Les consommateurs construisent leurs opinions en fonction de ce qu’ils entendent dire, de ce qu’ils savent. Il est ainsi intéressant de se demander dans quelles mesures une image peut-elle avoir des répercussions sur les décisions politiques.

Etudier l’influence de l’image des farines animales revient à s’intéresser  à ceux qui la transmettent. Il est ici question des médias, qui collectent des informations dans le monde pour les transmettre, et des associations de consommateurs, qui se veulent des porteurs de voix.

Certains médias offrent une certaine objectivité des faits, en ne relatant que ce qui est visible. D’autres interprétent les faits, ce sont les médias d’opinions. C’est la pluralité des médias qui permet d’avoir une large gamme d’interprétation des faits.

Les associations de consommateurs utilisent les médias pour mettre leurs idéaux en évidence et pour assurer un suivi de leurs actions auprès des populations qu’ils représentent.

Les crises sont un observatoire privilégié pour mettre en évidence le rôle des médias, à la fois dans l’expression et dans la formation de l’opinion publique. Elles reflètent l’affrontement de différents partis ou idéaux mais influencent aussi l’issue (ou l’enlisement) des débats.

Dans le cas de la crise de la vache folle, l’analyse quantificative permet de mettre en valeur deux intéressants pics de la médiatisation du sujet. Entre 2000et 2002 puis entre 2011 et 2013.

Le graphique ci-dessous a été tracé après navigation dans les sites d’associations françaises de consommateurs (CLCV, conso.net, AFOC, Familles Rurales, UFC Que Choisir). Il montre que, tout comme les médias, les associations de consommateurs s’intéressent au sujet notamment aux moments des décisions politiques majeures. En effet, les deux pics de documentations sont liés à des évènements importants pour le sujet : l’interdiction totale des farines animales et leur réintroduction (cf frise chronologique).

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Quel est le poids de l’image sur les chaines de distribution et les réflexions politiques ?

Il est évident qu’un produit ne se vend que si le consommateur l’achète. Or le consommateur n’achète pas des produits qu’il juge dangereux. Dans le cas de la viande de bœuf, comme nous l’avons précédemment évoqué, les consommateurs ont très vite assimilé les Farines Animales à un danger. Nous voyons ici plus en détail comment le consommateur s’est-il désaffecté de la viande de bœuf lors des années de crise.

Le diagramme ci-dessous exprime la variation de la consommation moyenne de viande de bœuf, selon des chiffres tirés du livre De La Vache Folle Au Mouton Fou.

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Il est intéressant de noter que cette désaffection pour la viande de bœuf avait déjà commencé avant les crises de la vache folle. Par ailleurs, il faut rajouter à ce graphique le fait que la décroissance entre les années 1990 et 2000 s’est vue atténuée par l’enthousiasme pour la restauration rapide (dans lesquels on écoulait de la viande de bœuf sous forme de viande hachée).

Dès les années 1960, le prix de la viande s’élève alors que le budget des ménages diminue. Parallèlement, la qualité de la viande vendue en boucherie est de plus en plus médiocre, la cause étant l’accélération de la grande distribution.

Dans les années 1970, c’est le début des campagnes antigraisses, anticholestérol. Le gras est associé aux maladies cardiovasculaires à tel point que les consommateurs se retranchent dans la crainte excessif du gras : c’est le début d’une psychose collective. Dans ce contexte, la crise de la vache folle des années 80 n’arrangea pas les choses. Par-dessus tout, les années 90 furent proies à de nombreux scandales. Citons par exemple les 50 tonnes de viande avariée destinée à des boucheries halal à Pontoise pendant l’été 1999. Ou encore en décembre 2000 le contrôle d’un camion rempli de viandes destinées à la charcuterie en Ille-et-Vilaine et dont la date de péremption était dépassée.

Ces crises ont néanmoins permis de découvrir combien le consommateur européen était très préoccupé par son hygiène alimentaire. Avec l’explosion des échanges en Europe et l’amélioration de la logistique des transports, les consommateurs, qui ne s’inquiètent plus de leur approvisionnement en denrées basiques, se questionnent sur la qualité de ce qu’ils achètent, en terme de sécurité, de salubrité.

Alors qu’il est bien difficile de satisfaire un consommateur méfiant, la France hésite à lancer un nouveau débat, celui de la vache folle. La question est de savoir si le lancement de PAT sur le marché marquerait le début d’une nouvelle désaffection du consommateur à l’égard de la viande de bœuf, qui, au cours du XXème siècle, a échangé son image de « denrée saine » contre celle de « denrée toxique ».

Par ailleurs, alors que la commission européenne donnait son accord en faveur de la réintroduction des PAT dans l’aquaculture, les consommateurs français exprimèrent leurs opinions, en demandant la création d’un label « sans farines animales ». Cette idée a largement été véhiculée dans les différents journaux de France. En voici quelques exemples :

Isabelle de Foucaud, le Figaro, 15/02/13 :
Dans le sillage du scandale de la viande chevaline, c’est justement la traçabilité qui inquiète les associations de consommateurs.

«Il faut que, sur les étals des poissonniers, les produits d’élevage nourris aux farines animales soient signalés comme tels, avec un étiquetage clair»,

revendique Thierry Damien, président de Familles Rurales. «Le consommateur doit pouvoir faire son choix en connaissance de cause.» 

Le Monde, 19/02/13 :
La ministre de l’écologie, Delphine Batho, a appelé, dimanche 17 février, à la création d’un label « sans farine animale » pour informer les consommateurs, estimant que ce n’est pas dans la logique de la chaîne alimentaire que de donner de la viande à manger à des poissons. 

Sophie Bourges, L’Express, 17/05/13 :
Un label officiel offrira cette garantie ainsi qu’une meilleure lisibilité pour les consommateurs.

Mais quel est l’impact d’un label sur le choix du consommateur ? Le principe de labellisation consiste à fournir à l’acheteur un nouvel outil d’appréciation et de comparaison des produits, concernant des attributs de qualité qu’ils ne pourraient pas évaluer eux-mêmes. Par ailleurs, d’après les données du CRIOC (Centre de Recherche et d’Information des Consommateurs) : « Un consommateur sur trois estime, en général, que la présence d’un label […] est un critère important dans la sélection d’un produit alimentaire […]. »

Or, il est évident que les producteurs ne souhaitent pas s’engager dans l’élevage avec des farines animales sans que cela soit admis par les consommateurs. Si le label « Sans Farines Animales » devenait effectif, les ventes dans les élevages nécessitant les PAT risqueraient de chuter.

Par conséquent, les intérêts (notamment économiques) de la réintroduction des farines animales sont d’autant plus difficiles à évaluer qu’ils dépendent essentiellement de la manière dont réagissent les consommateurs à la mise en place de cette mesure. Leur état d’esprit est donc déterminant dans  la manière dont l’Etat pèse l’impact de ces mesures et ainsi dans les réflexions politiques.

Suite : La conclusion.

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