Des instruments controversés

L’efficacité que prône le neuromarketing suscite des débats, se fondant sur la capacité des instruments techniques à réellement analyser le comportement des consommateurs.

Mesures périphériques

Les instruments de cette catégorie ne touchent pas directement au cerveau mais s’intéressent aux conséquences sur l’organisme de l’exposition d’un consommateur à divers stimuli. Ces méthodes peu intrusives et souvent familières car utilisées dans la médecine depuis longtemps sont plus facilement acceptées. De plus, elles sont peu coûteuses donc plus aisément mises en œuvre.

  •  Activité électrodermale

Elle permet de percevoir les changements d’excitation émotionnelle, le comportement involontaire des individus. Cependant, cet outil n’appréhende pas la nature de l’émotion ressentie. Par exemple, la joie et la colère sont toutes deux associées à une augmentation de l’activité électrodermale. Cette technique est largement supplantée par des techniques comme l’EEG ou l’IRM dans le neuromarketing aujourd’hui car elle est peu précise.

  • Electrocardiogramme (ECG)

L’ECG permet de mesurer les réponses émotionnelles des sujets à travers l’analyse de l’activité électrique du cœur. Cependant, l’analyse des tracés est complexe et nécessite l’intervention d’un professionnel expérimenté. Dans ce cas, le « produit émotion » n’est appréhendable que par un nombre restreint d’experts. De plus, le signal déduit des réactions est associé à une des six émotions fondamentales et ce résultat est ensuite confronter à ce que le sujet dit avoir réellement ressenti, cet instrument passe donc encore par le langage. Néanmoins, l’ECG semble fiable dans la restitution des émotions.

  • Eye-tracking

Cet instrument est utilisé en neuromarketing car le regard est considéré comme inconscient. L’œil apparaît comme une porte d’accès au cerveau. Cependant, cette technique ne renseigne pas sur le jugement du consommateur : on connait juste son choix qu’on peut analyser a posteriori à la lumière du chemin parcouru par son regard. Cette technique réductible à de simples caméras peut être utilisée dans différents contexte : dans le cadre du marketing digital ou encore dans le cadre d’achats faits en supermarché.

Mesures centrales

Dans cette catégorie, les instruments sont directement en relation avec le cerveau. Si ces instruments sont ceux qui posent le plus de difficultés éthiquement, ils sont considérés comme les plus efficaces dans la mesure des émotions. D’après Patrick George et Michel Badoc, l’utilisation de ces techniques est éthique, c’est leur abus qui est dangereux. Sans interdire il faudrait donc contrôler l’utilisation des instruments neuroscientifiques dans le cadre du neuromarketing.

  • IRMf

L’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle permet de visualiser l’activité cérébrale, en enregistrant les flux sanguins dans les zones du cerveau. En neurosciences, cette technique a permis de commencer à établir une carte du cerveau, encore incomplète et imprécise. Les chercheurs étudient les régions du cerveau qui s’activent pendant que les individus effectuent des décisions d’achat. Cela leur permet de conclure quant à l’efficacité d’un produit ou de sa publicité.

L’IRM constitue l’instrument le plus controversé du neuromarketing. Son utilisation permettrait de « lire » dans le cerveau. Cependant, les conclusions qu’on peut en tirer sont critiquées. Selon Jérome Sackur, cette technique n’a que 25 ans, et elle est d’une complexité extrême. Son interprétation se fait à partir d’un modèle, qui est toujours contestable. Le fait que la cartographie du cerveau soit encore incomplète pose problème ; le modèle de comparaison étant lui-même controversé comme on l’a vu avec l’expérience du saumon mort de Craig Benett. Il faut une grande expertise en statistique afin de pouvoir fournir une interprétation pertinente. La réponse que nous a fourni la représentante de Brain Impact, l’entreprise qui a répondu à nos questions, par rapport à la qualification des personnes interprétant les résultats des expériences est assez floue : « Les personnes qui interprètent les données sont des gens qualifiés en statistiques qui ont une formation en neurosciences ». Cette réponse ne nous permet pas vraiment de conclure sur la manière dont les données sont traitées en entreprise.

Olivier Droulers, chercheur spécialiste en neuromarketing, confirme le bilan de Craig Benett :

« Le risque, c’est que certaines sociétés de conseils revendiquent une expertise neuromarketing, sans pour autant posséder les compétences scientifiques nécessaires pour utiliser des instruments et des techniques complexes »**.

Certains reprochent à l’IRMf d’être invasive inutilement, on pourrait simplement faire des entretiens qui sont moins chers et tout aussi efficaces à ce niveau de maîtrise de l’IRM. En effet, les interprétations des IRMf selon Courbet et Benoit reposent en partie sur de la psychologie cognitive dont les résultats sont encore sujets à controverse. Néanmoins, l’IRM est la seule technique qui permet à l’heure actuelle d’avoir accès à l’ensemble du cerveau (conscient et inconscient).

  • Electroencéphalogramme (EEG)

L’EEG permet de mesurer l’activité électrique du cerveau. Il quantifie l’intensité de l’activité cérébrale en même temps qu’il la situe. Les chercheurs en déduisent ainsi que les sujets ont une activité cérébrale plus élevée lorsqu’ils regardent une publicité qui les marque. De plus, les zones activées sont différentes selon le degré de familiarité de la publicité. Cependant, le cerveau étant en perpétuelle activité, il faut répéter une stimulation un grand nombre de fois pour pouvoir extraire la séquence d’événements électriques correspondant à cette stimulation en particulier. Enfin, cet instrument a l’avantage de pouvoir être utilisé en situation d’achat, cela signifie néanmoins que les résultats peuvent être faussé par la réponse à des stimuli venant de l’environnement en général et non nécessairement des produits. Cette utilisation peut permettre de déterminer quel cadre est plus favorable à l’achat qu’un autre.

Cette méthode est considérée comme un compromis entre l’aspect peu précis des méthodes périphériques et le coût élevé de l’IRM.

  • Les limites de leur utilisation

L’étude des instruments du neuromarketing a souligné la difficulté de réunir les conditions nécessaires pour tirer des interprétations efficaces et généralisables. Le choix de l’instrument est non seulement primordial, mais le profil des sujets choisis pour l’expérimentation entre également en jeu. Par exemple, l’âge est un facteur déterminant, tout comme le niveau de stress au quotidien. Il faut également placer les sujets d’expérimentations dans un cadre où ils ne sentent pas oppressés, c’est-à-dire que les sujets soient volontaires, qu’ils choisissent le créneau pendant leur temps libre, qu’ils puissent bénéficier de pauses. Le fait de choisir un cadre particulier pour les sujets est sujet à discussion. Par exemple, lorsque l’on place les consommateurs dans un IRM pour analyser les réponses de leur cerveau à certains stimuli, ils sont dans un tube, dans un hôpital et donc très éloignés du contexte d’achat. C’est donc une limite de ces techniques puisque le contexte d’expérimentation pourrait être autre et donc permettre d’obtenir des résultats différents. Peut-on tirer des conclusions générales sur le comportement d’un sujet s’il n’est pas placé dans le même contexte que dans la réalité ?

De plus, le prix induit par l’utilisation de ces instruments (en moyenne entre 50 000 et 100 000 euros par heure pour une IRMf) soulève la question de leur utilité face aux techniques de marketing traditionnel. Jérôme Sackur, qui nous a accordé un entretien, nous disait que le neuromarketing pouvait être une perte de temps et de moyen. Avec une expérience bien menée en psychologie comportementale, on peut en apprendre autant qu’en utilisant l’imagerie cérébrale.

Enfin, la question de la manipulation qu’induit l’utilisation d’instruments touchant au cerveau et à l’inconscient des consommateurs est nécessairement soulevée. Néanmoins, pour beaucoup, cette question ne se pose pas dans le sens où le marketing traditionnel est déjà une forme de manipulation, tout dépend de l’usage fait des résultats obtenus. Pour Patrick Georges et Michel Badoc ces méthodes ne sont efficaces qui si elles reposent sur une éthique et une déontologie car le client est capable de savoir s’il a été trompé.

Les entreprises de neuromarketing vendent alors des services en proposant à leurs clients de quantifier ou de qualifier les émotions produites par leurs produits. Le neuromarketing crée alors un nouveau produit sur le marché, l’émotion. Il permettrait ainsi de connaitre les décisions d’achat des consommateurs à l’avance, et jouerait avec leurs émotions. Cette marchandisation de l’émotion est un des phénomènes les plus critiqués par les contestations des associations de consommateurs.

*Bruno Latour, Steve Woolgan, La vie de laboratoire : La production des faits scientifiques, Paris, éd La Découverte, 1979

*interview à Libération, le 13 mai 2012

Le neuromarketing se heurte à la réalité