Une convergence des disciplines

Neuromarketing et économie

Le marketing est évidemment lié à la conjoncture économique mais il est également influencé par les théories économiques elles-mêmes.

L’économie classique part du postulat que l’individu est rationnel : qu’il s’agit d’un homo œconomicus qui cherche à maximiser sa satisfaction par la consommation sous contrainte bugétaire. Ainsi les publicités étaient essentiellement informationnelles. Considérant que l’individu est rationnel, il chercherait à maximiser sa satisfaction en fonction des informations qu’il détient. Il prendrait donc sa décision d’achat uniquement en fonction d’informations importantes et supposées objectives, comme le prix, la composition ou l’usage possible du produit vendu. Pourtant, lors d’une conférence en 2010, Martin Lindström disait : « nous sommes profondément irrationnels tous les jours ». On voit donc qu’il y a eu une modification du schème de pensée dans le marketing.

On assiste  à une remise en cause de la loi de Say, qui suppose qu’il n’y a pas de problème de débouchés, donc que tout bien produit sera vendu sur le marché. Or, la plupart des produits lancés sur le marché échoue. La nécessité pour le marketing de modifier ses méthodes est donc tangible.

On peut constater sur les publicités ci-dessous un changement  important dans la stratégie marketing. On passe de publicités informationnelles très détaillées à des publicités émotionnelles qui cherchent à provoquer des émotions chez le consommateur plutôt qu’à l’informer sur le produit.
Sur la première publicité sont indiqués un grand nombre de détails techniques sur le vélo, tandis que sur la deuxième on voit seulement une famille heureuse faire du vélo au soleil . Aucune information n’est donnée sur le casque à part son prix et le nom du casque.

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Neuromarketing et psychologie

D’autres transformations de paradigme très importantes pour l’avènement du neuromarketing ont lieu dans d’autres disciplines. Avant Freud, il n’y avait ni en économie, ni en psychologie de théories de l’inconscient.

Le marketing est depuis le début influencé par ces deux disciplines, mais l’approche par l’inconscient du consommateur n’était pas présente. L’influence de Freud dans la psychologie a donc modifié la manière de faire de la psychologie et donc  du marketing (selonO. Droulers etB. Roullet). Les professionnels du marketing se concentrent dorénavant sur les émotions et sur les préférences parfois cachées du consommateur [1]. On comprend donc mieux le passage de l’étude verbale à l’étude cérébrale du consommateur. A. K. Pradeep, le PDG de Neurofocus, une entreprise de neuromarketing, disait qu’il « mesurait en profondeur dans le subconscient là où la marque est déjà inscrite » [2]. On retrouve l’idée qu’il faut dorénavant étudier le subconscient ou l’inconscient pour connaître les désirs du consommateur.

 Les chercheurs en neuromarketing pensent qu’il y existe des besoins inconscients du consommateur, la publicité ne doit donc pas se concentrer uniquement sur les besoins affirmés par les sujets des expériences, mais elle doit déceler, par le neuromarketing, ses besoins inconscients. On suppose que l’individu n’a aucun contrôle volontaire sur son cerveau, alors qu’il en a sur son langage. Les informations obtenues par le neuromarketing seraient donc plus fiables que celles des méthodes traditionnelles.

En effet, les défenseurs du neuromarketing dénonce le biais de la verbalisation (sur lequel butent les méthodes traditionnelles). L’idée sous-jacente est reliée aux théories de l’inconscient, dans le sens où le consommateur ne sait pas réellement ce qu’il veut, il ne peut donc pas le verbaliser. Le forcer à verbaliser ses préférences suppose une introspection du consommateur. Une partie de l’information est supposée détruite par le biais de la rationalisation ou du conformisme [3]. Un individu va se censurer en pensant que ce qu’il ressent n’est pas rationnel et ne vaut pas la peine d’être dit ou que cela ne correspond pas aux attentes de son groupe de référence.

Le neuromarketing, une synthèse

 Le marketing est influencé et s’étend par la rencontre de la théorie économique et de la psychologie comportementale.   Daniel Kahneman, psychologue cognitif et économiste, a reçu le prix Nobel d’économie en 2002 avec sa thèse d’économie comportementale. Il affirme dans son livre Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée qu’il y a deux systèmes de la pensée. L’un est rapide et permet de prendre les décisions intuitives ne nécessitant pas de grande réflexion et l’autre, plus lent, qui raisonne. Le premier serait le plus utilisé, notamment lors d’une décision d’achat banale (d’où l’intérêt de rendre la décision d’achat anodine par le biais de la marque, voir onglet 1). Cette théorie économique et psychologique est liée à une théorie biologie selon laquelle le cerveau humain serait réparti en trois cerveaux suivant son évolution. Un cerveau plus primitif, un émotif et un plus réflexif. Cependant cette théorie biologique a été abandonnée par manque de fondement scientifique, mais les professionnels du neuromarketing continuent à l’utiliser.

On voit par l’émergence de telles théories le lien entre l’économie, la psychologie, les sciences cognitives et le marketing. Les publicités se concentrent aujourd’hui beaucoup plus sur l’émotion du consommateur. les professionnels du marketing essaient de cibler les émotions fortes, comme la peur ou l’anticipation intense de plaisir.

Ces théories sont bien évidemment encore incertaines, mais comme nous l’a dit Jérôme Sackur, un chercheur en psychologie comportementale de l’ENS Ulm :

« Peu de théories en sciences sont fausses, cela dépend du modèle d’analyse que l’on utilise. »

Brian Knuston explique l’intérêt des psychologues et des chercheurs en neurosciences pour la décision d’achat par le fait que celle-ci soit rapide, des expériences peuvent donc être faites rapidement. En effet des études ont montré que la décision d’achat se fait essentiellement sur le lieu de vente et moins en amont. Le neuromarketing s’appuie également sur des recherches scientifiques qui n’étaient pas destinées à l’étude de la décision d’achat. On a par exemple découvert des éléments tels que les neurones miroirs. Le neuromarketing s’en sert énormément. Pour illustrer ce propos, on peut prendre l’exemple d’une publicité pour une boisson. Si dans une publicité un individu manipule la bouteille de jus, le consommateur qui la regarde va s’imaginer le faire également. Cela va donc créer un désir de consommation de l’objet. Lorsqu’il arrivera au magasin, il se rappellera avoir eu envie de boire en regardant la publicité et l’achètera. Bien évidemment cela n’est pas automatique, mais cette découverte a tout de même engendré une modification dans les publicités ou l’on voit beaucoup plus souvent des individus manipuler les produits que juste des images du produit. L’influence des neurosciences sur le marketing est donc visible déjà dans la manière dont sont élaborées les publicités.

Les recherches en neuromarketing se sont développées dans les années 1990 aux États-Unis, soit une décennie après le développement des neurosciences. Celles-ci ont connu un premier développement dans les années 1950, puis qui se sont institutionnalisées dans les années 1970/1980 d’après Brigitte Chamak, ingénieure de recherche à l’INSERM qui s’est intéressé au développement des sciences cognitives.

On voit l’influence des États-Unis dans la recherche sur le neuromarketing par le simple fait que presque tous les articles de presse scientifiques que nous avons pu trouver ont été écrits par des américains et que toutes les sources citées dans le manuel de D. Droulers et B. Roullet sont elles aussi américaines. De grandes entreprises américaines se sont très vite intéressées au neuromarketing dans un premier temps, Coca-Cola, L. Mart, Levi Strauss & Co,… Peu à peu des cabinets spécialisés ont émergé, environ quatre-vingt-dix cabinets de conseil en neuromarketing ont vu le jour aux États-Unis et en Europe.

Le Neuromarketing est-il un substitut au marketing ?


[1] Droulers D., Roullet B., Neuromarketing : le marketing revisité par les neurosciences du consommateur, 2011

[2] Serfaty L. Des citoyens sous influence, 2009

[3] Droulers D., Roullet B., Neuromarketing : le marketing revisité par les neurosciences du consommateur, 2011