Rapport de la FAO : déclenchement de la controverse

Le rapport de 2006 de la FAO « Livestock long shadow » a  joué le rôle de lanceur d’alerte sur le lien existant entre l’élevage et les émissions de gaz à effet de serre (GES), cause du réchauffement climatique. Les chiffres avancés dans ce rapport ont depuis été contestés et nuancés, mais globalement, l’idée d’une corrélation entre GES et élevage a été prise en compte et acceptée comme une donnée préalable du débat que nous allons étudier.

En 2006, l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) publie un rapport intitulé  « Livestock long shadow », l’ombre portée à l’élevage. Elle y souligne les impacts négatifs de l’élevage sur l’environnement. Une information en particulier sera retenue, notamment parce qu’elle est mise en avant par le communiqué de presse :

“Le secteur de l’élevage joue un rôle majeur, car il est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mesurés en équivalent CO2. C’est plus que ne polluent les transports.”

L’information fait mouche. Elle est largement reprise par la presse et remobilisée par différents milieux.

Les végétariens et défenseurs des droits des animaux, d’abord, en font un argument supplémentaire de leur arsenal. Sur le site viande.info créé par l’association de défense  des animaux L214  le rapport de la FAO est explicitement cité dans l’onglet « effet de serre et déforestation » dans lequel on peut lire que « l’élevage est le premier responsable des GES ». De même l’Association végétarienne de France mobilise les résultats de la FAO pour justifier le régime végétarien sur le plan environnemental.

Le militant Fabrice Nicolino, journaliste engagé auteur de Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde  (2009, édition Les liens qui libèrent) reprend également les chiffres de la FAO pour appuyer sa thèse.

manger moins de viande

Source: http://www.actuanimaux.com/actualites/articles/un-livre-un-appel-pour-sauver-la-planete-en-mangeant-moins-de-viande

 Les médias qui souvent adoptent l’angle des problèmes sanitaires pour aborder le sujet de la viande réalise de plus en plus d’articles centrés sur les problèmes environnementaux et établissent en particulier un lien direct entre les gaz à effet de serre et l’élevage en s’appuyant sur le rapport Livestock long shadow. Ce n’est pourtant pas le seul moyen de traiter des liens entre élevage, environnement et développement durable comme nous l’a dit Jean-Louis Peyraud chercheur à l’INRA:

« On a déjà bien abordé la question de l’élevage et des GES. Mais moi j’insiste:  les GES, c’est un angle d’attaque et il y en plusieurs d’autres. Et il n’y aura pas une solution avec un seul point de vue. »

 On retrouve donc aussi largement ce chiffre de 18% des émissions de GES dans la presse comme une information choc, d’autant que la FAO l’avait mis en perspective avec les émissions des transports habituellement pointés du doigt sur les questions de pollution. L’entête du dossier de l’Express de 2010 intitulé « Manger moins de viande pour sauver la planète? » l’illustre bien:

« Selon la FAO, l’élevage serait à l’origine de 18% des émissions de gaz à effet de serre  (davantage que les transports) et de 8% de la consommation mondiale d’eau. Il est urgent de réduire notre consommation de viande pour protéger la planète et lutter contre la faim dans le monde. »

A partir de cette période, de plus en plus d’équipes scientifiques se saisissent du problème. Le graphique suivant représentant le nombre d’articles au sujet de l’élevage et du développement durable qu’on peut trouver sur la base de données scientifique Web of Science le montre bien.

Pour en savoir plus sur l’analyse des bases de données scientifiques c’est ici.

Ce sont à la fois des agronomes, en particulier issus de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) pour la France, et des économistes qui s’intéressent à ce sujet; mais aussi des sociologues et des géographes. Nombre de ces chercheurs contestent le chiffre de 18% avancé par la FAO comme M. Pitesky et all dans l’article « Clearing the air: Livestock contribution to climate change » publié en 2009  où l’on peut lire:

“The statement that 18% of anthropogenic global GHGs is caused by livestock production […] is based on inappropriate or inaccurate scaling of predictions, and thus is open to intensive debate throughout the scientific community.”

La comparaison des émissions de l’élevage avec celle des transports est critiquée comme reposant sur une erreur méthodologique.

« Ce serait plus que les transports au niveau mondial ce qui a plu à certaines compagnies aériennes qui ont fait de la pub avec ça. Ça, c’était faux parce que c’était les premières années où les gens commençaient à maitriser les techniques d’analyse de cycle de vie et en fait pour les animaux les 18% intégraient bien tous les éléments du cycle de vie, depuis la fabrication d’aliments jusqu’à la transformation des produits alors que pour les transports ils avaient juste compté la consommation de carburant pendant le transport. Ils avaient oublié qu’il faut quasiment un litre de pétrole pour en extraire un, donc c’était une erreur méthodologique qui a fait dire que les ruminants émettaient plus que les transports. Ça a fait beaucoup de mal aux ruminants, puisque dès l’instant où un chiffre comme ça est lancé  il est repris par les média pour les gens c’est un chiffre c’est la vérité. »

Source: Entretien avec Jean-Louis Peyraud

 Cependant le débat porte moins sur l’existence d’un lien entre les émissions de GES et l’élevage que sur le calcul du pourcentage d’émission.

Le chiffre de 18% est controversé, dans des articles scientifiques, comme on l’a vu, mais aussi par des associations professionnelles et par la FAO elle même. L’organisation des Nations Unies travaille en effet à l’amender: en effet, elle a depuis publié un deuxième rapport « Tackling climate change through livestock » (2013) dans lequel elle revient sur ses précédentes assertions en avançant que « ce secteur [de l'élevage] serait responsable de 14,5% des émissions de GES dues aux activités humaines ». Elle supervise également une commission de travail inter-organismes créée en 2012 qui regroupe des ONG, des associations professionnelles et gouvernementales: le Livestock Environmental Assessment  and Performance Partnership, qui a pour but d’aboutir à une meilleure mesure des performances environnementales des différents systèmes d’élevage.

Néanmoins, tous les acteurs du débats sont d’accord pour reconnaître une responsabilité de l’élevage dans les émissions de GES. Les associations professionnelles, devant l’agitation suscitée par cette association entre la production de viande et les problèmes environnementaux, réagissent. Si certaines comme la FNSEA, principal syndicat agricole français, évitent d’aborder frontalement le sujet, d’autres, comme INTERBEV, créent postes de communicants environnement et financent des organismes de vulgarisation scientifiques dédiés comme le Centre d’Information des Viandes.

Caroline Guinot, chef de projet environnement chez INTERBEV, explique ainsi la création de son poste et l’émergence d’une controverse autour de la viande et des GES:

« A ce moment-là [publication du rapport "Livestock long shadow"], branle-bas de combat dans le milieu de l’élevage dans le monde; et notamment en France avec l’incompréhension des éleveurs et de la filière viande. Et c’est là qu’ils ont créé mon poste de chargée de projet environnement, sachant que jusqu’alors les questions environnementales étaient traitées dans la filière mais surtout autour des nitrates, justement, il y a eu toutes les mises aux normes des exploitations. Puis il y a eu des questions autour du sanitaire avec l’ESB et en fait, la question des gaz à effet de serre est arrivée un peu comme un pavé dans la mare par les éleveurs qui sont vraiment au niveau du local, de leur territoire. Tout d’un coup on leur mettait sur le dos une problématique mondiale qu’ils ne comprenaient pas forcément. »

Le rôle du syndicat interprofessionnel a donc alors été de fournir des arguments techniques et scientifiques aux éleveurs afin de les aider à se repérer et à agir. Il fallait aussi décider de positions communes et communiquer avec le personnel politique, notamment sur les questions d’affichage environnemental.

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