La prise de décision par la Commission Européenne de réintroduire les farines animales dans le cadre de l’aquaculture a été permise par le développement d’une nouvelle catégorie de farines animales par les producteurs spécialisés. Il convient de se demander ce qui différencie ces nouvelles farines des anciennes.

 

Quelles sont les particularités de ces nouvelles farines ?

La principale différence entre les anciennes farines animales et les nouvelles réside dans la manière dont les producteurs les fabriquent. Auparavant, les farines animales étaient élaborées à partir de sous-produits d’animaux destinés à l’incinération ou à des usages non alimentaires, c’est à dire des produits impropres à la consommation telles que des carcasses.

Les nouvelles farines qui sont désormais appelées « protéines animales transformées » (PAT) sont uniquement produite à partir de sous produits d’animaux sains qui ne peuvent être consommés pour des raisons commerciales comme leur aspect visuel. C’est ce que précise le ministère de l’agriculture :

« Les Protéines animales transformées (PAT) sont des sous-produits issus d’animaux sains, c’est-à-dire des animaux issus de la chaîne alimentaire conventionnelle, abattus à des fins d’alimentation humaine, mais dont les morceaux ne sont pas consommés pour des raisons commerciales (morceaux non nobles, pieds de porc, aspects visuels… ). »

En d’autres termes, il s’agit de passer de l’utilisation de matières de catégorie 1 à des matières de catégorie 3 dont les définitions fixées dans le règlement européen de 2002 sont précisées ci après :

Matières de catégorie 1 : ce sont celles qui présentent un risque vis-à-vis des viandes à «risque prion» et les animaux suspectés ou déclarés atteints d’EST. Cette catégorie contient aussi les produits contaminés par certaines substances interdites  ou dangereuses pour l’environnement.

Matières de catégorie 2 : associées à un risque sanitaire vis-à-vis des zoonoses et maladies animales autres que les EST. On y trouve aussi les denrées saisies pour motif sanitaire et les cadavres d’animaux morts autrement que par abattage ou des produits contaminés par des résidus de médicaments vétérinaires.

Matières de catégorie 3 : elles proviennent d’animaux jugés sains et sans risques spécifiques, c’est-à-dire dont les carcasses ont été déclarées propres à la consommation humaine après inspection sanitaire. Seuls les produits de cette catégorie sont autorisés pour la production de farines destinées à l’alimentation animale.

Autre différence,  le Ministère de l’Agriculture a annoncé que « les seuls animaux qui pourront être nourris de protéines animales transformées de non ruminants seront des animaux aquatiques (sole, turbot, rouget-barbet) ». Il s’agit de respecter le principe de « non cannibalisme », qui interdit de nourrir un animal avec des farines issues d’animaux de la même espèce (y compris pour les poissons : la sole ne peut pas manger des farines animales de sole par exemple).

En outre, seuls les sous-produits de porcs et de poulets pourront entrer dans la composition des PAT, les ruminants (et donc les bovins) restant exclus.

Les différences entre les anciennes farines animales et les protéines animales transformées est affirmée comme fondamentale dans le milieu de la production, comme le prouve l’interview avec Steven Luguet, responsable commercial de SARIA Industries, producteur de protéines animales transformées :

« Surtout, dans votre langage, pour bien que les gens comprennent les choses, il est important de séparer farines animales et PAT, pour montrer que dans le monde professionnel, on segmente bien les deux. Les farines ne repartiront jamais, au grand jamais, dans l’alimentation des poissons. »

Il est intéressant d’étudier les données tirées de Google Trends qui mesure le nombre de fois (normalisé) où un mot-clé a été tapé sur Google par année. Si l’on compare les recherches portant sur les « farines animales » et les « protéines animales », on obtient le graphe suivant :


« Farines animales » (en bleu) vs. « Protéines animales » (en rouge)

Ainsi, le terme de protéines animales commence à être connu du public à partir de mars 2009 et les recherches commencent sur google. Néanmoins, on peut remarquer que la quantité de recherches avec le mot-clé « farines animales » dépasse largement celle du mot-clé « protéines animales », le changement de terme n’a donc pas été bien intégré chez les consommateurs.

Face à l’utilisation de farines animales dont les ancêtres avaient provoqué la crise sanitaire de la vache folle, il convient de se demander si ces nouvelles farines comportent des risques sanitaires pour leurs utilisateurs.

Quels risques la fabrication de PAT peut-elle comporter ?

La décision européenne a été basée sur des études scientifiques menées par des experts en nutrition notamment portant sur les risques que l’utilisation de protéines animales transformées pourraient comporter.

Françoise Médale, responsable de l’unité INRA Nutrition Métabolisme Aquaculture, affirme que la Commission européenne a reçu des preuves que ces risques étaient nuls :

« La Commission européenne s’est interrogée sur le fait de continuer à interdire l’usage de certaines protéines d’origine animale dans l’alimentation des animaux monogastriques (volailles, porc, poissons) dans le contexte de la crise alimentaire mondiale. Elle a demandé des études scientifiques pour évaluer l’intérêt nutritionnel de ces produits et les risques liés au prion et à la prévalence de l’ESB. Il a été prouvé qu’il n’y a pas de risques identifiés pour les produits de porc et de volailles destinés à l’alimentation humaine. »

Afin de tester ces risques éventuels, des chercheurs ont inoculés le prion (définition) à des volailles et des porcs et ils ont établi que le prion ne se développait pas.

Une équipe de chercheurs japonais a notamment réalisé une étude quant à l’efficacité des méthodes de chauffage des farines animales ayant pour but de supprimer les prions. Ces chercheurs ont tenté de stériliser des carcasses de vaches contaminées par des prions mais cet agent infectieux ne peut être détruit par les méthodes de stérilisation classique. Ainsi, ils ont mis en place une méthode de stérilisation en chauffant les carcasses et observer les résultats pour plusieurs températures. Il faut noter par ailleurs que de nombreux facteurs peuvent faire varier les résultats de stérilisation des prions comme la pression, la taille et le taux de matière grasse de la carcasse, son taux d’eau.

L’article montre qu’un traitement d’une heure à 140°C ne réduit pas les risques d’infection au niveau zéro alors que c’est le genre de traitement réalisé au Japon.

Pour un traitement de trois heures à 180°C on trouve encore des traces de germes pathogènes mais une autre expérience a donné comme résultat que le risque d’infection a bien atteint le niveau zéro.

« In this study, we demonstrated that heat treatment at 180°C for 3 h is required for the loss of infectivity of BSE prion in grease heating in our experimental conditions. »

Les chercheurs concluent aussi en prônant leur méthode de détection du prion par leur technique du « PCMA » qui permet des résultats rapides et précis. Cette méthode peut être utilisée lors de la production de farine animale pour tracer d’éventuelles germes pathogènes.

« The serial PMCA technique is more practical and less time consuming than bioassays, and may be applicable for monitoring residual PrPSc in the other steps of the manufacturing of MBMs and useful for safety evaluation for recycling and effective utilization of MBMs. »

Plus précisément, les protéines animales transformées posent aussi le problème de la traçabilité, c’est à dire la connaissance de la composition des farines produites puis des viandes vendues. En effet, il faudrait par exemple être sûr que les produits de bovins n’y sont pas mêlés. Frédéric Vincent, porte-parole Santé et politique des consommateurs à Bruxelles, a répondu à cette question en affirmant qu’une méthode de traçabilité avait été trouvée et diffusée aux Etats de l’Union Européenne :

« La méthode pour identifier l’ADN de ruminants susceptible d’être présent, même en très faible quantité, dans les aliments pour animaux, a été validée en mars 2012. Elle est connue de tous les États membres, qui sont capables de la mettre en œuvre. »

Ainsi, les membres politiques de la Commission Européenne ont pu établir grâce aux experts en nutrition que la réintroduction de ces nouvelles farines était possible du fait de leur nouveau mode de production et leur absence de risque pour la santé des consommateurs.

Suite : Autorisation des PAT : Qui les réclame ?

Ou si vous voulez la réponse de la question : Quelles limites des études menées sont mises en avant par les experts auprès des gouvernements ?