Un manque d’information ?

Agnès Buzyn, la Ministre de la Santé, a déclaré au début de l’affaire qu’il n’y avait «ni fraude, ni complot, ni même erreur», «juste un problème d’information des malades» . Si cette analyse n’est peut-être pas satisfaisante, elle souligne tout de même l’importance, pour les autorités de santé, de ce manque d’information aux patients. Mais pour commencer, voyons en quoi cela pose justement problème.

La plupart des patients ayant souffert après le changement de formule n’avaient pas connaissance de ce changement, ce qui est problématique puisqu’ils ne comprenaient pas d’où venaient leur souffrance et ne pouvaient donc pas donc la combattre à la source. Plus largement, de nombreux patients et même certains médecins reprochent à Merck d’avoir modifié la formule à leur insu.

Pourtant, Merck a d’une part notifié les médecins et les pharmaciens du changement de d’excipient du Levothyrox à l’aide de 400 000 lettres, envoyées entre février et avril 2017 , et d’autre part a modifié les couleurs des boîtes pour suivre le principe de précaution (surtout en tenant compte du fait que 3 millions de Français prennent ce médicament) mais sans que cela ne soit obligatoire.

Comparaison des anciennes et nouvelles boîtes (source). Droits réservés © MERCK.

« Ce modèle classique est obsolète, et n’a pas atteint les patients »,

Dominique Martin, directeur de l’ANSM

À qui la faute ?

Certains patients ont trouvé cette seconde mesure insuffisante, notamment en déplorant le design globalement très similaire entre les boîtes de l’ancienne et de la nouvelle formule. Des médecins, comme le Dr Guillet, ont aussi reproché que le courrier n’insistait pas assez sur le potentiel risque lié à ce changement de formule .

Cependant d’autres professionnels de santé trouvent que Merck a fait le nécessaire pour informer les patients du changement de formule, et certains vont même jusqu’à dire que si les patients ne savaient pas que leur médicament avait changé, c’était plutôt à cause des médecins et des pharmaciens : « L’information était à répercuter auprès des patients par les prescripteurs et lors de la délivrance du produit par les pharmaciens. » .

Enfin, certains suggèrent simplement que personne n’est réellement en faute dans le cas de l’affaire Levothyrox, que chacun a fait ce qu’il avait à faire mais qu’au final cela n’a pas suffi. C’était notamment le point de vue du professionnel de l’industrie pharmaceutique que nous avons rencontré (désigné par A.S.). En particulier beaucoup affirment que les médecins reçoivent trop de courriers (et les médecins eux-mêmes le disent !), ce qui pourrait expliquer qu’ils n’ait pas fait attention à un courrier concernant simplement un changement d’excipient. C’est probablement pour cette raison, et pour les autres évoquées précédemment, que l’utilisation de ces lettres pour informer les patients du changement de formule n’a pas fonctionné : ainsi selon Dominique Martin, directeur de l’ANSM, « ce modèle classique est obsolète, et n’a pas atteint les patients » .

Ainsi, il admet « l’information n’a pas fonctionné » . Mais alors qu’est-ce que l’ANSM aurait pu faire de mieux ? Selon Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux, il aurait fallu apprendre du passé : en particulier, « il fallait informer plus et, dès les premiers signaux d’alerte, lancer une étude de suivi » .

Un problème qui aurait pu être évité

« Les autorités sanitaires n’ont pas tiré les leçons du passé dans le domaine du médicament »

Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux

Ainsi il est reproché à Merck et l’ANSM de ne pas avoir appris des erreurs du passé – en particulier de celles de leurs confrères étrangers. En effet, comme rappelé à plusieurs reprises dans la presse , une situation similaire s’était produite en Nouvelle-Zélande en 2007 : « une seule marque de lévothyroxine sur le marché, un changement de formule a priori anodin, des signalements d’effets secondaires qui explosent avec la médiatisation du phénomène, puis l’arrivée sur le marché de nouvelles marques de lévothyroxine. » . La médiatisation du problème et le manque d’information aux patients semblait être directement liée au nombre de patients ayant déclaré souffrir depuis le changement de formule.

Au contraire, en Belgique, en 2015, un changement d’excipients accompagnant là encore la lévothyroxine accompagné d’une mention « Nouvelle formule » sur la boîte et d’un carton à l’intérieur de celle-ci, expliquant au patient ce qu’il devait savoir sur le changement de formule, a certes vu « une vague d’effets secondaires […], mais ces informations ont permis de freiner les rumeurs. » .

Ainsi, nombreux sont ceux qui pensent que Merck et l’ANSM auraient pu, bien qu’ils aient essayé, atténuer les problèmes liés au changement de formule en informant mieux les patients de ce changement, comme le cas de la Belgique a pu le montrer par le passé. Bien que ce travail en amont aurait pu être mieux fait, le fait que la plupart des patients n’aient finalement pas été au courant que leur médicament avait changé montre des problèmes de communication entre tous les maillons de la « chaîne du médicament » (de sa production à son utilisation).


 

Sources

Fermer le menu