Le J-PAL regroupe plus de 90 chercheurs affiliés à travers le monde. Pourtant, il ne se réduit pas à ce réseau académique. Il possède également toute une structure administrative et juridique. Les recherches à mener sont conduites par les chercheurs affiliés sans que le J-PAL intervienne spécifiquement. Il s’agit plutôt d’une « structure d’appui » comme le décrit Ilf Bencheikh[ref], directeur adjoint du J-PAL Europe. Les recherches sont ainsi financées par les partenaires associés à chaque évaluation : les chercheurs du réseau ne sont en aucun cas salariés du J-PAL. En revanche, ce dernier a bien entendu besoin de financements pour déployer sa structure administrative, notamment pour les dépenses immobilières (bureaux), de communication (site Internet), de publications diverses, etc. Il est principalement financé par des fondations privées et des mécènes dont le plus important est Abdul Latif Jameel à qui le J du nom du réseau fait référence. Ilf Bencheikh nous confie qu’il s’agit là de la plus grosse dotation ayant été réalisée et qu’une partie du financement provient des intérêts.
La question des publications est aussi un aspect tout à fait primordial de l’organisation socio-économique du réseau et de la méthode. D’après Florent Bédécarrats, Isabelle Guérin et François Roubaud[ref], « il est aujourd’hui très difficile de publier dans des revues d’économie des articles fondés sur d’autres approches ». L’explication qu’il donne est la prédominance des promoteurs des RCT parmi les comités de rédaction des plus grandes revues scientifiques. Par ailleurs, les publications permettent d’acquérir davantage de reconnaissance et par suite d’obtenir des postes ou des financements publics. Florent Bédécarrats nous avoue qu’il est « aujourd’hui très ardu d’obtenir des financements européens sans RCT ». De façon concomitante, plus les publications ayant recours aux RCT gagnent en visibilité, plus les autres méthodes perdent en audience. Elles sont peu à peu rejetées vers des « supports de publication marginalisés » en raison du fait que les RCT « s’arrogent le monopole de la scientificité » (Harrison [2011]).
Cet effet d’éviction au cœur du monde académique est à la fois cause et conséquence d’un effet d’éviction des analyses qualitatives ou d’autres approches économétriques pour le financement même des projets. Il s’explique d’abord par les différences majeures de coûts entre les RCT et les approches d’expériences en laboratoire, comme le soulignent James Heckman[ref] ou Florent Bédécarrats. Ainsi, même si un consensus émerge sur la nécessité de mélanger les différentes techniques expérimentales, qualitatives et quantitatives pour obtenir des preuves à forte validité aussi bien interne qu’externe, lorsqu’une expérience développe justement ces différentes techniques, c’est encore les tenants des RCT qui tiennent les cordons de la bourse et donc les rênes de l’expérience. De plus, les structures mises en place par les tenants des RCT, comme le J-PAL, font apparaître un mode de gestion de la recherche différent. Ces structures nouvelles s’ouvrent à des formes de financements différentes des financements publics traditionnels et mettent en avant une nouvelle figure du chercheur, davantage tournée vers le monde extérieur tant sur le terrain que dans sa communication. Et Florent Bédécarrats, Isabelle Guérin et François Roubaud de conclure :
« En montant des ONG ou des bureaux d’étude spécialisés, ils créent les structures idoines pour recevoir des fonds de toutes origines : publique bien sûr, mais également de fondations, d’entreprises, de mécènes, etc., hors des circuits classiques de financement de la recherche publique. Sur ce plan, ils sont en parfaite adéquation avec les nouvelles sources de financement de l’aide que constituent les fondations privées et les institutions philanthropiques, qui se montrent particulièrement enclines à leur confier des études. En parvenant à créer leurs propres guichets de financement, principalement multilatéraux (l’initiative de la Banque mondiale pour l’évaluation d’impact du développement, l’initiative internationale pour l’évaluation d’impact, la Banque africaine de développement, le fonds stratégique pour le développement humain), mais aussi bilatéraux (la coopération espagnole et britannique) et des fondations (Rockefeller, Citi, Gates). »