Existe-t-il des dispositions pour la scolarisation des élèves immigrés ?
La scolarité étant obligatoire de 6 ans à 16 ans quelle que soit la situation de l’immigré, cette question se pose naturellement. Pour pouvoir y répondre, il est nécessaire de préciser ce que l’on entend par « dispositions » En ce qui concerne les primo-arrivants (cf Résultats et catégorisation), la politique première est de leur apprendre la langue française. C’est pourquoi il a été mis en place des classes spécialisées à partir de 1969 : classe d’initiation pour les non-francophones (CLIN) pour le primaire, classe d’accueil (CLA) pour le second degré. Puis à partir de 2012, ces classes ont été transformées en UPE2A.
Quel est leur fonctionnement ?
En UPE2A, l’élève reste au maximum une année et il y apprend de manière intensive le Français, entre 15 à 18 heures par semaine pour 25h de cours au total. Il est regroupé avec d’autres primo-arrivants (environ 24 élèves par classe dans l’académie de Paris) non pas selon leur niveau d’étude mais plutôt selon leur tranche d’âge. Le reste de l’emploi du temps est très variable et dépend du niveau en Français de l’élève. Lorsque l’équipe enseignante le juge apte, elle l’envoie suivre des cours en classe ordinaire en parallèle. Seules les matières dites d’inclusion que sont l’éducation physique et sportive, les arts plastiques et l’éducation musicale sont faites en commun avec les élèves de classe ordinaire. En effet, elles sont considérées comme favorables à l’intégration des élèves immigrés car elles ne requièrent pas de maîtrise particulière en langue française.
Où se trouvent ces dispositifs?
L’UPE2A recouvrant le primaire et le secondaire, elles sont rattachées à des écoles primaires, collèges et lycées comme une classe pour des élèves ayant des besoins spécifiques, de façon similaire à ULIS qui est une classe aménagée pour handicapés notamment. On les trouve principalement dans les établissements proches de zones où se trouvent les migrants, les centres d’hébergement d’urgence, c’est-à-dire le nord-est de Paris plutôt que le sud-ouest. C’est le CASNAV, branche du rectorat, qui s’occupe des UPE2A.
Quels sont les enjeux et difficultés d’une UPE2A ?
La plupart des élèves en UPE2A sont en situation précaire et sous une pression économique et familiale énorme. Lors d’un entretien avec un responsable du CASNAV de l’Académie de Paris et aussi professeur de langue française en UPE2A, il nous explique que 20-25% des élèves sont des immigrés venus seuls en France. Souvent originaires d’Afrique subsaharienne, c’est « tout le village local qui s’est cotisé pour qu’il puisse partir en France afin d’y trouver une vie meilleure, gagner de l’argent et en envoyer une partie au village ». C’est une énorme pression à vivre et les fait tomber dans la dépression lors de leurs premières années en France. Autre exemple qui nous est fourni de son expérience personnelle est qu’il arrive souvent que l’élève soit « surinvesti d’une mission » car étant le seul à comprendre le Français, il accompagne sa famille dans les démarches administratives et donc rate un jour d’école. Les enseignants en UPE2A doivent aider leurs élèves à surmonter ces difficultés, dépassant souvent le cadre purement scolaire. C’est la raison pour laquelle les CLA et CLIN, qui sont officiellement des classes, ont été remplacées par les UPE2A qui sont des unités pédagogiques, beaucoup plus flexibles et étendues dans leur fonctionnement. Les professeurs de Français, qui sont aussi les professeurs principaux en UPE2A, doivent depuis 2012 passer une formation complémentaire FLS (français langue secondaire) au CASNAV.
Qu’en est-il des résultats ?
Le CASNAV étant interdit de suivi de cohorte, il n’y a que des retours empiriques de la part d’enseignants sur les résultats des élèves. On note que les résultats dépendent de l’origine géographique et nécessitent des cours spécialisés en conséquence. Par exemple, on observe que « les maghrébins sont généralement plus fort en théorie qu’en expérimental ». On remarque aussi une meilleure résilience chez les élèves immigrés que les élèves natifs en classe ordinaire, donnant souvent lieu à de meilleurs résultats et des interrogations relevées par les enseignants du type « Pourquoi les Français ne travaillent-ils pas ? ». En effet, comme plusieurs textes le montrent dont un article de Vallot en 2016, on observe un « optimisme » chez les primo-arrivants car leur migration est perçue comme un projet qu’ils veulent réussir à tout prix [16]. Cependant, ces conclusions sont à nuancer car cela dépend aussi de l’âge auquel ils arrivent en France. Pour les plus jeunes, leurs résultats seront meilleurs car ils auront eu le temps d’apprendre le Français et s’adapter tandis que pour les plus vieux, ils sont généralement redirigés en CAP.
Qu’en est-il pour les élèves issus de la 1ère et 2ème génération dans les écoles ordinaires ?
Bien que nés en France et suivant une éducation classique, leurs résultats inférieurs à ceux des natifs est une preuve qu’il existe un système d’inégalité produit par l’école républicaine. Comme démontré dans la partie « Existe-t-il des inégalités dues au milieu social ? », ces inégalités sont propres au statut de migrant et non uniquement à sa classe sociale. Fouquet-Chauprade appelle cela « discontinuité systémique » dont elle en donne la définition suivante : « La discrimination systémique s’observe en dehors de l’intentionnalité et elle s’appréhende essentiellement dans les effets et conséquences d’un traitement. Celui-ci pourra être dit discriminatoire s’il affecte systématiquement, négativement et de façon disproportionnée, les personnes d’un groupe donné » [9]. Il y aurait donc un traitement non intentionnel envers les élèves issus de l’immigration qui les désavantagerait.
Le premier exemple marquant est qu’il est resté dans l’esprit collectif que les résultats des migrants sont inférieurs aux natifs, telle une vérité générale. Payet appelle cela la «construction ordinaire des différences», expliquant que la proportion d’immigrés dans une école est considérée comme un handicap et influe sur la qualité de l’enseignement [14]. Les classes sont « fabriquées » dans une logique discriminatoire, d’autant plus dans le secteur privé, puisqu’il n’y a pas de brassage culturel. L’ethnicité est donc tout de suite brandie comme raison de l’échec scolaire des migrants qui sont dans des « mauvaises classes ».
Cette mentalité a un impact négatif sur le rapport de l’élève à l’école et plus particulièrement son rapport aux professeurs. Dans l’école républicaine, il est souvent intimidant et difficile pour les professeurs d’appréhender différentes cultures. Clerc explique que les professeurs ne sont pas généralement formés à cela, et de ce fait ils ont pléthore de questions et idées sur les migrants qui restent en suspens [5]. Sur le modèle de l’UPE2A, des professeurs de Français peuvent venir au CASNAV suivre une formation et il leur a été distribué un questionnaire aux professeurs au préalable. Les questions portaient sur leur vision de classes avec un brassage de cultures. Les résultats sont clairs et pessimistes : 1) ils ne savent pas comment penser concrètement la pluralité et il leur paraît inévitable de creuser le fossé culturel ; 2) il leur semble compliqué d’apprendre le Français alors que ce n’est pas la langue parlée à la maison. Payet est plus grave et critique l’école républicaine pour son indifférence, à l’origine de jugements professoraux biaisés voire raciste [14]. Selon lui, le décalage culturel (l’expression orale, la tenue…) peut alors être néfaste pour l’élève car souvent perçue négativement par le professeur qui y voit de la « déviance ». Ce dernier, se conformant aux principes de l’école républicaine, ne cherche pas à accepter ou comprendre les différences ethniques, mais se borne uniquement à les dénoncer.