8 – Régulation européenne

« Perturbateurs endocriniens : nouvel échec de Bruxelles », « Perturbateurs endocriniens : la Commission européenne bute encore sur une définition », « La Commission européenne renonce à définir les perturbateurs endocriniens » sont des exemples de titres d’articles publiés par Le Monde, Le Parisien ou encore le Huffington Post. Ils mettent en avant l’échec de la Commission européenne à se mettre d’accord sur une définition des perturbateurs endocriniens et donc par la même occasion de mettre en place une législation. Or, comme nous l’a expliqué L., chercheur en toxicologie moléculaire, la Commission européenne est « le fer de lance, celle qui impose les premières contraintes. Les Etats peuvent ensuite aller au-delà mais cette base européenne est nécessaire ».

 

Qu’a fait la Commission européenne jusqu’à aujourd’hui ?

(Pour plus de détails sur la chronologie de la régulation européenne : cf Chronologie)

Comme nous l’a confié B.,un chercheur de l’Inserm, la réglementation européenne est déjà bien avancée et de nombreux textes font référence aux perturbateurs endocriniens. Globalement, cette réglementation européenne a commencé en 1999. De nombreux règlements voient alors le jour (REACH en 2006, sur les pesticides en 2009) mais aucun ne mentionne une définition claire des perturbateurs endocriniens. Une définition est alors exigée en 2013 mais la Commission repousse la date et n’en publie aucune. Ce comportement est donc condamné par la Suède en 2014. En 2016 et en 2017, la Commission propose une définition qui déçoit tant des ONG que des scientifiques, ces-derniers évoquant un « désastre » (d’après Alliance, Santé et Environnement). Il devait y avoir un vote le 28 février dernier mais ce dernier n’a pas eu lieu, faute de soutien suffisant aux critères proposés.

 

Pourquoi ces propositions déçoivent-elles, alors que le président de la Commission Jean-Claude Juncker se félicitait de pouvoir devenir le premier système réglementaire dans le monde à définir ces critères scientifiques sur le plan législatif ?

«D’un point de vue strictement scientifique, la définition est la bonne.» affirme René Habert, professeur à l’université Paris-Diderot et spécialiste de toxicologie de la reproduction mais, comme nous l’a expliqué L., pour pouvoir réguler efficacement les perturbateurs endocriniens, il est nécessaire d’adopter une classification à plusieurs niveaux. Pour reprendre la métaphore de René Habert, «C’est un peu comme si on se trouvait dans un système routier avec seulement des feux verts ou rouges mais pas oranges.». Cela signifie que cette définition est trop étroite. De plus, en remplaçant le terme « exposition » par le terme « risques », des chercheurs comme Rémy Slama ont peur de tomber dans une problématique de gestion de risques où il faudrait mener toute une étude d’évaluation des risques avant de pouvoir interdire des produits. Enfin, elle ne prend en compte que les produits ayant un impact avéré sur l’Homme. Or, comme nous l’a expliqué un chercheur de l’Inserm, d’une part le niveau de preuve demandé (pour être sûr d’avoir un impact avéré) est beaucoup trop élevé et, d’autre part, un certain nombre de produits sont d’abord identifiés comme toxiques sur les animaux bien avant d’avoir un effet avéré sur les Hommes.

 

Quelles sont les raisons de ces retards multiples ?

S., journaliste indépendante, évoque le rôle des industriels qui utilisent des moyens de pression pour retarder le plus possible les législations. Quant à un chercheur de l’Inserm que nous avons interviewé, il dénonce le fait que la Commission européenne cherche des excuses en prétextant des problèmes scientifiques : pour lui, la communauté scientifique est d’accord sur la définition et attend une définition aussi simple que celle adoptée par l’OMS pour les substances cancérigènes. En effet, il existe un consensus entre tous les scientifiques indépendants depuis 2002 et ce consensus a même été réaffirmé lors d’une réunion à Berlin les 12 et 13 avril derniers. Cependant, pour des raisons politiques et économiques, ce chercheur pense que la Commission souhaite garder les choses floues. Enfin, une division au sein même de la Commission retarde la possibilité de trouver un accord : le département Sanco (Santé/Consommation) est, d’après S., en faveur d’une absence de réglementation tandis que le département Environnement essaye à tout prix de réguler les perturbateurs endocriniens.

 

Quelles en sont les conséquences et pourquoi est-ce si important pour certains de trouver une définition ?

Pour L., c’est véritablement problématique car sans définition, aucune réglementation et donc aucune régulation ne sont possibles. D’après B., tout le travail des comités d’expertise pour établir une liste précise des perturbateurs endocriniens s’en trouve d’autant plus compliqué. Par ailleurs, comme le démontre le Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, repousser une définition représente un coût économique d’au moins 100 à 200 milliards d’euros chaque année dans l’Union Européenne. Ce coût correspond à toutes les pathologies dont il existe un lien avéré avec les perturbateurs endocriniens. Pour finir, le coût n’est pas seulement économique, il est aussi « humain » comme le rappelle Génération Cobayes, dont nous avons pu rencontrer un représentant.

 

Sources :