Éliminer la pauvreté et le sous-développement est un but que se sont fixés 193 membres de l’ONU et 23 organisations internationales à travers les Objectifs du millénaire en l’an 2000. Les huit objectifs, alors donnés pour l’horizon 2015, sont la réduction de l’extrême pauvreté et de la faim, l’assurance de l’éducation primaire pour tous, la promotion de l’égalité et de l’autonomisation des femmes, la réduction de la mortalité infantile, l’amélioration de la santé maternelle, le combat contre les maladies, la garantie d’un environnement humain durable et enfin la mise en place d’un partenariat mondial pour le développement. L’aide au développement peut alors vite apparaître comme une entreprise écrasante et impossible à mener jusqu’à son terme. Jusqu’à présent, les politiques de développement ne se sont pas révélées d’une grande efficacité, et leur lien avec la croissance n’a pas été démontré. Il n’y a pas non plus de consensus sur les manières d’aborder le problème de la pauvreté, avec des approches aussi divergentes que celles de William Easterly et de Jeffrey Sachs. Ces deux aspects combinés peuvent engendrer un certain découragement chez les populations.
Avec les évaluations d’impact de programmes, Duflo et Banerjee proposent une approche plus concrète de l’aide au développement. Il ne s’agit plus de mettre en œuvre des programmes basés sur des préconçues théoriques voire idéologiques, mais de lutter contre le problème de pauvreté par une série d’actions concrètes dont l’accumulation permettra de grands changements. Par ailleurs, outre le fait d’être plus efficace, cette approche plus concrète permet aux populations et à ceux qui financent les programmes de se rendre compte de leur efficacité. Dans leur livre Repenser la pauvreté, Banerjee et Duflo affirment ainsi que « parler des problèmes du monde sans évoquer quelques solutions accessibles est la meilleure manière de produire la paralysie. » Ils citent une enquête américaine s’intéressant à l’attitude d’étudiants face aux dons pour lutter contre la pauvreté. Cinq dollars étaient donnés aux étudiants contre leur réponse à un questionnaire. Un prospectus leur était alors envoyé. Une partie des étudiants, sélectionnés aléatoirement, ont reçu un prospectus contenant un certain nombre de chiffres sur la pauvreté dans le monde. Le prospectus envoyé au reste des étudiants décrivait le sort d’une petite fille malienne pauvre. Les étudiants du premier groupe ont donné en moyenne 1,16$, contre 2.83$ pour ceux du second groupe. L’expérience a été répétée auprès d’un autre groupe d’étudiants, qui étaient prévenus que l’on est généralement plus porté à financer l’aide pour des individus que pour des programmes généraux. Les dons de chaque groupe s’élevaient respectivement à 1.26$ et 1.36$. Les auteurs en concluent d’une part que des actions concrètes sont plus à même de mobiliser que des objectifs trop abstraits, et d’autre part que si nous sommes dans un premier temps généreux, « lorsque nous y réfléchissons, nous nous disons souvent qu’en fait ce n’est pas la peine : notre contribution ne sera qu’une goutte d’eau dans la mer. »
C’est là que se justifie la démarche des auteurs : « Ce livre est une invitation à réfléchir non pas à deux, mais à trois fois : à nous détourner du sentiment que lutter contre la pauvreté est une tâche trop écrasante et à penser ce défi comme une série de problèmes concrets qui, une fois correctement identifiés et compris, peuvent être résolus un à un. » Ils ajoutent : « il importe de réfléchir à des problèmes concrets auxquels on peut apporter des réponses précises, plutôt qu’à l’aide internationale en général : il vaut mieux penser à l’ « aide » plutôt qu’à l’ « Aide ».
Les évaluations d’impact par assignation aléatoire ont donc pour vocation de mettre en évidence les programmes les plus efficaces et de les étendre. Il s’agit bien de mieux cibler l’aide au développement et d’avoir un retour sur expérience qui permet peu à peu de supprimer les actions inefficaces voire contre-productives. Certaines études emblématiques du J-PAL ont effectivement débouché sur le déploiement à grande échelle de programmes précis. C’est le cas du déparasitage des enfants. Une étude réalisée par Michael Kremer et Edward Miguel au Kenya a montré que qu’il réduisait sensiblement l’absentéisme à l’école. La comparaison avec d’autres dispositifs évalués met en évidence que c’est même la meilleure mesure en termes de coût/efficacité pour lutter contre l’absentéisme. Aujourd’hui, presque soixante millions de personnes ont bénéficié du programme dans quatre pays : Éthiopie, Gambie, Kenya et Inde. D’autres exemples de généralisation sont cités sur le site du J-PAL.