L’autorisation des protéines animales transformées par l’Union Européenne a été motivée par divers intérêts, et donc influencée par différents acteurs. Il faut avant tout prendre conscience que cette autorisation a été décidée par une commission d’experts scientifiques de l’Union Européenne, la condition nécessaire de la réintroduction étant le caractère sain de ces farines animales de nouvelle génération. Toutefois, cette condition n’est pas suffisante, il faut également des acteurs pour faire pression sur l’Union Européenne.

Qui a poussé la décision de l’Union Européenne, et pour quels motifs ?

L’association européenne des producteurs de farines et graisses animales (l’EFPRA) s’est naturellement prononcée en faveur de la réintroduction des PAT. Elle s’appuie notamment sur des arguments techniques : les PAT sont des aliments adaptés aux poissons et n’ont jamais trouvé d’équivalent en termes de richesse en protéines. Comme le précise le Dr. Martin Alm, directeur technique de l’EFPRA :

“Since the ban no individual feed ingredient has offered an holistic  solution to fill the gap that was left by meat and bone meal. Soya, whilst  an excellent source of protein and energy does not supply the same  range of vitamins and minerals: calcium, phosphorous and vitamin B12,  for example, were all supplied to varying degrees by animal proteins.”

Par ailleurs, les substituts aux farines animales sont très coûteux pour l’Union Européenne, qui a un déficit en termes de protéines pour animaux de 70%. C’est pourquoi l’un des éléments déclencheurs de la réintroduction des farines animales est la résolution du Parlement Européen sur « le déficit de l’Union Européenne en protéines végétales » (8 mars 2011), qui suggère d’utiliser les protéines animales transformées dans l’alimentation des poissons. À plus petite échelle, les pisciculteurs et aquaculteurs européens revendiquent également le retour des farines animales pour leurs avantages économiques. En effet, l’aliment représente entre 60 et 70% du coût de revient des éleveurs et aquaculteurs français, ces derniers sont donc sensibles au prix des aliments. Toutefois,  cet argument est à nuancer, notamment en France où les pisciculteurs, dépendant des supermarchés, ont peur de nourrir leurs poissons aux farines animales car les grandes surfaces pourraient refuser leurs produits. Keith Burrow, le pisciculteur français que nous avons interviewé, exprime cette dépendance des pisciculteurs vis-à-vis des supermarchés.

La résolution du Parlement Européen a été adoptée par la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire. La dimension écologique des protéines animales transformées a effectivement joué un rôle dans la prise de décision européenne. La PCP (politique commune de la pêche) se prononce en faveur de la réintroduction des farines animales puisque celles-ci permettraient de réduire sensiblement la surpêche. 30% des prises totales sont en effet transformées en farines et huiles de poisson, l’enjeu se révèle donc important. Par ailleurs, la Commission prend en note l’empreinte carbone des substituts aux farines animales, qui sont importés d’autres continents comme le Brésil pour le soja.

Comment peuvent-ils réclamer la réintroduction des farines animales après le scandale de la vache folle ?

Les acteurs cités précédemment se sont prononcés en faveur de la réintroduction des PAT à partir du moment où des travaux scientifiques sur le caractère sain des PAT ont été publiés. Ainsi, ils se sont d’abord appuyés sur le fait que les protéines animales transformées sont sans danger pour, ensuite, mettre en avant les arguments techniques, économiques et écologiques.

De plus, comme nous l’avons vu précédemment, ce ne sont pas les farines animales qui sont réintroduites mais les Protéines Animales Transformées : c’est l’argument principal de tous les acteurs favorables à la réintroduction des PAT.

C’est pourquoi l’Union Européenne annonce dans sa feuille de route du 16 juillet 2010 le « réexamen de certains aspects de l’interdiction totale de farines animales ». Sont concernées les « protéines issues de carcasses de non-ruminants (porcs ou volailles), ayant fait l’objet, a minima, d’une inspection favorable à l’abattoir, et pour lesquelles une méthode de transformation normalisée d’hygiénisation, combinant des paramètres de température, pression, durée et granulométrie, est appliquée. » Cette feuille de route se fonde sur le travail d’experts scientifiques qui ont mis en évidence le peu de risques que ces protéines animales transformées pouvaient engendrer. Parmi ces travaux figure le rapport de l’EFSA (autorité européenne de sécurité des aliments) qui met en valeur le risque négligeable de transmission de l’ESB aux volailles nourries avec des protéines de porc.

Les avis des acteurs cités précédemment sont-ils unanimes ?

Loin de là, et c’est autour de ce problème que s’articule la controverse. En effet, cette divergence des avis au sein d’un même secteur laisse une marge d’opinions et d’interprétations qui crée un conflit entre ceux qui se prononcent en faveur de la réintroduction des PAT et ceux qui y sont défavorables.

Parmi les scientifiques, bien que la majorité d’entre eux ait conclu sur un risque négligeable de contamination de l’homme, certains restent sceptiques. C’est ainsi qu’en octobre 2011, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) publie un  rapport après avoir été saisie en octobre 2010 par la direction générale de l’Alimentation, la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et la direction générale de la Santé. Le rapport émet un avis négatif.

Parmi les pisciculteurs et aquaculteurs, les avis demeurent divergents, notamment sur la rentabilité économique des protéines animales transformées. En effet, si le consommateur décide de ne pas acheter de poissons nourris aux PAT, c’est le pisciculteur qui va subir une baisse de vente de poissons nourris aux PAT par peur des supermarchés de ne pas écouler leur stock. C’est pourquoi le CIPA (Comité Interprofessionnel des Produits de l’Aquaculture) est défavorable à la réintroduction des PAT, ce qui peut paraître paradoxal au premier abord, mais qui l’est moins lorsqu’on considère l’influence des consommateurs sur de tels comités.

Ces désaccords au sein des groupes d’acteurs résultent naturellement en une incompréhension du problème et une indécision de la part des consommateurs.

Synthèse : 

Différents acteurs se sont prononcés en faveur d’une réintroduction des farines animales, et mettent en avant des arguments différents : les producteurs de farines et graisses animales mettent en avant la richesse nutritive de celles-ci, le Parlement européen s’appuie sur le déficit de l’UE en termes de protéines pour animaux, la Commission de l’environnement justifie sa prise de position par la dimension écologique des PAT, et certains pisciculteurs pensent aux bénéfices qu’ils pourraient faire. Mais tous ces arguments n’arrivent qu’au second plan, l’aspect sanitaire étant le plus important.

Suite : L’UE et la France, deux visions des choses