Des « chaines de médiation complexes » (Bruno Latour, La vie de laboratoire)
Afin d’être capables de développer une argumentation concernant l’efficacité du neuromarketing, nous avions besoin des savoir-faire requis. Nous nous sommes sentis démunis face à la littérature technique abondante concernant notre sujet. Alors, comme le suggère Bruno Latour dans La vie de laboratoire, nous avons décidé d’étudier la manière dont le fait scientifique est produit, c’est-à-dire la manière dont les conclusions touchant au neuromarketing sont construites. Nos lectures d’articles scientifiques nous ont plongés dans un labyrinthe complexe, car comme le souligne Latour : « chaque fait est comme le point de départ d’une nouvelle controverse qui mènerait à un nombre encore plus grand de faits mieux ou plus anciennement acceptés, et ainsi de suite jusqu’à l’infini ». Les controverses au sein même de la controverse « Neuromarketing » sont donc multiples. Dès lors, il était nécessaire d’étager et de trouver un angle d’attaque permettant de traiter un sujet aussi vaste.
Pourquoi utiliser les instruments des neurosciences ?
Un instrument est défini, par Bruno Latour, comme « tout dispositif, quelque soit sa taille, sa nature ou son coût, qui fournit une visualisation quelconque dans un texte scientifique ». L’utilisation d’instruments neuroscientifiques fournit la valeur de science dont se réclame le neuromarketing. Nous voyons dès lors que la question de l’efficacité se pose fondamentalement au niveau de l’interprétation des mesures effectuées par ces instruments.
Peuvent-ils réellement fournir une interprétation généralisable et pertinente ? quel est le lien entre efficacité scientifique et efficacité économique ?
Le neuromarketing se situe dans la lignée d’un marketing fondé sur l’émotion du consommateur et non plus sa rationalité. Les besoins seraient inconscients, la publicité ne devrait plus se fonder exclusivement sur les besoins exprimés. Il faudrait dès lors évaluer les émotions inconscientes par l’utilisation des neurosciences. Le neuromarketing postule l’universalité des cognitions, qui assurerait l’efficacité de ses conclusions.
Le neuromarketing utilise les instruments des neurosciences pour étudier les émotions ressenties par un consommateur lorsqu’il fait face à un produit ou à une publicité. Le chercheur s’intéresse à l’établissement du lien entre la grandeur mesurée et l’émotion ressentie : l’intensité de cette émotion (arousal), sa valence (i.e. son caractère positif ou négatif). L’étude grâce à la technologie neuroscientifique permettrait de contourner le biais du langage. Selon Barlow et Durand, la validité, la fiabilité et la robustesse sont les trois concepts clefs de la détermination de la valeur d’une mesure. L’IRM par exemple, répond au problème de la mesure objective car elle dépasse les biais cognitifs que rencontrait le marketing jusqu’alors : une partie de l’information est détruite par le biais de la rationalisation, du conformisme, de la verbalisation… En effet, le consommateur est parfois peu enclin à révéler ses émotions, il peut même ne pas en avoir conscience. Lorsque le marketeur utilise les instruments des neurosciences il aurait accès à ce sur quoi le sujet n’a aucun contrôle.
Cette utilisation des neurosciences au service du marketing fait débat.
« On ne fait pas du marketing avec les neurosciences. On ne met pas des électrodes sur les consommateurs pour qu’ils achètent un produit, ça n’existe nul part, personne ne fait ça. Ce n’est juste pas possible ». Etienne Bressoud
Pour le fondateur du club Neurosciences et Marketing, le terme « neuromarketing » confond un outil de communication avec un outil de mesure. Les neurosciences permettraient de simplement faire des études, et pas du marketing. Il se positionne donc contre l’idée qu’il existerait un « bouton d’achat ». Les études de neurosciences permettraient seulement de mieux connaître le consommateur, pas de le manipuler complètement.
Le cerveau, un label de scientificité ?
« Comme beaucoup de choses qui font référence aux sciences cognitives, le simple fait de parler de cerveau semble donner un contenu scientifique à ce qu’on dit, alors qu’on parle de simple psychologie ». Jérôme Sackur
Plusieurs études ont prouvé que le fait d’évoquer des mécanismes cérébraux donnent de l’importance à des théories. Cependant, l’efficacité que l’on en tire n’est jamais prouvée. Dès lors, on pourrait se demander si la lecture du cerveau que revendique le neuromarketing n’est pas, en elle-même, un coup de marketing.