Le neuromarketing, en tant que méthode héritière de la rencontre entre plusieurs disciplines, se développe et s’étend dans plusieurs domaines dans le monde entier depuis le début des années 2000. Un marché scientifique et un marché commercial, en constante interaction, se mettent en place.
On entend ici par marchés, des ensembles d’interactions le plus souvent marchandes, entrainant l’échange de techniques et de stratégies entre les différents acteurs du neuromarketing.
Marché scientifique
Le neuromarketing se développe comme une branche particulière des neurosciences et des sciences cognitives. Ainsi, certains chercheurs se penchent plus précisément sur les comportements, réactions, émotions des hommes en tant que consommateurs, c’est ce qu’on appelle la science de la décision. Par exemple, une chercheuse en neuroscience cognitive et sciences sociales comme peut choisir de se spécialiser dans la théorie de la décision et la base neurale de la consommation.
Il y aurait aujourd’hui dans le monde quatre-vingt-dix laboratoires privés de neuroscience ayant des contrats avec des groupes industriels pour mener des études sur le comportement des consommateurs, sans compter tous les centres de recherches universitaires sponsorisés par des entreprises. Ces centres sont majoritairement basés aux Etats-Unis et en Europe. La spécialisation de chercheurs dans ce domaine, comme Olivier Oullier, a contribué à donner au neuromarketing une valeur scientifique. Le fait que des laboratoires s’y intéressent donne du crédit aux entreprises qui les financent et exploitent leurs résultats dans le cadre de leur stratégie marketing. De même, les entreprises fournissent des bases de données empiriques aux scientifiques avec la mise en place de leurs plans marketing. On voit par un lien de financement mais aussi d’échanges des connaissances les interconnexions entre le monde scientifique et le marché dans le cadre du neuromarketing. On peut par exemple penser à l’association entre Neurofocus, une entreprise californienne, et Eric Kandel, Prix Nobel en médecine. De même, le club Neurosciences et marketing de l’Adetem, une association de professionnels de marketing, invite régulièrement des chercheurs à intervenir durant leurs débats. Étienne Bressoud nous a dit lors d’un entretien que le but de ce club était d’apprendre et de discuter avec les chercheurs.
« Ce serait prétentieux de dire que nous, hommes de marketing, avons tout compris au cerveau humain. »
Vendre le neuromarketing
Parce que de grands groupes tels que Coca-Cola, Walmart, Levi-Strauss & Co, Ford, Delta Airlines, Alcatel, etc. se sont intéressés aux méthodes émergentes du neuromarketing à partir des années 2000, de nombreux cabinets spécialisés ont vu le jour, dans un premier temps aux Etats-Unis. Environ quatre-vingt-dix cabinets de conseil en neuromarketing auraient vu le jour aux États-Unis et en Europe dont une des plus importantes sur le marché étasunien est Neurofocus et sur le marché européen Brain Impact.
Les entreprises spécialisées en neuromarketing partent de l’hypothèse que les agents ne peuvent pas entièrement articuler leurs préférences quand on leur demande de les exprimer explicitement, et que leur cerveau contient de l’information non révélée à propos de leurs vraies préférences. La capacité à révéler les informations cachées du consommateur attire les entreprises. Les marketeurs espèrent que la neuroimagerie procurera une meilleure répartition coûts-bénéfices. En effet, bien que le coût d’une stratégie neuromarketing soit élevée, si elle porte ses fruits elle sera plus bénéfique que des techniques traditionnelles sur le long terme en s’ajustant plus finement aux désirs des consommateurs. Par exemple, durant notre entretien avec Brain Impact, une entreprise de neuromarketing à Bruxelles, notre interlocutrice nous a précisé que l’IRMf est la technique la plus coûteuse car c’est la seule qui permette d’avoir accès à l’ensemble du cerveau. Le prix peut varier entre 50 000 et 100 000€ en fonction de la complexité du test. Le détail des expériences est exposé sur le site de l’entreprise [1]. Le nombre de participant a également un impact sur le prix total du test.
L’utilisation des outils scientifiques par les entreprises a été abordé lors de notre entretien avec Brain Impact. Notre interlocutrice nous a spécifiés que les personnes interprétant les données sont des gens qualifiés en statistiques et ayant une formation en neurosciences. Désormais, la collaboration entre scientifiques et entreprises commerciales semble être le fondement du développement du neuromarketing.
Pour vendre le neuromarketing encore faut-il donc convaincre qu’il est vraiment plus efficace que le marketing traditionnel. Le prix moyen d’utilisation d’un scanner dans un laboratoire se trouve à environ 500 dollars par heure. Dans le cadre d’une entreprise commerciale, le prix est plus élevé. La différence de prix entre les différentes approches ne les place pas sur le même marché. On peut donc se demander si, pour pouvoir concurrencer les approches marketing conventionnelles, le neuromarketing ne devrait pas réduire les coûts de ses services. De plus, de nombreux chercheurs arguent que les résultats trouvés avec des méthodes de neuromarketing pourraient tout aussi bien être trouvés par l’entretien. Didier Courbet et Denis Benoit [2] le souligne, l’expérience Pepsi-Coca, à la base du neuromarketing, ne donne pas plus d’informations aux professionnels du marketing qu’une simple étude comportementale. D’où la question soulevée par Jérôme Sackur lors de notre entretien :
« […] le neuromarketing existe-t-il vraiment ou n’est-ce qu’une nouvelle façon de faire vendre ? »
Quel avenir ?
Il est pertinent de se demander si les entreprises de neuromarketing sont durables. Elles prennent le risque de devenir rapidement une sorte de mode dépassée. Les marketeurs saisonniers se rappellent l’engouement provoqué par la publicité subliminale, qui n’a pas duré longtemps, malgré l’intérêt porté par ce domaine en psychologie sociale. Cependant, la création de la Neuromarketing Science and Business Association le 2 février 2012 peut laisser penser une expansion mondiale durable. Il s’agit d’une association mondiale du commerce qui regroupe les individus ayant un intérêt professionnel dans le domaine du neuromarketing. Elle vise à créer un réseau international de savoir sur le neuromarketing, et protège ses membres des intérêts sociaux relativement à cette discipline. L’association organise le Neuromarketing World Forum depuis 2012. Le dernier a eu lieu du 4 au 6 avril 2016 à Dubaï (http://www.neuromarketingworldforum.com/en). Cet événement réunissait des professionnels et a consisté à la fois en conférence et masterclass autour du thème du neuromarketing et de son application.
Les freins à l'expansion du neuromarketing
[2] COURBET D. ; BENOIT D., « Neurosciences au service de la communication commerciale : manipulation et éthique. Une critique du neuromarketing », Études de communication, 2013