Une affaire fortement médiatisée : des patients paniqués que les autorités et professionnels de santé peinent à rassurer

Avec l’augmentation du nombre de signalements d’effets indésirables (ainsi que de plaintes envers Merck), de nombreuses informations sur le changement de formule se sont répandues – pas toujours vraies selon certains acteurs – notamment à travers les médias. Cette forte médiatisation de l’affaire a entrainé deux phénomènes : d’une part des patients (en particulier des associations de patients) ont déploré le manque de réactivité de l’ANSM pour répondre à leurs demandes (amplifiées par les médias, justement) liées aux potentiels risques sanitaires de ce changement de formule, d’autre part une grande part des 3 millions de Français prenant du Levothyrox quotidiennement se sont inquiétés pour leur santé et se sont sentis négligés par les autorités et professionnels de santé.

 

Des patients qui ne se sentent pas écoutés

Cette médiatisation a permis aux patients de se faire entendre et d’exprimer leur mécontentement. Si celui-ci a pu concerner, notamment pour les premières plaintes, les problèmes de santé liés au Levothyrox, les patients ont rapidement critiqué les laboratoires Merck, ainsi que l’ANSM, qui ont d’abord mis trop de temps selon eux à reconnaître qu’il y avait un problème avec le changement de formule du Levothyrox (pas forcément d’ordre sanitaire, puisque certains reprochent le manque d’information sur le changement, comme nous l’avons vu dans la partie précédente), et qui sont critiqués pour ne pas avoir écouté par la suite les demandes des patients. Par exemple, la pétition lancée le 24 juin et ayant récolté plus de 300 000 signatures réclamait la réintroduction de l’ancienne formule plus de 3 mois avant que la décision ne soit actée.

« Beaucoup de médecins n’ont pas écouté leurs patients lorsqu’ils évoquaient leurs symptômes »

Delphine Family, médecin généraliste

En plus d’avoir l’impression que leurs pétitions et leurs plaintes n’étaient pas écoutées, de nombreux patients « se sont sentis négligés »  par les médecins, qui ne prenaient pas toujours leurs symptômes aussi sérieusement que le patient l’aurait voulu, « d’autant plus qu’ils étaient peu spécifiques et pas toujours associés à des marqueurs biologiques objectifs » . Ce ressenti est à mettre en perspective avec la réaction de certains professionnels de la santé ou du médicament, qui affirment que l’affaire du Levothyrox n’est qu’un emballement médiatique et vont parfois jusqu’à le qualifier « d’hystérie collective » (Jean-Claude Cucis, médecin généraliste ).

 

L’affaire Levothyrox : un emballement médiatique selon certains professionnels de la santé et du médicament

« L’autre gros problème, c’est l’emballement des patients avec les réseaux sociaux pour caisse de résonance et le traitement médiatique »

Patrick Bouillot, endocrinologue

Sans toujours utiliser des termes aussi extrêmes, de nombreux professionnels de santé pensent que le changement de formule du Levothyrox n’aurait pas causé autant de problèmes sans toute la médiatisation qu’il y a eu autour, en particulier à l’aide des réseaux sociaux. Ils déplorent souvent la propagation de rumeurs ou de fausses informations, ou encore critiquent les « émissions de télévision où un patient parl[e] de son cas personnel et en fai[t] une généralité » . Cela aurait conduit, selon certains, à créer un effet nocebo sur de nombreux patients, ce qui a amplifié la médiatisation de l’affaire. Le président de Merck France, Thierry Merck, est allé plus loin en affirmant que « des associations de patients, de[s] groupe de citoyens essaye[nt] de faire le buzz médiatique en disant des contrevérités » .

 

Un problème de communication démontrant un clivage entre patients et professionnels de santé

Ce dernier exemple, qui a été utilisé par A.S. lors de notre entretien avec lui, montre bien selon lui le clivage entre une partie des professionnels de la santé ou du médicament et une grande partie des patients. En particulier, les premiers affirment souvent aux derniers qu’il ne peut pas y avoir de problème, en se basant sur des données scientifiques comme les tests de bioéquivalence. Seulement, selon plusieurs acteurs, dont A.S., les deux camps ne peuvent pas s’entendre car l’un est dans le plan du rationnel et l’autre de l’émotionnel et du ressenti : aux arguments scientifiques censés prouver que le changement de formule ne peut pas poser de problème, les patients opposent la réalité de leur situation, qui n’est pas la science mais bien la gêne, voire la souffrance. Ainsi le débat pourrait ici venir du fait que ceux qui avancent des arguments scientifiques ne mettent pas à la place des patients et/ou n’essaient pas de tenir en compte le côté émotionnel du problème. (Il est cependant à noter que certaines associations de patients s’opposent aussi aux arguments scientifiques avancés par Merck ou l’ANSM, comme VST qui critique la rigueur des rapports de bioéquivalence).

 

Les autorités de santé jugées trop peu réactives face à la panique des patients

Enfin, la médiatisation a mené à un état de panique qui s’est répandu parmi les patients : différents acteurs déplorent que les professionnels et autorités de santé n’aient pas su le combattre assez rapidement.

« On sait qu’il y a un lien très important entre le stress et les maladies thyroïdiennes »

Pr Borson-Chazot

Selon le Pr Borson-Chazot et le Dr Guérin, la forte médiatisation de l’affaire a causé des symptômes chez certains patients : « Au moment de passer au nouveau Levothyrox,

beaucoup de patients sont très stressés par tout ce qu’ils ont entendu et lu dans les médias et sur les réseaux sociaux. Or on sait qu’il y a un lien très important entre le stress et les maladies thyroïdiennes » . Les patients ont été mal informé et ont pris peur, notamment à cause de  « l’amplification d’un mauvais buzz » , selon le Dr Guérin, ou selon d’autres à cause du retour à l’ancienne formule, qui aurait aggravé la situation en faisant croise que la nouvelle était réellement problématique et qui aurait donc « a compliqué la tâche des thérapeutes et pharmaciens » .

Si l’ANSM a tenté de communiquer pour rassurer les patients, tout comme la ministre de la Santé, il lui est reproché une nouvelle fois de ne pas avoir été assez réactive. D’autres acteurs, comme le Dr Guérin, ont essayé d’informer les patients sur le changement de formule dans le but de les rassurer .


 

Sources

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