Marché traditionnel
L’Open Access a bouleversé la structure du marché traditionnel de l’édition scientifique.
Un peu d’histoire
Le marché traditionnel de l’édition scientifique tel que nous le connaissons aujourd’hui est le résultat d’une longue évolution. Ses débuts remontent à 1454, quand apparaît la presse à imprimer avec Gutenberg. Cette invention est une réelle avancée dans la circulation du savoir scientifique, puisqu’elle permet une diffusion plus large des connaissances scientifiques, et fournit aux scientifiques des bases écrites sur lesquelles appuyer leurs recherches. Les premières maisons d’éditions se développent en lien avec des sociétés savantes et des universités. De ce nouvel ordre, naissent des cercles de savants comme l’Académie Royale en France, en 1666. Sous leur impulsion, en 1665, les premières revues scientifiques apparaissent au même moment à Londres et à Paris (le Journal des savans, par exemple).
C’est notamment après-guerre que l’édition connaît un important développement. Des années 60 aux années 80, les revues se multiplient, et il y a une discorde qui se crée entre les maisons d’édition, les bibliothèques et les scientifiques, due aux contraintes budgétaires qui pèsent sur le monde scientifiques. On voit également l’apparition d’éditeurs commerciaux dans les années 1970 qui deviennent propriétaires de revues scientifiques prestigieuses, et qui étaient auparavant prises en charge par des organisations académiques.
L’impulsion du World Wide Web
Même si les premières publications de revues scientifiques en lignes sont datées à 1964, cette activité est très minoritaire. C’est avec la diffusion du World Wide Web, dans les années 1990, et la création de plate-formes d’articles en ligne, qu’un marché de l’édition scientifique numérique se met petit à petit en place. Aujourd’hui, toutes les publications scientifiques éditées sont disponibles sur internet, dans un contexte de démocratisation du savoir. C’est sous l’impulsion du développement du World Wide Web qu’est né le mouvement pour le libre accès, et une volonté, avec Internet, de rendre disponible librement (et/ou gratuitement) le contenu numérique des connaissances scientifiques.
Pourquoi publier des articles scientifiques ?
Traditionnellement, un chercheur qui souhaite publier des résultats en matière de recherche scientifique, sous forme d’article, doit nécessairement passer par une revue scientifique. La publication d’un article dans une revue scientifique permet de le confronter à la communauté scientifique, et d’archiver les résultats pour référence ultérieure. Pour un auteur-chercheur, la publication d’articles est indispensable à sa reconnaissance au sein de la communauté scientifique, et une manière de progresser dans sa carrière.
La mentalité de « Publish or perish »
Selon Wikipedia, « publier ou périr », qui est une transposition de l’expression anglaise bien connue « publish or perish », qui «renvoie à l’idée que tout intellectuel doit publier régulièrement, dans les revues scientifiques, des résultats sur ses travaux au risque de voir ses revenus diminuer, ses projets scientifiques suspendus, sa réputation scientifique diminuer ou sa carrière progresser moins vite ».
Jean-Claude Guédon, dans un article de Libération, explique que :
Si ces revues parviennent à fonctionner au plan économique, et même à faire d’importants bénéfices, c’est que règnent dans nos universités des formes perverses d’incitations à publier, le «publish or perish» où le nombre d’articles et le facteur d’impact des publications (une mesure d’ailleurs aberrante) sont devenus les seuls moyen d’évaluer les chercheurs. Le chercheur est donc pris dans l’étau d’une compétition générale gérée par le classement de certaines revues – les « core journals ».
Comment s’organise le « marché » de l’article scientifique ?
Nous opérons une distinction d’emblée entre le marché de l’article scientifique, et le marché de l’édition scientifique, qu’il ne faut pas confondre. Ni les auteurs, ni les membres de comités d’édition ou ou de relecture, ne sont rémunérés par les revues pour la publication d’un article, dans le cadre d’un marché de l’article scientifique.
« Le marché de l’article scientifique est essentiellement structuré par les revues dont l’élaboration intellectuelle, la production technique et la diffusion commerciale sont assurées par différents acteurs », nous explique Ghislaine Chartron, chercheuse en Science de l’information et de la communication, dans « Acteurs du « marché » de l’article scientifique, impacts du numérique ». Le marché est régi principalement par la vente de ces revues des maisons d’édition aux bibliothèques, sous forme d’abonnements annuels (et les abonnements individuels demeurent minoritaires). Le marché est ainsi essentiellement régi par des transactions entre éditeurs et bibliothèques.
Le processus de publication
Le chercheur, qui fait souvent des appels à contributions, soumet son article au comité de rédaction d’une revue qu’il a choisi, qui organise ensuite une évaluation scientifique de l’article en faisant appel à quelques experts du champ de savoir auquel se réfère l’article. Ces experts vont choisir d’accepter, de rejeter ou de demander des modifications de l’article, mais le rédacteur en chef de la revue fait autorité sur la décision. Comme l’explique Ghislaine Chartron,
L’évaluation est une valeur ajoutée centrale ainsi que les corrections apportées par le secrétariat de rédaction de la revue.
Dans le secteur des STM aux Etats-Unis, la publication scientifique est regroupée autour de quelques revues « phares », et les bénéfices sont concentrés entre les mains de grandes maisons d’édition. Le graphique suivant montre la concentration de la publication scientifique par trois grands groupes, dont le principal Elsevier, qui en détient 28% :
(Cliquez sur l’image pour l’agrandir)
Les éditeurs, acteurs essentiels dans le processus de publication scientifique
Paul Garapon, conseiller éditorial au Presses Universitaires de France, s’indigne :
Quel intérêt a un auteur d’être partout sur la place publique, d’être piraté, à voir ses propos déformés, à voir ses propos utilisés dans un sens contraire à ses idées, sans protection, sans aucun support promotionnel ? Oui, on a besoin des éditeurs, oui on a besoin de protéger la production intellectuelle, et oui, on a besoin de la promouvoir.
L’éditeur remplit une fonction vitale dans cette structure de l’édition scientifique : celle de filtre. Car c’est lui, finalement, qui contrôle la qualité de ce qui est publié dans le monde académique et scientifique. Leur diversité est essentielle; comme le dit Ghislaine Chartron :
Toute l’histoire de l’édition est inscrite dans une indépendance. Il faut, surtout en sciences humaines, maintenir cette diversité de la publication, des connivences des chercheurs avec les éditeurs, c’est ce qui fait la richesse et la diversité. Si demain on est obligé de passer par un seul site pour publier c’est l’horreur, c’est le système soviétique.
Ghislaine Chartron, bien qu’ayant été militante pour l’Open Access dans les années 1990, relativise cette initiative de vouloir mettre toute information en rapport avec la recherche scientifique en accès libre à tous.
J’étais une des premières à militer pour l’Open Access, mais aujourd’hui vu comment ça se renverse, il faut aménager la circulation des textes, et non pas détruire la fonction éditoriale.