Des conclusions remises en question

Convaincus de son inefficacité, les industriels du tabac lancent en Australie en 2010 une grande campagne pour contrer l’adoption du paquet neutre. L’Alliance of Australian Retailers, groupe qui s’est révélé être financé à hauteur de 5,5 millions de dollars par Philip Morris, Imperial Tobacco et British American Tobacco, tente de convaincre l’opinion publique de l’inefficacité de cette mesure à travers une large campagne de communication, qui comporte par exemple le spot diffusé à la télévision suivant [1] :

Les arguments des opposants au paquet neutre sur son efficacité sont les suivants :

  • L’initiation au tabagisme et le fait de continuer à fumer n’ont aucun rapport avec le packaging. Les facteurs connus comme étant responsables des nouveaux consommateurs sont socio-économiques et proviennent principalement de la pression des proches, des parents fumeurs, du prix et de l’accessibilité.
  • Les recherches mises en avant par les partisans du paquet neutre ont été effectuées par des chercheurs en sympathie avec cette cause ; elles sont individuellement et collectivement défectueuses dans leurs méthodes, et/ou biaisées et par conséquent ne peuvent pas être fiables.
  • Plus particulièrement, aucune étude ne démontre de lien clair entre les concepts tels que « l’attrait » du paquet et le comportement du fumeur.

Les cigarettiers et buralistes jugent la mesure illégale. A ce titre, le gouvernement est tenu d’apporter la preuve irréfutable que cette mesure constitue un moyen approprié d’atteindre les objectifs désirés en termes de santé publique et qu’il n’existe pas de moyen moins contraignant d’y parvenir.

Cependant, les opposants ne trouvent pas les résultats de la politique convaincants en Australie. Alors que les estimations faites par NDSHS, organisme de lutte contre la drogue en Australie, montrent une baisse de la prévalence depuis 1991, la prévalence semble stable depuis 2012, date d’introduction du paquet neutre en Australie. Pire, dans 4 des 5 États  qui composent l’Australie, Philip Morris en s’appuyant sur des études menées par ces mêmes États affirme que cette prévalence a augmenté. D’après les résultats publiés, le taux de tabagisme a augmenté de 14,7 % à 15,0 % dans l’État de Victoria, de 14,3 % à 15,8 % dans le Queensland, de 12,7 % à 13 % en Australie-Occidentale et de 16,7 % à 19,4 % en Australie-Méridionale. (Le lien menant à l’étude mentionnée n’est plus actif cependant) [2]. La diminution globale de la prévalence serait donc antérieure au paquet neutre.

Philip Morris accuse la ministre de la santé française de déformer les données australiennes. Lors d’une intervention, cette dernière affirme l’efficacité du paquet neutre en s’appuyant sur des chiffres du Trésor Public du Commonwealth que la prévalence a diminué de 3,4% au cours de l’année 2012 [4]. Cependant, ces chiffres ne correspondent qu’au total des droits et taxes prélevés sur les produits du tabac. Ces données ne prennent donc pas en compte l’impact des ventes sur le marché parallèle, ainsi que l’impact possible de la destruction des paquets non-neutres ce qui aurait pu avoir comme cause d’augmenter les droits et les taxes prélevés sur les produits du tabac rétorque l’industriel du tabac. Pour ces raisons, le Trésor Public du Commonwealth déclare lui-même qu’il est impossible d’en tirer une conclusion quant à l’impact du paquet neutre sur la consommation.

Les opposants du paquet neutre reprochent aussi aux nombreuses études scientifiques de ne pas être fiables pour deux raisons :

  • Elles sont souvent commanditées par des organismes anti-tabacs, comme des associations de lutte contre le cancer, et ces opposants accusent les chercheurs eux-mêmes d’avoir une vision biaisée de la mesure.
  • Avant l’instauration du paquet neutre, les études ne pouvaient pas s’appuyer sur les résultats effectifs de la mise en place de la politique. Les opposants jugent donc que ces études, en plus de ne pas être particulièrement pertinentes et d’être très sensibles au biais, ne permettent pas de déterminer l’efficacité du paquet neutre et donc de déterminer si la politique peut être efficace en France. Ces études sont pourtant utilisées comme telles.

Une contestation sous forme de lobbying

L’Alliance of Australian Retailers fait partie des nombreuses actions entreprises par l’industrie du tabac pour discréditer le paquet neutre. Tout comme l’a été l’Alliance of Australian Retailers qui pendant longtemps a nié ses liens avec l’industrie du tabac et disait ne représenter que les revendeurs de tabac, bon nombre de ces méthodes ont été critiquées et dénoncées par la CNCT.

Les différents niveaux du lobbying contre le paquet neutre (Source : CNCT)
Les différents niveaux du lobbying contre le paquet neutre (Source : CNCT)

 

Lors de notre entretien avec Yves Bur, ancien parlementaire UMP qui avait le premier déposé une proposition de loi en faveur du paquet neutre en 2010, ce dernier nous a décrit le fonctionnement des lobbyistes. Ils disposent de deux leviers d’action, les représentants qu’ils envoient au Parlement, à la fois français et aussi européen pour faire circuler leurs arguments mais également les buralistes, qui véhiculent des arguments contre le paquet neutre à l’échelle locale.

Au niveau européen ce sont 160 lobbyistes qui ont été payés par ces groupes pour faire passer des arguments et semer le doute. Yves Bur

Par ailleurs les parlementaires sont invités à des week-ends ou des soirées. Rien d’illégal en soit, mais comme le note à nouveau M.Bur :

C’est assez insidieux, mais ça témoigne d’une réelle porosité entre le milieu du tabac et le monde politique. Yves Bur

De manière plus générale, le CNCT mentionne les menaces proférées par les buralistes et les industriels du tabac, de l’ordre économique et juridique, ainsi que les différentes études financées intégralement par l’industrie du tabac. Pour plus de détails, lire la page du CNCT.

Lire la suite : Synthèse et conclusion