Des solutions alternatives dont l’acceptabilité sociale pose problème

Face à cette nouvelle cible qu’est l’élevage, certains acteurs comme les médias prônent des solutions de substitution assez radicales : la consommation d’insectes, la viande in vitro et le végétarisme. Mais ces solutions posent des problèmes d’acceptabilité sociale. Selon Julie Caron-Malenfant et Thierry Conraud dans leur ouvrage Guide pratique de l’acceptabilité sociale, pistes de réflexion et d’action, l’acceptabilité sociale est :

« Le résultat d’un processus par lequel les parties concernées construisent ensemble les conditions minimales à mettre en place, pour qu’un projet, programme ou politique s’intègre harmonieusement, et à un moment donné, dans son milieu naturel et humain. »

Ainsi, pour qu’un projet soit accepté, il doit répondre à un intérêt collectif et à des critères sociaux et environnementaux. Dans le cadre de notre controverse, l’acceptabilité sociale se retrouve dans la problématique suivante : sommes-nous prêts à accepter les solutions proposées par les acteurs pour réduire les émissions de gaz à effet de serre produits par l’élevage ?

Quelques chiffres :

Vanhonacker et al (2013) ont étudié l’intérêt des consommateurs à manger moins de viande dans le contexte d’une alimentation plus durable.

  • 72% des consommateurs de viande sont prêt à réduire leur consommation.
  • 73% ont déclaré leur volonté de consommer des substituts de viande plus écologiques, 45% des types de viande hybrides (mélanges de protéines d’origines animale et végétale) et 35% des produits à base de protéines végétales.
  • Seulement 5% ont déclaré être prêts à consommer des sources de protéines à base d’insectes.

Les insectes

Quels sont les avantages de la consommation d’insectes ?

Selon la FAO, d’ici 2050, la demande de viande devrait avoir doublé. Ainsi, il faudra produire toujours plus de viande ce qui signifie d’autant plus de pollution. Les élevages actuels, qui demandent énormément d’espace, posent des problèmes environnementaux car ils impliquent en particulier de déforester certains espaces forestiers qui captaient auparavant le CO2 émis, et des coûts énergétiques de transfert vers les usines et les villes importants. Face à ce constat, les insectes présentent des avantages de taille:

  • Ils émettent relativement moins de gaz à effet de serre que les bovins en élevage;
  • Ils nécessitent moins de surface pour une même production : or les gaz à effet de serre proviennent en grande partie de la déforestation qui est faite pour augmenter les capacités spatiales de l’élevage;
  • Ils ont un taux de « feed conversion » très important : 1 kg de cricket requiert 1,7 kg de nourriture alors que 1 kg de porc requiert 5kg de nourriture. Les insectes possèdent donc une “rentabilité écologique” importante.

Selon le biologiste Marcel Dicke, 80% de la population mondiale se nourrit régulièrement d’insectes. Dans une micro-conférence donnée dans le cadre des TEDtalks, il nous explique pourquoi nous devrions manger des insectes. Selon lui, nous mangeons environ 80kg de viande par personne et par an. Ce chiffre est plus faible dans les pays en développement mais ne fait qu’augmenter du fait de la constitution d’une classe moyenne aisée qui souhaite adopter les modèles occidentaux. En Chine, par exemple, la consommation de viande a augmenté de 20% à 50% ces dernières années. Aujourd’hui, d’après la FAO, 70% de la surface terrestre est utilisée pour l’agriculture et l’élevage. Produire plus signifierait alors plus de déforestation. La consommation d’insectes possède différents avantages :

  • Sur le plan sanitaire : selon Marcel Dicke, les insectes sont génétiquement si éloignés de l’espèce humaine qu’ils ne peuvent être des vecteurs de maladies comme le porc. De plus, la consommation d’insecte serait même bonne pour la santé dans la mesure où les insectes contiennent les nutriments nécessaires apportés par la viande.
  • La production d’insectes est plus rentable : avec 10kg de nourriture, on peut avoir 1kg de bœuf contre 9kg de sauterelles.
  • L’élevage d’insectes produit moins de déchets comme les lisiers, moins d’ammoniaque et de gaz à effet de serre.


 

Quelles sont les limites de la consommation d’insectes ?

      • Les recherches scientifiques ne sont pas suffisamment nombreuses.

Ce marché est récent et mérite donc de plus amples recherches, appuyées par des statistiques et des conclusions scientifiques de plus grande envergure. En effet, la plupart des élevages d’insectes sont aujourd’hui issus de “mini livestocks”, c’est à dire des exploitations à usage privé ou destinés marginalement à la vente. Il faudrait donc tester empiriquement, dans des élevages de plus grandes envergures, les bénéfices et l’impact environnemental de la production d’insectes et notamment la place que prendrait un élevage intensif d’insectes.

Par ailleurs, l’effet des méthodes d’élevage sur déchets demande des approfondissements en terme de sécurité sanitaire, de même que la consommation d’insectes en général.

      • Le problème d’acceptabilité sociale

En 2010, la FAO comptait près de 100 pays dans le monde dont les populations consomment des insectes de manière courante. Ainsi, plus de 1400 espèces d’insectes sont consommées quotidiennement en Afrique, Asie ou Amérique centrale par près de 2,5 milliards de personnes.

Pourtant, la consommation d’insectes reste un tabou alimentaire très fort en Occident. Pour l’entomologiste Arnold Van Huis :

« Le jour viendra où les gens qui mangent des insectes seront plus nombreux que ceux qui mangent de la viande »

http://www.vivelessvt.com/wp-content/uploads/2011/01/insectes-repas.jpg

Et en France ?

La consommation d’insectes se développe progressivement de deux façons :

- Une consommation directe : tout d’abord, on observe l’émergence de sites internet qui sont à la fois des sites commerciaux où l’on peut acheter des insectes et des sites d’informations sur la consommation d’insectes en général. Par exemple, http://www.mangeons-des-insectes.com/. Plus concrètement, des restaurants cuisinant des insectes ont récemment été créés comme Le Festin nu à Paris.

- Une consommation indirecte : par le biais des farines d’insectes. La société Ynsect, par exemple, produit des farines riches en protéines d’insectes destinées à l’alimentation des animaux d’élevage. Mais, Sabrina Teyssier, économiste à l’Inra (qui soutient ce projet) se demande « Combien les consommateurs seront-ils prêts à payer et quels sont les mécanismes d’incitation pour changer les comportements ? ». Les farines d’insectes pourrait alors constituer un premier pas vers la consommation directe d’insectes en France.

Finalement, nous voyons que la consommation d’insectes pose plusieurs problèmes que résume un chargé de communication sur la viande :

« Il ne faut pas oublier que, derrière, il y a un aspect culturel, social et d’accessibilité. Donc la question est la suivante : sommes-nous certains que l’alimentation par insectes réponde vraiment à un enjeu environnemental ? »

La viande in vitro

Quels sont les avantages de la viande in vitro ?

Récemment, le professeur Mark Post de l’Université de Maastricht a créé le premier hamburger dont la viande est produite in vitro, surnommé le « Frankenburger ». Le steak de ce hamburger est fabriqué à partir de cellules souches de muscle prélevées sur un bovin. Ces cellules sont plongées dans un liquide composé d’acides aminés, de sucre, d’hormones de croissance, de vitamines et de sérum de veau fœtal. Afin que le morceau de viande ait le goût et l’aspect d’un véritable steak, les chercheurs y rajoutent de la poudre d’œuf, de la chapelure, du jus de betterave et du safran.

 

Ainsi, la viande in vitro pourrait être une solution de substitution à l’élevage. En effet, sa production permettrait de répondre à la demande de viande tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre produits par l’élevage.

Des chercheurs ont calculé le bilan environnemental de la production de viande in vitro. Anna Tuomisto montre, dans un reportage sur Arte, que la production de viande in vitro utilise moins d’eau et moins d’espace (seulement 1% de ce dont nous avons besoin dans une production classique). De plus, la production de viande in vitro serait aussi un moyen d’installer des usines en ville ce qui permettrait une diminution du coût de transport et une meilleure traçabilité.

Quelles sont les limites de la viande in vitro ?

      • Des coûts économiques trop importants

La fabrication d’un seul steak coûte environ 250.000 euros et Mark Post estime qu’il faudra entre 10 et 20 ans pour voir le prix baisser suffisamment.

      • Des coûts environnementaux incertains

La production de viande in vitro nécessite l’utilisation de sérum de veau fœtal. Or, avec l’augmentation de la demande en viande, il faudrait plusieurs élevages entiers de vaches gestantes pour fournir le liquide. L’effet positif pour l’environnement de la chair in-vitro peut donc s’en trouver amoindri. Ainsi, les calculs des avantages de la viande in vitro ne sont que des calculs spéculatifs, donc peu fiables.

      • Un problème d’acceptabilité sociale

Sommes nous prêts à manger de la viande construite de toute pièce par des scientifiques ? Pour le CIV, la viande in vitro n’est pas réellement de la viande et un chargé de communication se demande :

« D’un point de vue social, est ce que les Français sont prêts à manger ça ? Est ce que tout le monde va pouvoir se le payer ? Qui est-ce que cela fait vivre en terme d’emploi ? »

A partir d’un sondage exploratoire, Pluhar (2010) a montré que la première réaction des consommateurs à la viande artificielle est une répulsion.
Dans une autre étude, Marcu et al (2013) ont constaté que les consommateurs ont mentionné diverses questions et préoccupations concernant la viande in vitro telles que : la sécurité des produits, leur valeur nutritive et leur prix, ainsi que les procédures technologiques, les incertitudes scientifiques, et finalement les implications sociales, économiques et culturelles.

Les critères d’acceptabilité de la viande in vitro sont donc de trois ordres :

  • D’ordre moral et culturel: une telle technologie est-elle acceptable ? Pouvons-nous qualifier cela de « viande » ? Ne s’agit-t-il pas d’une transgression des lois de la nature ? Dans ce cas, le caractère nécessaire de la technologie pourrait-il être plus fort que ces problèmes éthiques ?
  • D’ordre sanitaire : nous ne connaissons pas encore les effets de la viande in vitro sur la santé humaine.
  • D’ordre économique : un produit qui s’inscrit dans le développement durable est un produit qui doit répondre à un critère d’accessibilité. Ainsi, l’accessibilité à tous de la viande in vitro sera un enjeu déterminant de son acceptabilité.

Le végétarisme

Quels sont les avantages du végétarisme ?

Finalement, ne plus manger de viande du tout apparaîtrait comme la solution la plus efficace. De nombreuses associations défendent cette alimentation végétarienne. L’association L214 milite contre la consommation d’animaux, principalement dans une perspective éthique mais aussi en se basant sur des arguments écologistes. Via le site internet www.viande.info, elle montre notamment les différentes quantités de gaz à effet de serre rejetées en fonction du type d’alimentation.

Ainsi, pour ces associations, la solution la meilleure serait de ne plus consommer de viande du tout.

Quelles sont les limites du végétarisme ?

      • Des bénéfices environnementaux controversés

Pour Simon Fairlie, une alimentation strictement végétarienne n’est pas forcément une bonne solution. En effet, l’alimentation des animaux permet de se débarrasser de façon écologique des surplus que l’Homme ne consommera pas. Alors que la production de graines et légumes pour les végétariens peut entraîner des frais de transports importants.Dans un dossier de l’Express, « Manger moins de viande pour sauver la planète?« , les auteurs montrent aussi que le végétarisme est une option incohérente du point de vue de la protection de l’environnement. En effet, selon eux, les défenseurs d’une alimentation végétarienne ne prennent en compte qu’une partie du système de production, ce qui rompt les équilibres qui existent entre production végétale et animale. Ils ne prennent pas en compte tous les aspects du cycle de vie de la nourriture. Nicole Darmon, chercheuse à l’INRA, a mené une enquête sur les régimes végétariens. Dans cette étude, les chercheurs ont identifié les 400 produits les plus fréquemment consommés et ont estimé la quantité de gaz à effet de serre émise pour produire chacun d’entre eux. Tous les aspects du cycle de vie des produits ont été pris en compte :

« La seule étape que nous n’avons pas prise en compte est le transport depuis le supermarché jusqu’à la maison »

En étudiant les différents régimes alimentaires, ils en sont arrivé à la conclusion que les régimes « bon pour la santé », à base de fruits, de légumes ou de poissons, par exemple, sont des régimes alimentaires qui émettent autant, sinon plus, de gaz à effet de serre que les autres régimes. Selon Nicole Darmon, cela est lié au fait que les individus mangeant un régime à base de plantes doivent manger plus pour obtenir la quantité d’énergie qu’ils auraient avec un morceau de viande.

Ainsi, nous voyons bien que toutes ces solutions possèdent des avantages et des inconvénients et font controverse notamment du fait de leur radicalité. D’autres solutions, internes à l’élevage, sont peut-être plus envisageables.

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