On connait l’importance du centre de formation messin. Comment gérer l’avenir des jeunes, et notamment l’éventualité d’un échec ?
C’est la question traditionnelle de l’échec, comme dans toute structure débouchant sur une carrière. Il est clair que ce sont des centres d’élite et de haut niveau, mais ce sont aussi des centres où l’on essaye d’inculquer une culture générale. Les jeunes vont tous dans des centres d’éducation publics : collège pour la préformation, lycée ensuite. On est le meilleur club en France au niveau de la réussite au bac. On a mis en place des structures de suivi scolaire : les garçons sortent à 15h l’après-midi, s’entrainent jusqu’à 18h, puis sont pris en charge au niveau des structures et du soutien scolaire. Des professionnels viennent pour donner des petits cours et donner des préparations spécifiques à l’approche d’examens comme le bac. On a mis en place ces structures d’éducation car on sait que le pourcentage de réussite par le foot est très limité. Mais on sait aussi qu’aucun de nos garçons ne sera sans carte en mains pour assurer un projet professionnel dans leur vie. Ils continuent de toute façon à jouer au football au niveau amateur ou au Luxembourg. L’échec est réduit au maximum, car nous avons un suivi quotidien et personnalisé. En trente ans de présence au club, je pense que les doigts de la main suffisent à compter le nombre d’échecs. Nous voyons même des joueurs qui rebondissent en Belgique, au niveau de la Ligue 2. Nous avons un bon système de formation car nous avons été les premiers à mettre en place ce système de suivi. Plus encore, voyez le collège de l’Arsenal, qui est à l’origine un collège ZEP. Depuis que nous avons un partenariat de formation avec eux, c’est le collège qui a les meilleurs résultats de Moselle ! Simplement parce que nos garçons ont le niveau et, étant des sportifs de presque haut-niveau, sont les éléments référents du collège, sont des modèles et stimulent ainsi les autres collégiens. On arrive ainsi à créer une émulation par le haut de toute une structure, pas forcément footballistique.
En France, en général, les clubs traitent la scolarité de leurs joueurs en interne. On s’aperçoit que ce n’est pas la bonne formule. Nos jeunes doivent vivre au sein de la société, savoir appréhender ses difficultés, connaître la vie de groupe, ne pas vivre reclus. Ils sont ainsi ouverts, savent ce qu’il se passe dans la vie de tous les jours, ne sont pas obnubilés par la réussite par le foot. C’est une vraie réussite, et nous avons été je pense un vrai modèle.
Tous les clubs en France font ça aujourd’hui ?
Non. Il y en a peut-être la moitié qui font un système intra-muros, et l’autre qui a un système comme le nôtre. Marseille, Paris ou Monaco par exemple n’ont pas la même philosophie que nous. Leur objectif n’est pas de former des joueurs, car ils ont les moyens d’en acheter. A part les sept ou huit plus gros, les clubs ont tous besoin de la formation pour renouveler les effectifs : un joueur formé coûte moins cher qu’un joueur acheté. C’est de plus plus intéressant de monter en puissance avec des garçons que nous avons formé – qui deviendront même peut-être de la valeur ajoutée pour le club – car ils ont aussi l’esprit du club. Pour eux, le maillot du FC Metz compte, même si c’est un peu moins évident qu’il y a dix ou quinze ans. Nous le montrons cette année avec un effectif formé, attaché au club. Ils participent à l’aventure du club et en sont fiers. Même si demain ils partent, ils auront participé à ramener le club au haut niveau. On ne retrouve pas cet état d’esprit avec un joueur acheté pour deux ou trois ans. C’est quelque chose que l’on veut conserver et que l’on conservera car c’est une valeur ajoutée du club.
Quel lien entretenez-vous avec les agents de joueur ?
Les agents de joueurs sont devenus un élément indissociable du football, alors qu’il y a 15-20 ans ils étaient anecdotiques. Une licence d’agent est proposée par la fédération sous l’égide de la FIFA, malgré tout, aujourd’hui, il doit y avoir 350 agents licenciés FIFA, mais en réalité 1500. Tout le monde se dit agent : le copain du copain du copain du joueur se dit agent. On le voit tous les jours : c’est encore une profession pour certains qui traitent le joueur de manière contractuelle, professionnelle, mais il y en a malgré tout qui veulent faire des coups, pour faire de l’argent. Aujourd’hui malheureusement, plusieurs individus prétendent être agents et prennent de l’argent qui sort alors du football. Bien qu’il existe des lois draconiennes encadrant le métier d’agent, les clubs, à partir du moment où ils veulent un joueur, sont prêt à négocier avec n’importe quel intermédiaire. De plus, la FIFA va déréguler la licence d’agent, il n’y aura plus d’agent estampillé FIFA. Ce ne sera pas le cas en France à cause de la loi.
Et si un club en France souhaite acheter un joueur à l’étranger ?
Soit l’agent européen est assimilé agent français (il suffit pour cela de faire une demande à la FFF). Soit l’agent est extra-communautaire, et il doit alors passer par un agent français auquel il facturera la valeur de sa commission.
Quel était l’argument de la FIFA pour cette dérégulation ?
C’était trop compliqué à vérifier. Sur l’ensemble des transferts effectués dans le monde la saison dernière, seulement 20% étaient faits par des agents FIFA. Ils se sont donc dits qu’une règle non respectée ne servait à rien. Les fédérations nationales n’avaient pas envie de rentrer dans des systèmes de contrôle. Finalement, la FIFA demande simplement à savoir qui a touché l’argent.
Est-ce qu’un club formateur comme Metz cherche à protéger les jeunes joueurs contre des agents frauduleux ?
Non, c’est impossible. Les agents vont directement au contact des parents, et le football génère tellement d’informations relatives à l’argent que les parents ont l’impression de gagner au loto. Les agents sont assez malins pour vendre aux parents le fait que l’enfant va devenir un grand et riche joueur. On est dans un discours basé sur l’aspect financier, et, puisque les jeunes joueurs viennent la plupart du temps de milieux défavorisés (c’est d’ailleurs un moyen de sortir d’une classe sociale défavorisée), les parents sont plus fragiles dès lors qu’on leur parle d’argent. On peut comprendre que ceux-ci aillent là où on leur promet le plus d’argent, sans chercher à comprendre si c’est l’intérêt réel de l’enfant. Cela peut entraîner une pression démesurée sur le jeune joueur, qui est responsable financièrement de sa famille, en plus d’avoir la pression de la concurrence. Dans les plus grands clubs, la pression est plus importante encore. Ils sont dans un milieu tourné vers l’argent, n’ont pas le suivi personnalisé des clubs formateurs, et sont lâchés très jeunes dans le grand bain. L’intérêt est donc plutôt d’être dans des clubs comme le nôtre, moyen, où l’on peut travailler dans des conditions absolument remarquables, équilibrées, et pouvoir grandir jusqu’à devenir éventuellement, le moment voulu, professionnel. Mais aujourd’hui, c’est très compliqué, et, effectivement, tous nos jeunes joueurs sont approchés par des agents pour signer dans des clubs étrangers. Ceux-ci ont d’ailleurs dressé une toile d’araignée sur la France. Les matchs de toutes les catégories de jeunes nationaux, jusqu’aux U13 et U12, sont regardés par des agents. Les parents sont toujours sollicités, sans arrêt. Il est alors très difficile pour nous de convaincre les parents du bienfait de rester chez nous, proche de ses parents. C’est un combat presque quotidien. C’est d’ailleurs pour ça que l’on fait signer des contrats professionnels dès 16 ans, alors qu’on attendait auparavant 19-20 ans. Comme on n’a pas le droit de faire signer un contrat pro de plus de 3 ans, à 19 ans le joueur est déjà libre. Sans avoir même joué en équipe professionnelle.
Il y a deux trois ans c’était Kakuta à Lens…
Oui, Chelsea avait donné un million d’euros. 500 000 euros aux parents, et un million d’euros à Lens alors qu’ils n’étaient même pas obligés. C’est donc très compliqué car nous sommes attaqués de toute part par les grands clubs. C’est pour eux du pain béni de pouvoir acheter des joueurs qui sont bien formés, qu’ils prennent dans leurs académies pour la post-formation à des coûts défiant toute concurrence. On est à la limite du pillage, et il faut donc que l’on soit très proche des parents. Deux garçons des moins de 15 ans sont partis à Monchengladbach et à Aston Villa. Celui qui est parti à Aston Villa on n’a pas pu le récupérer, celui de Monchengladbach on a réussi à le faire revenir une fois qu’il s’est rendu de la difficulté de l’éloignement (parents, langue…), et on a réussi à le faire revenir et signer un contrat. Mais ce sont des efforts incroyables.
Donc même des clubs comme Aston Villa et Monchengladbach prennent les joueurs, alors même que ce ne sont pas les plus grands clubs européens ?
Ce sont de bons clubs, mais pas des monstres, certes.Mais ils ont des moyens que l’on n’a pas. Ils peuvent mettre d’un coup 300 000 € pour prendre un gamin plus 100 000 euros à la famille. Ce n’est rien pour eux, alors que pour nous c’est une attaque à notre travail contre laquelle il faut lutter en permanence. C’est très très compliqué.
Ensuite, même si c’est certainement moins le cas dans un club formateur, avez-vous le sentiment qu’il existe une perte d’humanité dans la relation entre le club et le joueur ? Les joueurs font-ils partie des actifs des clubs ?
Les joueurs ne peuvent pas faire partie de l’actif parce que le joueur est un élément fluctuant qui n’est valorisé que par un contrat, dont la valeur varie trop vite. Un actif a une valeur linéaire, ce qui n’est pas le cas. Est-ce que le traiter de manière économique le déshumanise ? Je ne crois pas, ce n’est qu’une vue de l’esprit et pas une réalité du quotidien. La relation avec le joueur n’est pas une relation d’argent une fois le contrat fini. C’est sûr que dans les très grands clubs comme le PSG, le joueur est considéré comme un bien caractérisant la valeur du club, mais ce n’est pas un élément de l’actif. C’est trop subjectif et ça n’a pas de vraie réalité. C’est un problème de marché, d’offre et de demande, donc ça ne correspond à rien.
Je ne crois pas à la déshumanisation, mais ce qui risque d’arriver à l’avenir, c’est que les joueurs prennent en compte la valeur qu’on leur donne pour avoir des comportements différents. Un joueur qui a été acheté 25 millions d’euros peut penser qu’il doit jouer plus qu’un autre acheté 4M€, sinon sa valeur marchande baisse. Ca peut être le cas, mais c’est l’inverse : ce n’est pas le club qui déshumanise le joueur mais le joueur qui n’accepte plus la règle sportive, supplantée par le statut financier.
Avez-vous justement des critères précis qui donnent la valeur des joueurs ?
Non, c’est la loi du marché, la loi de l’offre et de la demande. On essaye ensuite de ne pas être en distorsion par rapport à la valeur du marché. Si un joueur similaire a été vendu tel somme, on n’essayera de ne pas le vendre moins. On essaye d’avoir des références, d’acheter au prix le plus bas quand on achète, de vendre au prix le plus fort quand on vend.
Et pour Papiss Cissé, vendu aux alentours de 2M€ à Fribourg et revendu 10M€ plus tard ?
Ensuite, le statut compte. Par exemple, un joueur de L1 vaudra moins cher qu’un joueur de L2 parce qu’il joue en L2, quelque soit ses qualités. Cissé avait ensuite été 2ème meilleur buteur de Bundesliga. Mais on a sous-vendu Cissé parce que le club était financièrement en difficulté, et que l’on avait besoin d’argent. C’était le même principe pour Pjanic quelques années auparavant. Lui était jeune, jouait en L1, tout le monde s’accordait à dire qu’il valait entre 8 et 10 millions. Lyon le voulait absolument et était prêt à mettre le prix. Nous on avait besoin d’environ 8M€, et avec les bonus on en a obtenu 10.
A partir de là, Marseille s’est-il fait avoir en achetant 15M€ Thauvin ?
Bien sûr que si. Il ne peut pas être acheté 5M€ par Lille puis revendu le triple sans même jouer un match, un entraînement. Lille a senti que Marseille le voulait absolument et a fait monter les enchères. De plus, si vous achetez un joueur 15M€, il faut mettre le salaire qui va avec. Marseille a perdu 10M€ plus le salaire et les charges. Je ne pense d’ailleurs pas que Thauvin aujourd’hui leur rapporte ce qu’ils ont perdu. Aujourd’hui, s’ils vendent Thauvin 10M€ c’est bien, surtout qu’il n’est pas encore en équipe de France. Pour le moment Thauvin est un bon joueur mais pas un grand joueur, c’est donc trop cher. Mais Lille a bien joué le coup : c’est un dossier caricatural, pas objectif. Ce n’est pas la réalité des relations entre club.
Et Ronaldo au Réal ? Florentino Perez disait à l’époque qu’en un an de vente de maillots, le transfert serait remboursé…
C’est différent car à Madrid, le joueur cède ses droits d’image au club, contrairement en France où les droits d’image sont interdits. C’est peut-être pas en un an que le contrat est remboursé, mais c’est vrai qu’ils le récupèrent largement. Enfin ils récupèrent le transfert, pas forcément le salaire.
94M€, c’est donc le prix du marché ?
Non, ce n’est pas le prix du marché, c’est le prix d’un club qui veut absolument se payer l’un des meilleurs joueurs du monde. Y a pas de prix du marché, y a le prix fait par un marché. On l’a vu avec Bale aussi, c’est un super joueur, mais ça ne vaut jamais 100M€. Et ils ne récupèreront jamais en terme de droit d’image le montant du transfert. On est là dans l’irrationnel : le club fait tout pour que personne ne l’ait. Le club vendeur n’a plus qu’à attendre
Que pensez vous de la manière dont certains clubs (Paris, Monaco) ont de l’argent ? Pensez-vous que cela fasse perdre une partie du charme du foot, et du rapport entre clubs et supporters ?
Ce n’est pas moi qui vais changer le cours des choses. En Angleterre, les Emirs sont arrivés avant de venir ici. Moi, en tant que passionné de football, ça ne me fait pas rêver. Alors bien sûr, ça fait venir les très grands joueurs, mais le PSG n’a plus d’âme. Il a aseptisé son stade – même s’il y avait une pression hooligan très forte. On n’a plus le droit de venir à trois, chaque place est tirée au sort : ce n’est pas du football. On le ressent dans le rapport aux joueurs : ce sont des biens qui valent très cher, qu’on essaye de mettre dans les meilleures conditions, mais il n’y a plus de rapport humain. Le rapport est aseptisé, cadré : ce n’est pas ma conception du football. Certes, ça amène de grands joueurs, et, selon certains, ça peut tirer le football vers le haut. Mais je n’en suis pas persuadé. Cela peut faire monter le montant des droits TV, améliorer l’ordinaire de chacun, mais la compétition elle est finie, comme en Angleterre, en Espagne, en Allemagne et en Italie. Je suis pour ma part un nostalgique des clubs qui ont une âme. Et je pense que les grands clubs comme le Real ou le Barça ont une âme : il y a une relation aux socios qui est importante, le club appartient aux supporters qui élisent le président. Il y a une âme. Même en Angleterre les clubs essayent de garder une âme, même si c’est de plus en plus difficile. Y a MU, Liverpool, le Bayern en Allemagne. Mais ce que fait Monaco – qui n’a jamais eu d’âme, même avant les Russes, à cause du contexte local -, c’est dénué de respiration footballistique.
Et Marseille ? Dans les années 90 déjà, Tapie achète des joueurs à coup de millions, tout en gardant un rapport avec les supporters…
Marseille est un club qui garde un rapport avec ses supporters. Parfois de manière assez malsaine : les supporters sont un peu les rois du monde là bas. Ils possèdent les tribunes, la billetterie : le club est prisonnier. Mais au moins il y a de la passion, ça vit, ça bouge, ça se rapproche du football tel qu’on l’aime. Comme Saint-Etienne ou Lens. C’est ça les vrais clubs. Paris c’est fini ! Ca n’a jamais été un club avec une âme extraordinaire, mais ça a été mieux que ça. Y avait une respiration, un esprit parisien. C’est fini.
Est-ce aussi un problème de culture française ?
C’est vrai. Certains disent que c’est un cliché, mais je pense que l’on n’est pas identitaire, pour rien. On a du mal à s’enthousiasmer de façon naturelle et simple. On est très difficiles, très critiques, ce qui nous empêche de nous libérer. Je ne sais pas si on va pouvoir le changer, je ne sais pas par quel moyen y remédier. Certes, quand tout est positif, on est identitaire comme en 98. Mais dès que les nuages arrivent, on redevient critiques. Il y aura forcément trois relégués et un dernier, comme en Angleterre, comme en Allemagne. Les Anglo-Saxons sont plus identitaires, attachés à leur maillot, à leur couleur. Nous on est plus latins, un mixe. On est très critique et on ne sait pas se lâcher. On regarde plus le foot à la télé et à travers la presse que dans les tribunes. Pourtant le football n’est pas cher ! C’est un sport très populaire même au niveau des tarifs.
Pour en revenir sur la dérégulation, est-ce que les plus petits clubs donnent leur avis à la ligue, et que répondent les plus gros clubs ?
Le marché étant libre, il n’y a aucune réglementation. Mais ce n’est pas tant une régulation qu’il faudrait, c’est plus de solidarité. On ne peut pas interdire aux clubs de débourser tant pour un joueur : c’est un marché libre, concurrentiel. L’Europe n’accepterait d’ailleurs pas que l’on y touche. Il faut surtout plus de solidarité. Aujourd’hui il y en a de moins en moins, notamment au niveau des droits TV. Je pense que la fracture entre les grands et les autres va être de plus en plus grande. On va nous opposer les clubs étrangers par rapport aux lois sociales et fiscales, donc il vont pouvoir justifier d’avoir plus d’argent. Paris et Monaco ont de l’argent à volonté, mais Lyon et Marseille sont en difficulté par rapport aux deux gros. C’est une tendance que l’on sent de plus en plus, les dix grands clubs qui veulent s’arroger des droits financiers plus importants, pour que l’on ait un meilleur indice UEFA, plus de droits TV… Ca devient très compliqué, et je crains que la L2 ait moins de moyen qu’elle n’en a aujourd’hui. Ce serait dommage car la L2 permet notamment aux joueurs formés de se développer correctement, de pouvoir grandir. Et comme il existe des arrangements entre amis entre petits et grands clubs (à cause de transfert), il y a une trahison permanence et pas de solidarité parmi les plus petits.
Est ce qu’au niveau de la ligue il n’y a pas la crainte que cette bulle spéculative explose ?
On a dit ça beaucoup de fois. Des bulles spéculatives il y en a eu beaucoup, et le football s’en est toujours sorti vivant. Le football est un sport populaire, il est trop fort. C’est clair que des clubs vont mourir tous les ans. Nous on a failli mourir ! Sans l’effort de l’actionnaire c’était fini ! On n’était pas loin de mourir. Strasbourg est mort ! Le Mans est mort ! Grenoble est mort ! Sedan est mort ! Je pense qu’on va avoir des morts de club.
La ligue n’envisage-t-elle pas de légiférer pour éviter cela ?
La DNCG est là pour éviter les risques. Elle dit en amont qu’il y a danger. Mais elle était là pour Le Mans et malgré tout la FFF a conservé Le Mans. Le club ne serait pas mort s’il était descendu en National. Si la DNCG avait bien fait son travail, Le Mans ne serait pas mort.
Mais où se trouve le problème ?
Dans le cas du Mans, ça a été un dossier politique, géré de façon politique. Le Mans a été appuyé à la fois par Fillon et Le Foll qui sont intervenus auprès de Le Graët. Ca a été une décision politique. Alors que la DNCG et le Comité Olympique avaient décidé de rétrograder Le Mans ! Aujourd’hui si Le Mans est mort, c’est de la faute de la fédération. Si l’institution fait fi de tout cela, toutes les lois seront inutiles. Il faut que jusqu’au bout des instances objectives et expertes fassent leur travail.
La fédération n’a-t-elle pas peur que des gros clubs empêchent la formation des joueurs nationaux, et abaissent ainsi le niveau de l’Equipe de France ?
Ils vont répondre que les meilleurs français jouent au haut niveau, à l’étranger.
Mais beaucoup partent à l’étranger avant la fin de la formation, pour cirer le banc…
On ne peut rien faire, c’est une règle FIFA, et aussi la liberté de mouvement des travailleurs, conséquence de l’arrêt Bosman. La seule chose qui puisse être mise en contrepartie, c’est l’argent. La fédération, elle, applaudit des deux mains, et est contente qu’il y ait deux grands clubs en France. Ce qu’il faut à l’Equipe de France, c’est des joueurs de haut niveau, et il y en a à l’étranger. On ne peut pas revenir trente ans en arrière avec la mondialisation du football : les meilleurs joueurs vont dans les pays où il y a le plus d’argent. On s’aperçoit que Monaco et Paris jouent avec peu de Français.
En Allemagne c’est différent. L’Allemand est fier et a envie de jouer pour le club de sa ville. Les joueurs peuvent jouer dans leurs pays d’origine, comme en Espagne et en Allemagne. Mais les clubs allemands ont aussi plus de moyens que nous, et peuvent garder leurs joueurs !
Pourquoi la ligue ne retransmet pas une partie des matchs en clair, afin de mettre la lumière sur la L1 ?
Le problème c’est que les clubs veulent le plus d’argent possible. Il y a également les contraintes horaires, les clubs veulent jouer à telle heure pour remplir leur stade tout en touchant l’argent des droits TV. En Angleterre, les matchs sont retransmis à plusieurs heures différentes, pour les diffuseurs ! C’est aussi pourquoi les clubs sont obligés de passer par le payant. A l’étranger, les chaînes publiques ont au moins le droit de diffuser de larges extraits et faire de vraies émissions.
Pourquoi ne pas instaurer la gratuité dans les stades, lorsque ceux-ci sont vides, pour des jeunes, afin de les identifier ?
On le fait. On a près de trois ou quatre mille places gratuites dans le stade. Mais on ne peut pas faire que de la gratuité, à l’étranger ça n’existe même pas ! On donne ces places à des associations, à des jeunes… Mais ça ne suffit pas à créer un engouement. Derrière il n’y a pas d’enthousiasme, et, en plus quand on met la gratuité, les gens ne viennent pas forcément. Ce n’est pas un problème de prix, c’est un problème d’engouement. Il faudrait être présent, même quand ça va mal. On se rendrait compte que les joueurs ne jouent pas de la même manière avec un stade plein : ils sont galvanisés, portés par le public ! Mais ça il faut l’expliquer. Quand on va voir un film, on ne sait pas non plus à l’avance s’il va être bien. C’est compliqué d’essayer de convaincre, on n’arrive pas à inverser le cours des choses. Les gens ne veulent que lorsqu’il y a du succès, pas quand tout va mal.C’est d’ailleurs un phénomène général, le Français n’est pas un homme solidaire. Il est je pense plus égoïste que d’autres peuples en Europe. Il suffit de voir ce que disent les entraineurs et joueurs étrangers quand ils viennent dans des clubs français : les joueurs français s’en foutent, ne respectent pas les autres, viennent à l’heure qu’ils veulent. C’est de l’égoïsme pur ! Et ça on le retrouve à tous les étages. Chacun vit selon son nombril, peu importe la solidarité. Pourtant il vaut mieux aider les gens fragiles que de renforcer les plus forts. Dans le sport, il faut supporter son équipe quand elle va moins bien ! Quand elle va bien, elle n’a presque pas besoin de supporters !
Le football c’est la photocopie de la société. On y retrouve les qualités et les défauts que tout le monde a.Il est parfois assez irrationnel, mais, dans sa globalité, c’est le reflet de la société. Sur et en dehors du terrain. Et la société française n’est pas solidaire, c’est un constat. C’est dommage car c’est un spectacle qui mérite mieux que la conception qu’a le public en général.
Il ne mérite pas d’être plus vomi que les autres sports. On met la lumière sur les imbéciles, en prétendant qu’ils sont tous comme ça.
Avez-vous le sentiment que, tant du point de vue économique que vis à vis de la difficulté du métier (pression, formation…), les joueurs ne méritent pas les salaires qu’ils gagnent ?
Je ne vais pas cracher sur le football, c’est mon milieu. Mais globalement les salaires ont indécents ! Rien ne justifie les salaires actuels. Rien. Que les grands joueurs soient bien payés c’est normal, mais entre « bien payés » et « somme indécentes » il y a un fossé. Je peux donc comprendre la réaction du commun des mortels, surtout que c’est un sujet omniprésent dans les médias. Mais parlons d’abord de football ! Certes, les salaires sont trop importants, mais c’est vrai à l’étranger et dans d’autres sports (aux Etats-Unis notamment) et personne ne s’interroge. En réalité, on part du principe que le foot est un sport populaire, et donc que les joueurs doivent toucher le SMIC. Non. Ils ne doivent certes pas toucher des dizaines de millions d’euros par an, mais ils doivent quand même avoir un salaire correct, ne serait-ce que parce que la carrière ne dure pas trente ans. Elle dure dix ans maximum. Mais entre un salaire de smicard et les sommes indécentes, il y a un juste milieu. Malheureusement, on juge encore une fois de façon primaire. On ne juge le joueur que par rapport à son salaire, pas à son métier.
Pensez-vous du coup qu’il serait bon d’avoir un plafond salarial ?
Le Salary Cap ? Moi je suis assez pour cela. Dans le sport américain, ça n’empêche pas les joueurs de toucher de gros salaires. Simplement ils payent des amendes quand ils dépassent le Salary Cap. S’ils dépassent de 5 millions de dollars la masse salariale, ils ont cinq millions d’amende, terminé. Dans un monde ultra libéral comme aux Etats-Unis, ils ont mis le Salary Cap. Comment dans un monde moins libéral, plus réglementé, ne pourrait-on pas mettre de Salary Cap ?
Rien à la FFF et à la LFP n’incite à aller vers une mesure de ce type ?
Non, personne n’en veut ! La DNCG encadre déjà la masse salarial, que l’on déclare. Pourtant, le rugby l’a ! Ca me paraît être intelligent, et je ne vois pas où est le problème. Mais le foot français n’en veut pas, et pour quelle raison je ne sais pas. Les joueurs n’en veulent pas, sinon ils gagneront moins. Les dirigeants non plus car ils veulent toujours pouvoir dépasser leur masse salariale, quitte à appeler les actionnaires. Ce serait pourtant une sécurité…
Et à l’échelle européenne ?
Impossible, car tous les systèmes sont différents. Il faudrait la même fiscalité, les mêmes charges sociales. Et la commission européenne n’a pas le droit d’intervenir dans la fiscalité des pays. De plus, le sport ne fait pas vraiment partie des priorités de la communauté européenne, ce n’est pas trop son problème. La seule chose qui leur importe, c’est la liberté de circulation des travailleurs. On ne peut pas empêcher quelqu’un de travailler.