La définition de l’obsolescence programmée est au cœur de la controverse puisque la question même de la définition suscite un affrontement entre les acteurs. En effet, en fonction de sa position au sein de la controverse, on constate des définitions plus ou moins restrictives. Il n’existe aucun consensus quant à la définition ; or c’est en fonction de la définition que nous pouvons déterminer la manière de mesurer et de chercher des preuves de l’existence de l’obsolescence programmée. De plus, la responsabilité des différents acteurs et les éventuelles solutions sont également subordonnées aux définitions.
Définir le sujet est donc un des enjeux principaux de la controverse, un nœud à part entière au sujet duquel il n’existe aucun consensus à l’heure actuelle.
Dans la mesure où notre objectif est de décrire l’état de la controverse, nous ne chercherons pas à donner une unique définition, ni à déterminer laquelle nous semble être la meilleure, mais à faire valoir les affrontements au sujet même de la définition, et les enjeux de celle-ci.
Nous mettrons en évidence les différentes définitions évoquées, de la plus restrictive à la plus vaste.
Une définition fermée où existe un consensus partiel : l’OBSOLESCENCE TECHNIQUE
Une première définition de l’obsolescence programmée est délivrée par divers acteurs de la controverse: alors que pour certains elle recouvre la totalité du sujet, pour d’autres elle n’en est qu’une facette : qu’est-ce que l’obsolescence technique ?
Lorsque nous parlons d’obsolescence programmée aux syndicats d’industriels, ils nous donnent une définition qui correspond en grande partie à la définition d’obsolescence technique donnée par l’économiste Serge Latouche, le sénateur Jean-Vincent Placé et les associations de consommateurs et environnementales. L’obsolescence technique est l’introduction volontaire d’une pièce qui va limiter la durée de vie du produit.
A ce titre, Serge Latouche donne l’exemple des imprimantes.
En prenant cette définition, les syndicats d’industriels interrogés (GIFAM et SIMAVELEC) nient l’existence de l’obsolescence programmée dans leurs domaines respectifs.
Néanmoins, même si cette définition semble précise, on peut déceler des ambiguïtés : le fait, au contraire, de ne pas introduire de pièce, tout en sachant que celle-ci améliorerait la durée de vie d’un produit, peut-il être caractérisé d’obsolescence programmée ?
Au sein même de l’obsolescence technique, le Centre Européen de la Consommation distingue plusieurs catégories :
- L’obsolescence par défaut fonctionnel : si une seule des pièces de l’appareil tombe en panne, l’intégralité de l’appareil ne fonctionnera plus.
- L’obsolescence par défaut d’incompatibilité : un produit n’est plus compatible avec l’ancien produit que nous possédons (par exemple dans le cas des logiciels).
- L’obsolescence par notification : le produit signale au consommateur qu’il est en panne ou qu’il faut en acheter un nouveau.
- L’obsolescence indirecte : des produits accessoires à un produit principal ne sont plus compatibles avec l’ancien modèle.
L’obsolescence technique, si elle existe, semble la plus aisée à prouver. En effet, une étude affinée du produit permettrait alors de déceler la faille technique introduite afin de limiter la durée de vie. L’obsolescence serait alors mécaniquement programmée. Dès lors, ce n’est pas la forme d’obsolescence qui semble le plus faire controverse, bien qu’étant la seule contre laquelle il est possible de lutter juridiquement (comme c’est le cas dans le projet de loi de Jean-Vincent Placé).
Faute de preuve, un point de désaccord : l’OBSOLESCENCE ESTHÉTIQUE
La notion d’obsolescence esthétique montre le manque de consensus au sujet de l’obsolescence programmée. En effet, dans la mesure où celle-ci n’est pas mesurable et touche à la psychologie du consommateur, les syndicats d’industriels refusent de la prendre en compte. Par contre, pour les associations de consommateurs et écologistes, cette notion est fondamentale dans le phénomène.
Le Centre Européen de la Consommation, dans un rapport intitulé l‘Obsolescence Programmée ou les Dérives de la Société de Consommation, affirme d’ailleurs qu’il s’agit d’une obsolescence subjective, elle touche à la psychologie et aux préférences des individus. Les consommateurs ont le sentiment que c’est passé de mode, un nouveau modèle est disponible sur le marché… tout autant de différentes raisons qui poussent le consommateur à renouveler son produit alors que l’ancien, bien souvent, fonctionne toujours.
Serge Latouche explique d’ailleurs que l’obsolescence esthétique, qu’il appelle «obsolescence psychologique» passe par une manipulation des consommateurs par des entreprises et doit être considérée comme une forme d’obsolescence programmée. Dans Bon pour la casse : les déraisons de l’obsolescence programmée, il affirme d’ailleurs que
«Grâce à une politique de marque, de design et de publicité, l’industrie automobile faisait la démonstration qu’on pouvait obtenir le même résultat qu’avec l’introduction d’une défaillance technique. »
Néanmoins, que ce type d’obsolescence soit avéré ou non, il est impossible de le démasquer et de le mesurer, lutter contre semble donc difficile.
Une forme d’obsolescence programmée qui ne semble pas accuser les entreprises : l’OBSOLESCENCE ÉCOLOGIQUE
Une forme moins dénoncée d’obsolescence semble également être programmée : l’obsolescence écologique. Il semble que personne ne puisse être ici blâmé puisque l’obsolescence écologique serait la résultante du désir d’une consommation plus éthique. Cette nouvelle forme de préférence de consommation vient d’une part de la prise de conscience par le consommateur de l’impact écologique et d’autre part d’incitations extérieures qui l’incitent à mieux consommer.
De nombreuses organisations nationales et internationales poussent les consommateurs à se fournir en produits moins polluants et moins énergivores. De plus, ces nouveaux produits permettent aux consommateurs de faire des économies et ont donc un rôle incitatif.
Mais à cause de telles politiques, de nombreux appareils ont été renouvelés alors qu’ils fonctionnaient encore, pour des produits consommant moins.
Les primes à la casse sont un exemple d’obsolescence écologique : les consommateurs sont incités à renouveler leur automobile pour une nouvelle moins polluante, mais l’ancienne est donc jetée alors que toujours en état de fonctionner.