Peut on définir une seuil de dangerosité pour les perturbateurs endocriniens ?
La gestion de risques est au cœur du débat soulevé par les perturbateurs endocriniens. La définition d’un seuil de dangerosité pour ces substances est une des problématiques qui divisent les acteurs de cette controverse.
Comme beaucoup d’autres scientifiques,le chercheur B., partage le point de vue de la Commission Européenne. Celle-ci considère qu’il est très complexe de fixer un seuil de tolérance pour les perturbateurs endocriniens. Tout d’abord, l’impact de ces substances ne dépend pas linéairement de la dose ingérée, puisque celles-ci peuvent également présenter des effets à faible dose. L’OMS en a mentionné certaines dans son rapport de 2012, parmi lesquelles figurent des pesticides (DDT, Chlordane, Heptachlore), mais également la dioxine ou la nicotine. Pour d’autres perturbateurs endocriniens, pouvant par exemple présenter des effets cancérigènes, l’effet est même immédiat.
Selon le chercheur de l’INSERM, il faut également garder à l’esprit l’impact de l’effet cocktail : Comment définir un seuil de dangerosité par substances alors que celles-ci agissent systématiquement en groupe, d’autant plus qu’on ne connaît qu’une parcelle des possibles combinaisons de perturbateurs endocriniens ?
Dans son rapport d’information sur les perturbateurs endocriniens publié en 2014, Jean-Louis Roumégas, député de l’Hérault, semblait tout aussi sceptique : « Ce n’est pas la dose d’exposition qui fait le poison, mais la période d’exposition. » L’OMS était même allée plus loin en 2012, affirmant l’impossibilité de fixer de tels seuils : « because endogenous hormone levels fluctuate, no threshold can be assumed. »
Néanmoins, tous les scientifiques ne sont d’accords, et beaucoup insistent sur la nécessité d’introduire ces seuils de dangerosité.
En 2013, un groupe de scientifiques a ainsi adressé une lettre à Anne Glover, conseillère scientifique du président de la Commission Européenne. Ce groupe d’experts ne remet pas en cause les difficultés soulevées par la définition de seuils de tolérance. Toutefois, la mise en évidence de seuils constitue selon eux un pilier de toute démarche scientifique. Il serait donc d’autant plus regrettable d’y renoncer dans le cadre des perturbateurs endocriniens que beaucoup de chercheurs s’y emploient : « If the Commission will adopt a policy stating that it is impossible to define a safe limit or threshold for a substance with classified as endocrine disruptor, this would reverse current scientific and regulatory practices and, more importantly, ignore broadly developed and accepted scientific development and accepted knowledge regarding thresholds of adversity. » une Dose Journalière Admissible (DJA) a déjà été mise en vigueur par l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) pour réguler la consommation de Bisphénol A.
Quel position adopter vis à vis du risque engendré par ces substances ?
Au-delà de la possibilité d’établir de tels seuils de dangerosité, ce sont les mentalités divergentes vis-à-vis du risque qui sont au cœur du débat.
Parmi les différents acteurs, la journaliste que nous avons interrogée ainsi que les ONG Générations Cobayes et Générations Futures sont averses au risque. Selon eux, il s’agit avant tout d’appliquer le principe de précaution : Toute substance potentiellement dangereuse est à proscrire, car il faut privilégier la santé aux intérêts économiques. Certaines alternatives, comme le biologique, existent déjà, mais il convient surtout de sensibiliser davantage la population de ces risques qui ne sont pas connus de tous.
Cette position ne fait toutefois pas l’unanimité. La FNSEA est consciente des risques induits par certains perturbateurs endocriniens. Néanmoins, elle dénonce la crainte systématique du risque, et en préconise davantage une politique d’adaptation, de contrôle. Selon elle, il est dommageable de remettre en cause l’usage des perturbateurs endocriniens tant que ceux-ci n’ont pas été certifiés comme étant dangereux. Cette attitude serait d’autant plus dangereuse que les craintes autour des perturbateurs endocriniens peuvent être alimentées par les médias, parfois jugés trop alarmistes.
Sources :
- WHO/UNEP (2012) State of the science of endocrine disrupting chemicals. Repéré à http://www.who.int/ceh/publications/endocrine/en/
- Assemblée Nationale. Commission des affaires européennes. (2014) Rapport d’information sur la stratégie européenne en matière de perturbateurs endocriniens. Publication n°1828. Repéré à http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i1828.asp
- Dietrich, DR., Aulock, Sv., Marquardt, H., Blaauboer, B., Debank, W., Kehrer, J. … Hengstler, J. (2013) Scientifically unfounded precaution drives European Commission’s recommendations on EDC regulation, while defying common sense, well-established science and risk assessment principles.Toxicology Research,2, 297-298. Doi : 1039/C3TX90013D