lois MAPTAM et NOTRe.
Pour autant, il n’était toujours pas question de débats sur l’intérêt ou les apports de la métropolisation, ces derniers semblant laisser de marbre la sphère médiatique. Nous avons donc décidé de resserrer notre sujet sur des enjeux spécifiques de définitions, ou pour être plus précis de mesure des effets de la métropolisation, ce qui constitue un enjeu dans le contexte français où la métropolisation est encouragée politiquement.
Dès lors, nous retombions sur les quelques articles mentionnant les acteurs de notre controverse : Laurent Davezies et Thierry Pech, et plus rarement Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti.
Un concept franco-français ?
Si la recherche Europresse a pu pointer le flou autour de la définition du phénomène de métropolisation, la recherche Scopus, cantonnée aux articles scientifiques, n’a pas nécessairement contredit cette première impression. En effet le terme de métropolisation semble être utilisé par de nombreux chercheurs dans des contextes assez différents. Mais plus encore, nous avons été frappés par le fait que nous n’obtenions que des résultats en français. Et pour cause, la « métropolisation » comme processus n’a pas d’équivalent en anglais. On peut en fait le traduire de diverses façons, mais elles ont toutes déjà une traduction en français :
- Global cities : villes globales ou villes mondiales
- Urban sprawl : étalement urbain
- Urbanisation : urbanisation
- Increase in the urban population : accroissement de la population urbaine
- …
Finalement, le terme « métropolisation » semble bel et bien un mot-valise qui se décline en différentes composantes dans la langue de Shakespeare. En revanche, dans chaque langue le terme de métropole existe. Cependant il ne désigne toujours qu’une grande ville. Mais ni la taille, ni la population ne sont a priori des conditions suffisantes pour caractériser une métropole. Par ailleurs, le choix des études de cas de métropoles d’un pays à l’autre peut interroger sur la portée de cette notion : Nantes et Shanghaï seraient deux métropoles, mais la comparaison paraît absurde tant leurs caractéristiques semblent différentes. Ainsi la métropolisation mérite également d’être pensée dans un cadre national bien précis, ceci ajoutant encore du flou à notre entreprise de définition.
Une définition par les géographes
En géographie sociale et humaine, la métropole est bien définie, de façon assez large néanmoins. Elle est généralement pensée comme un ensemble urbain de grande importance qui exerce des fonctions de commandement, d’organisation et d’impulsion sur une région. Elle anime un système urbain plus ou moins complexe à la hiérarchisation emboîtée. Ses services à forte valeur ajoutée irriguent une aire plus ou moins vaste selon les échelles considérées, de l’espace régional à l’espace mondial. Elle est généralement dotée de fonctions spécialisées.
Une définition statistique ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y a pas de définition statistique des métropoles ! En effet l’INSEE n’a jamais proposé de cadre méthodologique pour appréhender un tel objet. Si l’organisme statistique définit la ville, l’agglomération, l’aire urbaine ou encore l’unité urbaine, il n’est pas question de métropole. Dès lors, quand des économistes utilisent le terme « métropole », ils se fondent nécessairement sur une des échelles statistiques préalables. Cependant, la maille géographique est tout à fait dissemblable : il peut exister un rapport d’échelle de 1 à 8 entre la ville et l’unité urbaine. Par ailleurs, si l’aire urbaine demeure très utilisée par les différents analystes, l’INSEE ne calcule pas pour cet objet le nombre d’emplois ou le taux de chômage. Ceci explique le recours courant à la « zone d’emploi » et donc des difficultés pour élaborer des calculs cohérents par rapport à l’échelle choisie.
Une première difficulté lorsque l’on veut discuter de cette question, est que la métropole n’est pas une notion clairement définie, pour laquelle existerait une catégorie statistique partagée par les chercheurs, qui permettrait d’étudier ensuite sa performance relative. On comprend qu’une métropole est une « grande ville », mais définir un seuil est particulièrement problématique, problème que l’on retrouve par ailleurs dès lors que l’on veut travailler sur une autre catégorie tout aussi floue, celle de « ville moyenne ». Pour démontrer l’éventuel avantage économique des métropoles, il convient donc de s’en remettre aux zonages existants, comme les régions, les zones d’emploi ou les aires urbaines.
Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti
Une définition juridique
Depuis la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 et l’article L. 5217-1, « La métropole est un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant plusieurs communes d’un seul tenant et sans enclave au sein d’un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d’aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d’en améliorer la cohésion et la compétitivité et de concourir à un développement durable et solidaire du territoire régional. » La métropole est donc un EPCI (Etablissement Public de Coopération Intercommunale) de droit commun de plus de 400 000 habitants situés dans une aire urbaine peuplée de plus de 650 000 habitants.
Plusieurs villes ont donc accédé à ce statut légal :
- Trois métropoles à statut particulier : Paris, Marseille, Lyon
- Dix métropoles de droit commun : Toulouse, Lille, Nantes, Bordeaux, Nice, Rennes, Strasbourg, Rouen, Grenoble, Brest.
En faisant référence à l’EPCI et à l’aire urbaine, la loi a retenu deux notions : une notion politique et une notion statistique.
Pour continuer la balade urbaine, et prendre connaissance de l’historique de la métropolisation, nous vous invitons à lire la page Quel historique de la métropolisation ?