Un premier pas vers le communautarisme ?

Parlons communautarisme ! Y a-t-ils des groupes identitaires forts basés sur les langues régionales qui menacent l’unité française ?

Toujours dans cette peur de la divisibilité de la France [1], les politiques français (par exemple Najat Vallaud-Belkacem à propos des langues d’origine [2] enseignées dans les filières ELCO [3]) ont peur que l’apprentissage d’une langue autre que le français crée des communautés repliées sur elles-mêmes. Ces communautés créeraient des groupes hermétiques qui auraient un sentiment d’appartenance à leur groupe plus qu’à leur pays (ici la France).

La possibilité d’une dérive religieuse dans l’enseignement de ces langues régionales renforce cette peur du communautarisme [3]. Cette association entre langue régionale ou d’origine (tout du moins une langue différente du français) avec la religion n’est pas nouvelle. En effet, le breton a été associé depuis longtemps à des mouvements royalistes et catholiques, que ce soit avant ou après la Révolution Française [4]. Dans certains cas cette association entre langue régionale et religion est infondée comme l’a dit Yann-Ber Piriou lors d’un entretien :

«J’avais même donné à l’époque, je m’en souviens, les écoles Diwan en modèle, parce que les écoles Diwan se refusaient et se refusent à être des écoles confessionnelles.»

Dans certains cas, les mouvements de repli identitaire s’appuient sur la langue régionale concernée pour faire passer des messages, parfois xénophobes et racistes. En Corse, par exemple, on peut trouver sur les murs des inscriptions comme «Arabi fora» («Arabes dehors»), parfois aux côtés de «I Francesi fora» («les Français dehors») [5]. Mais ce repli n’est pas toujours xénophobe et raciste. Il est parfois juste présent comme un état de fait entre deux cultures et deux identités séparées par la barrière de la langue. Et dans un contexte monolinguistique imposé,

«Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France.

Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et du service public.» [6]

certains acteurs (ici les instituteurs) ont enseigné le français aux jeunes bretons dans «l’intention de les libérer» [7]. Cette mise à l’écart est présente encore aujourd’hui, comme nous le présente Yann-Ber Piriou :

«Est-ce que vous vous ressentez mis à l’écart en tant que locuteur breton, vecteur de cette histoire, cette culture ? – Ah oui. Énormément. »

 

Nous avons vu que le communautarisme autour des langues régionales existe à différentes échelles (allant de la simple fierté à un repli identitaire xénophobe et raciste en passant par une marginalisation). Quelles actions le gouvernement pourrait-il entreprendre pour lutter contre cette situation ?

Tout d’abord, il faut qu’il soit conscient des acteurs en place. En effet, en Corse il faut distinguer deux types de population qui sont en proportion inégales, d’un côté les Corses mesurés dans leur identité corse, et de l’autre les Corses séparatistes qui exacerbent cette identité corse [5]. Toute la population corse est loin d’être dans le repli identitaire xénophobe et raciste présenté ci-dessus. Pour Philippe Blanchet, il existe plusieurs degrés d’intérêt pour la langue régionale, allant du «locuteur actif» [9] au «locuteur symbolique» [10] qui est attaché à la présence de la langue régionale dans la société sans pour autant la parler. Selon lui, une politique qui ne ciblerait que les locuteurs actifs «enfermerait la langue sur un seul sous-groupe, aujourd’hui minoritaire, de ses locuteurs » [11], ce qui accentuerait la marginalisation de la langue. De plus, les langues régionales sont vecteurs d’unité avec autrui de par leur caractère transfrontalier :

«Ces langues sont constitutives de l’identité européenne et emblématiques d’une communauté faisant fi des frontières.» [8]

Apprendre une langue régionale permettrait de bâtir des ponts culturels et linguistiques avec les pays voisins [9].

 

Pour certains le communautarisme peut aller jusqu’aux revendications régionales. Mais ce mécanisme est plus complexe que ce qu’on pourrait penser au premier abord…


[1] Constitution française, 1958

[2] Enseignements de langue et de culture d’origine (ELCO), 2016

[3] Collas A. Les enseignements de langues d’origine vont disparaître, Le Monde, 2016

[4] Mendel K.  Regional Languages in France: the case of Breton, 2003

[5] Boissieu L.,  Dossier. C’est quoi être Corse ?, La Croix, 2003

[6] Loi Toubon, 1994

[7] COLOMBANI, II. – Un combat ambigu, Le Monde, 1975

[8] LAVAUD,  Les langues régionales de France et le désir d’Europe, Sud Ouest,2009

[9] VIGIER,  L’occitan au tableau noir, Sud Ouest, 1998