Du point de vue de la mère

   

    Le maternage intensif est essentiellement présent chez des femmes de catégorie socio-professionnelle favorisée, car la culture néo-libérale de responsabilité et de contrôle favoriserait l’implication croissante de la mère [1], mais cela requerrait de pouvoir passer plus de temps avec son enfant. De même, les postulats de base du maternage intensif selon lesquels le développement mental du nourrisson serait favorisé par l’attention que lui accorderaient les parents, ont été intégrés à de nombreux discours sur le maternage et ont aujourd’hui une influence sur les décisions des couples [1].

    Selon l’Organisation mondiale de la Santé, l’allaitement contribue à la santé et au bien-être des mères, et peut aider à espacer les naissances dans le cas de l’allaitement prolongé. Par allaitement prolongé, l’OMS conseille un allaitement au sein exclusif pendant les six premiers mois, puis une alimentation complémentaire jusqu’à 2 ans. L’allaitement réduirait le risque de cancer ovarien ou mammaire, et augmenterait les ressources de la famille et donc du pays. Ce serait un moyen sûr et écologique d’alimenter l’enfant [2].

    Le psychiatre et psychanalyste Bernard Brusset, dans « Oralité et attachement [3] », décrit un fantasme maternel de ne faire qu’un avec son enfant, et l’allaitement prolongé compliquerait alors pour la mère le besoin de détachement nécessaire à l’enfant pour grandir. Certains parlent même d’« allaitement addictif » et de «moyen nécessairement indispensable à la poursuite d’une lactation dont la mère ne parvient pas à se sevrer. […] L’allaitement fonctionnerait alors comme un processus vampirique par lequel la mère tenterait de se revivifier, afin de parer à ses propres déprivations narcissiques » [4]. De plus, ce choix sur la manière d’allaiter son enfant, que ce soit au sein ou au biberon fait aussi débat. Dans une tribune de Libération [5], de nombreuses personnalités du monde éditorial et littéraire dénoncent une culpabilisation de mères allaitant leur enfant au biberon. Elles reprochent aux défenseurs de l’allaitement (pour des raisons de santé des enfants et des raisons économiques), de comparer l’allaitement dans des pays développés avec celui de pays du tiers-monde, comparaison qui n’aurait pas lieu d’être.

    Elisabeth Badinter décrit le maternage proximal dans son livre « Le conflit : la femme et la mère » comme une conséquence d’une conception de la parentalité où la mère doit tout à son enfant. Elle regrette que l’allaitement, durant les 6 premiers mois tels qu’il est conseillé, ait « deux conséquences peu propices à la relation de couple. Non seulement le sein maternel appartient au bébé durant des mois, mais le lit de la mère également. » La mère perdrait sa liberté de disposer de son corps et de son temps, ou se sentirait coupable de retourner travailler. Elle ne pourrait pas concilier sa vie professionnelle et sa vie de famille. En effet, certains pédiatres, dont T. Berry Brazelton, avançaient que si la mère n’était pas à la maison durant la première année qui suit l’accouchement, alors ses enfants deviendraient insupportables voire délinquants [6]. Toujours selon Elisabeth Badinther, les mères se sentiraient comme des « écosystèmes laitiers » [7], devant faire preuve d’une disponibilité absolue envers leur enfant.

    Marlène Schiappa, actuelle Secrétaire Générale de l’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, réagissait dans son blog « Maman Travaille » aux écrits de Mme Badinter [8]. Elle insiste sur la pression que subissent les femmes pour être de « bonnes mères », c’est-à-dire ici de ne pas utiliser de couches jetables ou de petits pots génériques. Selon elle, ces pratiques sont jugées mauvaises par l’entourage de la mère, notamment de la part d’autres parents, bien qu’elles soient presque indispensables pour une mère ayant repris son activité professionnelle. Elle partage le point de vue de la philosophe concernant les attentes qui pèseraient sur les mères quant à leur dévouement total à leur enfant, au détriment de leur santé et de leurs désirs. Une étude menée par Jackie Guendouzi [9] vient appuyer les propos de Mme Schiappa. Cette étude montre que les femmes qui choisissent de reprendre leur activité professionnelle ressentent un sentiment de culpabilité dû aux pressions sociales du modèle de maternage intensif.

    Bien que ces personnalités féministes avancent que le maternage intensif revient à exploiter le corps de la femme, une étude du Springer Science aux Etats Unis [10] montre que cela reste un stéréotype sur les féministes. Les résultats de leur étude montrent que les mères féministes sont plus en faveurs des pratiques liées au maternage intensif que les mères non féministes. De même, les non-mères féministes sont plus sensibles à ces pratiques que les non-mères non-féministes. On peut encore apprendre que le fait d’être mère sensibilise fortement à l’allaitement, au cododo et au portage.

    En effet, de plus en plus de mères souhaitent pratiquer le portage, et cette pratique est maintenant encadrée par certains professionnels de la santé, comme le rapporte la revue Profession Sage-Femme

« En même temps que cette pratique se développe – même s’il n’existe pas de statistiques officielles –, il existe de plus en plus d’ateliers de formation au portage. Et nombreuses sont les sages-femmes qui ont incorporé cette activité à leurs pratiques professionnelles, chacune à leur manière [11]. »

Ces professionnels de la santé encouragent donc de plus en plus le portage, tout en pourvoyant les formations nécessaires afin que cette pratique se réalise dans un cadre sécurisé.

    Quant au cododo, il est pratiqué par certains couples car il s’inscrirait dans la démarche de proximité avec l’enfant et permettrait de faciliter l’allaitement et de surveiller son nourrisson. Selon Parents Naturellement [12], une mère qui allaiterait et dormirait avec son enfant synchroniserait son rythme de sommeil sur celui de son bébé ce qui lui permettrait ainsi de mieux dormir. Cependant il aurait pour conséquence indirecte l’apparition d’un sentiment de malaise pour les mères. Naître et Grandir [13] rapporte qu’à partir de 6 mois, le cododo serait mal vu, ce qui causerait un sentiment de jugement chez les mères. Celui-ci les pousserait à s’inquiéter d’autant plus pour le sommeil de leur enfant, jusqu’à les rendre dépressives dans certains cas. De plus, le cododo perturberait le sommeil des parents, engendrant un niveau de fatigue supplémentaire [14].

[1] Glenda Wall Mothers’ experiences with intensive parenting and brain development discourse Women’s Studies International Forum 33 (2010) 253263. Disponible sur : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277539510000282. [Consulté le 23 Mars 2018]

[2] « Allaitement au sein exclusif » Organisation mondiale de la Santé (site), 2018. Disponible sur : http://www.who.int/nutrition/topics/exclusive_breastfeeding/fr/. [Consulté le 11 Mai 2018]

[3] Bernard Brusset « Oralité et attachement », Revue française de psychanalyse Mai 2001. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2001-5-page-1447.htm. [Consulté le 8 Juin 2018]

[4] « Lallaitement prolongé comme modalité antidépressive », Perspectives psychiatriques 2006 ; 45(3) : 221-25. [Consulté le 18 Mai 2018]

[5] Bagieu Pénélope, Marlène Schiappa, Titiou Lecoq et Elisabeth Bost « Allaitement : cessons de culpabiliser les femmes Tribune » Libération.fr, 3 février 2016. Disponible sur http://www.liberation.fr/debats/2016/02/03/allaitement-cessons-de-culpabiliser-les-femmes_1430565. [Consulté le 4 Juin 2018]

[6] Badinter, Elisabeth « Le conflit : la femme et la mère » Éditions Flammarion, Paris, 2010, p 62. [Consulté le 8 Juin 2018]

[7] Badinter, Elisabeth « Le conflit : la femme et la mère » Éditions Flammarion, Paris, 2010, p 116-117. [Consulté le 8 Juin 2018]

[8] Marlène Schiappa « Elisabeth Badinter, je vous aime ! », Maman Travaille (blog), 2010. Disponible sur : http://yahoo.mamantravaille.fr/maman_travaille/2010/02/elisabeth-badinter-je-vous-aime-22.html. [Consulté le 4 Juin 2018]

[9] Jackie Guendouzi ““The Guilt Thing”: Balancing Domestic and Professional Roles”,
Journal of Marriage and Family 68 (November 2006): 901-909. Disponible sur : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1741-3737.2006.00303.x. [Consulté le 23 Mars 2018]

[10] Miriam Liss, Mindy J. Erchull Feminism and Attachment Parenting: Attitudes, Stereotypes and Misperceptions Springer Science + Business Media, 3 Juin 2012. DOI 10.1007/s11199-012-0173-z. Disponible sur : https://link.springer.com/article/10.1007/s11199-012-0173-z . [Consulté le 23 Mars 2018]

[11] Émilie Guillet « Portage : Facile de se former, moins simple de coter ! » Profession Sage-Femme n°215, Mai 2015. Disponible sur : http://emiliegillet.fr/wp-content/uploads/2015/05/PSF215-PRATIQUES-PORTAGE.pdf. [Consulté le 11 Mai 2018]

[12] « Le Cododo : Mythes et Réalités » Parents Naturellement, 8 Avril 2018. Disponible sur : http://parents-naturellement.com/cododo-mythes-realites/ [Consulté le 23 Mars 2018]

[13] Marie-Claude Ouellet « Cododo après 6 mois : les mères se sentiraient jugées » Naître et Grandir, 15 Mars 2018. Disponible sur : https://naitreetgrandir.com/fr/nouvelles/2018/03/15/20180315-cododo-apres-6-mois-meres-se-sentiraient-jugees/. [Consulté le 18 Mai 2018]

[14] Elodie-Elsy Moreau “Le cododo perturbe le sommeil des jeunes mamans” Les News de Doctissimo, 4 Novembre 2015. Disponible sur : http://www.doctissimo.fr/grossesse/news/le-cododo-perturbe-le-sommeil-des-jeunes-mamans. [Consulté le 11 Mai 2018]