Un réseau difficile à implanter?
Afin de permettre la commercialisation à grande échelle de voiture à hydrogène, le consommateur doit être en mesure de recharger régulièrement sa voiture. En conséquence, tout un réseau de distribution doit être aménagé.
Question fréquente : “Pourquoi ne peut on pas réutiliser les stations d’essence pré-existantes?”
Réponse: L’hydrogène doit être fourni à des niveaux thermodynamiques très différents par rapport aux carburants conventionnels. Les canaux et pompes pré-existants ne sont pas capables d’accepter de telles conditions pour délivrer l’hydrogène dans la voiture.
Aujourd’hui, est-il possible de distribuer l’hydrogène à grande échelle? Le coût des infrastructures nécessaires est-il amortissable? Les consommateurs seront-ils prêts à changer leur mode de consommation?
Point technique :
Pour alimenter une voiture en hydrogène, il faut fournir le gaz à 700 bar de pression. Aujourd’hui, la technologie existe déjà et fonctionne, 300 stations de recharge publiques sont en activité dans le monde. À cela il faut ajouter toutes les stations de recharge privées comme pour les flottes d’utilitaire.
Les quelques points techniques demandant encore de la recherche sont:
- la précision de 1% - 2% à respecter en terme de quantité fournie;
- la qualité de l’hydrogène;
- la durabilité et la robustesse des équipements vis à vis de leur utilisation fréquente compte tenu de la technologie de pointe employée.
Les deux premiers points peuvent aussi faire l’objet d’une réglementation adaptée pour l’hydrogène. En effet, ces normes légales se basent sur l’approvisionnement en carburant conventionnel et peu de législation est jusqu’à présent apparue pour s’adapter à ce nouveau vecteur d’énergie. [Littérature scientifique 2]
L'expérience consommateur change-t-elle ?
Quant à l’expérience consommateur, celle-ci n’apporte pas de changement majeur par rapport à l’utilisation de carburants conventionnels. La recharge ne prend pas plus de 5 min. De plus, la Toyota Mirai, première voiture hydrogène de série, possède un réservoir de 5 kg d’hydrogène à 700 bar. Autrement dit, l’autonomie de la voiture est d’environ 500km contre 900 km en moyenne pour une voiture à essence ou diésel. Compte tenu de l’écart d’utilisation et de développement des technologies, il est tout à fait vraisemblable que la voiture à hydrogène affiche une autonomie comparable d’ici quelques années.
Il est donc tout à fait possible dès aujourd’hui de fournir l’hydrogène en station au consommateur et son utilisation diffère peu de celle pré-existante.
En revanche, si la technologie est prête, le véritable débat repose sur les coûts d’installation et de fonctionnement de ces stations.
Le modèle économique
Problème de l'oeuf et de la poule
Le principal frein à l’installation de stations de recharge est une question d’offre et de demande aussi appelé “problème de la poule ou de l’oeuf”. Pour qu’un consommateur achète une voiture hydrogène, il faut qu’il soit assuré de pouvoir faire le plein régulièrement et facilement. Réciproquement, pour qu’une station de recharge puisse être économiquement rentable, il faut qu’il y ait suffisamment de consommateurs pour l’utiliser. Ainsi se pose la question de: que faut-il inciter au départ? La vente de voitures ou la construction de stations? Le scénario idéal serait bien évidemment que ces deux phénomènes se produisent simultanément. [Littérature scientifique 2]
Ce sera la poule...
Dans la pratique, le seule scénario plausible est l’installation préalable des stations de recharge. Les estimations prévoient un coût à la pompe supérieur à 10€ le kilo d’hydrogène dans les cinq premières années puis de 7€ sous réserve de progrès technologique et de l’absence de taxes. En d’autres termes, il en coûterait 50€ au consommateur pour effectuer un plein pour une autonomie de 500km. Ces coûts élevés par rapport aux carburant conventionnels (taxés à hauteur de 60%) s’expliquent principalement par les coûts d’installation de stations de recharge. Les investissements pour produire une station de recharge sont bien supérieurs à ceux d’une station de carburant classique. De plus, le manque d'utilisation de la part des usagers au début ne permet pas aux stations d’être rentables. Pour un marché mature, les prédictions affichent 4.5€ le kilo d’hydrogène, principalement des coûts de production.
source : Ball, M., & Weeda, M. (2015). Ilustration of the development of hydrogen delivery costs over time. Dans The hydrogen economy - Vision or reality? International Journal of Hydrogen Energy, 40(25), 7903 7919
La Vallée de la Mort
Plus précisément, les estimations tablent sur une période de 10 ans pendant lesquels les stations travaillent à perte et avec un cash flow négatif. Cette période est parfois appelée “vallée de la mort”. Ensuite, il faudra encore attendre 5 ans pour rembourser les investissements préalables et commencer à être rentables. Ces chiffres avancés doivent être nuancés par le fait que ce ne sont que des modèles prédictifs pour une technologie pas encore démocratisée. Ces prédictions sont de surcroît basées sur le développement continu en parallèle des technologies hydrogène, donc des coûts supplémentaires. De plus, il est probable que sur une période de 10 ans des travaux supplémentaires doivent être effectués ce qui implique d’autres investissements. Ces chiffres présupposent aussi une absence de taxes sur l’hydrogène. [Littérature scientifique 2]
Une collaboration autour de la distribution ?
En conséquence, les investisseurs restent frileux en raison des montants mis en jeu et des risques très importants. En effet, il est nécessaire d’installer un très grand nombre de stations sur tout le territoire pour inciter le consommateur à acheter une voiture à hydrogène. Cela implique la nécessité de collaborations entre acteurs privés, les compagnies d’essence et les constructeurs automobiles, et publics, principalement l’état à travers des aides et l’absence de taxes.
Puisque l’hydrogène doit être détaxé, voire subventionné, pour être acheté par le consommateur à prix raisonnable, cela fait concurrence aux compagnies pétrolières qui vendent leur carburant en station. Le débat se positionne ici autour de la concurrence déloyale. Cependant, ces décisions sont à l’échelle de l’état et les groupes pétroliers ont peu de recours officiels. De plus, pour une question d’image il est peu intéressant pour un tel groupe de se positionner contre une énergie « verte ».
En outre, le constructeur automobile a besoin de savoir si le marché peut être viable, si le consommateur pourra recharger sa voiture, avant d’investir des sommes conséquentes en recherche et développement sur cette nouvelle technologie. D’où la nécessité d’une collaboration étroite entre ces différents acteurs.
Cas d'école : Hydrogen Mobility Europe
Pour répondre à ces défis, les risques doivent être partagés entre les propriétaires des stations de recharge, les constructeurs automobiles et les pouvoirs publics. Cela est déjà le cas dans le projet européen Hydrogen Mobility Europe H2ME. L’objectif est d’installer 49 stations à travers l’Europe avec un budget de 170 millions d’euros. Pour ce faire, l’union européenne collabore étroitement avec une quarantaine de partenaires privés dans 9 pays différents qui apportent leur expertise en matière d’hydrogène. Cette collaboration est encadrée par Fuel Cells and Hydrogen (FCH). [Site 3]
À ce sujet, les acteurs présentent des visions différentes sur la collaboration actuelle. Des associations pro-hydrogène, comme l’AFHYPAC, considèrent que les groupes pétroliers, entre autres, sont opposés au développement de cette nouvelle technologie. Ils effectueraient donc du lobby auprès des autorités pour retarder voire empêcher le lancement de stations hydrogène. [Entretien 2] Au contraire, quand les intéressés sont interrogés, ceux-ci répondent qu’ils investissent en masse dans cette technologie et cherchent à déployer le réseau hydrogène. Le groupe TOTAL a ainsi annoncé en 2016 déployer 50 stations de distribution d’hydrogène.3
L’autre point de débat est la capacité des politiques à faire perdurer leurs politiques au delà de leur mandat. L’échelle de temps des projets de développement de l’hydrogène est supérieur à la décennie. En contraste un mandat est de l’ordre de 5 ans. Il peut donc être risqué pour un acteur privé de se lancer dans un projet privé - public s’ils n’ont pas l’assurance que ce dernier perdura dans le temps. [Entretien 2]
Acheminement de l'hydrogène
L'acheminement de l’hydrogène est aussi un point stratégique autour du débat hydrogène. En effet, dans le cas de figure idéal, la production d’hydrogène et les stations de recharge sont positionnées au même endroit. Cependant, cette solution n’est pas réalisable sur les terrains restreints, comme dans les milieux densément peuplés ou fortement réduits. Dans ce cas il faut prévoir l’approvisionnement des stations en gaz. Le gaz sous sa forme naturelle est gazeux. Sous cette forme, le gaz peut être transporté par camion ou pipeline. Malheureusement, en raison des conditions thermodynamiques de conservation de l’hydrogène, il n’est pas possible de ré-exploiter les infrastructures de transport pré-existantes en carburant conventionnel. [Entretien 2]
Il est possible de le liquéfier pour faciliter son transport mais la consommation énergétique pour ce faire est considérable. De plus, les conditions de pression et température sous lesquelles l’hydrogène doit être maintenu impose d’énormes contraintes technologiques.
Les stations d’hydrogène capables de produire sur place, par électrolyse, sont donc la solution souvent préférée pour obtenir une énergie décarbonée. [Entretien 2] Cependant, certaines entreprises ont aussi des réseaux de pipeline pour transporter l’hydrogène vers les sites industriels. Air Liquide, appartenant à l’AFHYPAC, possède le plus grand réseau d’Europe du nord. [Rapport 5] Ceux-ci pourraient être utilisés aussi pour la distribution en station. Encore une fois ici se pose la question si l’énergie est produite de manière réellement verte. H2 Life promeut l’installation de stations avec production sur place. Air Liquide, à travers le projet H2ME, construit des stations qui exploitent directement l’électricité du réseau et des énergies renouvelables avec production sur site. Il serait intéressant de voir ce que l’AFHYPAC souhaite développer en priorité dans les années à venir : les stations avec production sur place ou acheminement d’hydrogène, en assurant une production verte en amont.