Les évaluations d’impact par assignation aléatoire ont été beaucoup utilisées dans les quinze dernières années pour tester l’effet moyen de programmes de développement très divers ayant pour but de réduire la pauvreté. Elles permettent de construire un socle de connaissance intéressant pour les chercheurs et disponible pour les institutions politiques et les ONG, afin que l’action contre la pauvreté soit mieux ciblée.
Beaucoup d’expérimentations par assignation aléatoire ont été pilotées par les chercheurs du J-PAL, Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab. Il s’agit d’un réseau mondial de chercheurs fondé au MIT en 2003, dont Esther Duflo et Abhijit Banerjee sont les figures de proue, et qui représente le fer de lance des essais randomisés en économie. Il est associé à la réalisation d’environ trois cents évaluations d’impact, toutes par assignation aléatoire, et répertoriés sur un site Internet. Elles y sont classées en différents thèmes qui illustrent les domaines de l’économie du développement dans lesquels la méthodologie est employée : « Agriculture », « Education », « Environnement et énergie », « Finance », « Santé », « Marché du travail », « Economie politique et gouvernance ».
Répartition des évaluations d’impact du J-PAL selon les différents domaines, d’après les chiffres fournis par le site du réseau de chercheurs
Répartition relative des évaluations par domaines
L’éducation est un domaine dans lequel les essais par assignation aléatoires ont abondé et donné des résultats très enrichissants, et parfois médiatisés. Les chercheurs du J-PAL ont testé de nombreux dispositifs visant à encourager l’assiduité des élèves, augmenter les résultats scolaires et lutter contre l’absentéisme des professeurs. L’essai décrit pour présenter la méthodologie des évaluations par assignation aléatoire a mis en évidence l’efficacité d’un mécanisme de bourses au mérite dans deux districts kényans pour améliorer les résultats aux examens. Un des programmes les plus populaires, Primary School Deworming Project, également mené au Kenya dans un district proche du lac Victoria et soumis à de nombreuses maladies liées aux vers intestinaux, a montré que des campagnes de déparasitage auprès des élèves étaient très efficaces pour augmenter l’assiduité scolaire. D’autres évaluations, toujours au Kenya, ont permis de réaliser que l’augmentation du nombre de manuels scolaires dans les écoles n’avait pas un impact significatif sur les résultats scolaires, au contraire du recrutement d’enseignements vacataires pour atténuer la surcharge des classes et de la mise en place de classes par niveaux. Dans la région d’Udaipur, en Inde, l’évaluation d’un programme de l’ONG Seva Mandir a également été médiatisée. Il s’agissait de contrôler la présence des professeurs en leur demandant de prendre une photographie en compagnie de leur classe. Le salaire comportait une partie fixe et un ensemble de primes accordées en fonction de l’assiduité. Le dispositif a de manière significative augmenté l’assiduité des professeurs. L’accumulation des études permet ensuite aux chercheurs du J-PAL de comparer en termes de coût/efficacité les différents dispositifs testés. Sur le site du J-PAL, deux données sont analysées : années supplémentaires d’écoles obtenues pour 100$ dépensés et jours de présence supplémentaires des professeurs pour 100$ dépensés. Pour promouvoir l’éducation, les responsables institutionnels et politiques disposent d’un vaste champ d’actions comprenant l’abaissement des coûts de scolarité, la communication sur les bénéfices de l’éducation, la lutte contre les facteurs de l’absentéisme (déparasitage, comprimés de fer pour lutter contre l’anémie en Inde), etc.… Le travail effectué à partir des évaluations d’impact leur permet de mieux apprécier l’efficacité des différents dispositifs.
La finance, et plus particulièrement la micro-finance, est également un domaine actif de recherche. Les chercheurs s’intéressent à des mécanismes de microcrédit et d’emprunt permettant aux ménages et aux entrepreneurs pauvres, soumis à une forte contrainte de liquidité, d’emprunter. Ils analysent l’impact de ces mécanismes sur l’investissement et les dépenses. Des dispositifs d’épargne plus accessibles sont aussi à l’étude et se révèlent parfois moins chers à mettre en place et moins risqués que l’emprunt. Une évaluation s’est par exemple focalisée sur les effets de la publicité sur les demandes d’emprunt. Une autre a consisté à permettre à des vendeuses et des chauffeurs de taxi kényans d’ouvrir un compte en banque sans frais, et à observer l’évolution de l’épargne, de l’investissement et des dépenses.
De nombreuses évaluations s’intéressent aux dispositifs permettant d’améliorer la santé. Une des questions est de savoir si l’accès aux produits de santé doit être gratuit ou payant. Il est en effet parfois admis que faire payer un produit de santé, même pour une somme modique, fait que son acquéreur lui accorde plus de valeur et l’utilise mieux. Des évaluations de programmes portant sur la distribution de comprimés contre les vers ou de moustiquaires imprégnés au Kenya ont montré que la tarification de ces produits provoquait une chute de la demande et n’engendrait pas une répartition plus efficace ni une meilleure utilisation. Un graphique récapitulatif a été produit par les chercheurs du J-PAL pour différents produits dans différentes zones du monde. Les chercheurs testent aussi des programmes visant à lutter contre l’absentéisme des personnels de santé.
Les autres domaines, certes mois étudiés, ont également bénéficié des apports des évaluations d’impact par assignation aléatoire. Sur le thème de l’agriculture, les chercheurs du J-PAL concentrent leurs efforts sur les moyens de promouvoir et d’étendre le recours aux nouvelles technologies dans les zones rurales (semences enrichies, engrais chimiques…). Les nouvelles technologies permettent d’augmenter les rendements et d’améliorer la situation économique et alimentaire des populations vivant dans ces zones. Une évaluation menée au Malawi porte actuellement sur un programme de diffusion de la connaissance des technologies par les réseaux d’influence au sein des villages. En Bolivie, dans une région proche du Rio Grande, le sujet d’étude est la manière d’encourager des méthodes agricoles préservant l’environnement : ces méthodes peuvent être contraignantes pour l’agriculteur mais elles bénéficient à l’ensemble de la communauté. Le programme considéré porte plus spécifiquement sur la gestion du bétail et des pâturages, qui jusqu’à présent érodait les bords du ruisseau ce qui entraînait des glissements de terrain. Au sein du thème de l’environnement, les programmes évalués portent sur le coût de la réduction de la pollution et les avantages que tirent les populations de cette réduction. Un programme testé en Ouganda consiste à payer pour ne pas déforester et replanter. Dans la région du Gujarat en Inde, c’est un dispositif censé mieux garantir l’indépendance des inspecteurs d’usines polluantes qui est évalué. Sur le thème du marché de travail, différents dispositifs de formations professionnelles et de programmes d’accompagnement des chômeurs ont été mis à l’épreuve. Concernant la gouvernance, des résultats sur les effets de la participation communautaire ont été obtenus. La liste de l’ensemble des publications et des évaluations d’impact effectuées par le J-PAL est disponible sur le site du réseau de chercheurs.
Les évaluations d’impact conduites par les chercheurs permettent de collecter de nombreuses données dans des domaines variés de l’économie du développement. La mise en avant de l’efficacité de certains dispositifs concrets a permis de redonner un élan à l’aide au développement, dont le manque de résultats apparents a pu engendrer un certain découragement.