Pour les industriels du tabac comme Philip Morris, il n’y a pas d’hésitation, cette mesure est illégale. Les raisons avancées, développées sur le site du cigarettier, sont nombreuses :
- Atteinte au droit de propriété privée puisque d’après l’article L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), « L’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque »
- Atteinte au droit à l’information, [est citée une décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui affirme à ce propos que « les dérogations…et les limitations [à ce droit]…doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire »]. Ainsi, le paquet neutre devra bénéficier d’un traitement particulier, dont peut bénéficier une mesure de santé publique si elle apporte la preuve de son efficacité.
- Atteinte au Règlement européen sur la marque communautaire (REMC) qui assure à tout détenteur de marque le droit : « d’identifier ses produits ou ses services de manière identique dans l’ensemble de la Communauté, sans considération des frontières »
- Atteinte au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), notamment sur le point de la libre circulation des marchandises au sein de l’Union Européenne. Cette mesure introduisant que le paquet neutre rendrait en effet les produits fabriqués et vendus dans le reste de l’Union Européenne non commercialisables en France.
Ces points donnent aux détenteurs des marques mais aussi aux pays qui le souhaitent et qui se sentent lésés, des éléments pour attaquer l’État français en justice.
Cette analyse est partagée par Simon Lester, diplômé de Harvard Law School, dans un article paru dans le Journal of World Trade qui conclut : les mesures qui visent à réguler la consommation de tabac ne peuvent pas et ne doivent en aucun cas entrer en collision avec les lois régissant le commerce international. Cet article rappelle aux tribunaux internationaux l’importance du respect de ces lois, et appelle le législateur national et ceux qui écrivent les lois du commerce à travailler de concert pour ne pas créer de tensions.
Pour Yves Bur, ancien parlementaire UMP à l’initiative de nombreuses mesures anti-tabac, la propriété intellectuelle d’un groupe correspond à son nom, lequel est conservé par le paquet de tabac neutre. Tout le reste, ce n’est que «l’univers» créé par les marques autour de leur nom, à des fins de marketing, et celui-ci est extrêmement fort.
Cet univers est très puissant et persistant, ainsi, lorsque Marlboro finançait l’écurie Ferrari, les voitures étaient rouges et blanches, et longtemps après que ce genre de publicité ait été interdit, les couleurs sont restées. En privant les marques de toute possibilité de marketing, on empêche ces univers de ce créer dans l’esprit des fumeurs. Yves Bur, docteur en chirurgie dentaire, ancien député UMP, auteur de la proposition de loi visant à l’instauration du paquet neutre.
Le design a pour lui permis aux cigarettiers de contourner les mesures anti-publicité visant le tabac, et le paquet neutre permet de neutraliser le dernier bastion du marketing des industriels du tabac. Sa position contraste donc fortement avec celle des cigarettiers, pour qui l’univers fait partie intégrante de la marque.
Les procès au-delà d’être une menace qui plane au dessus de la tête des États souhaitant instaurer cette mesure, sont déjà une réalité. Les industriels du tabac multiplient les recours devant les différentes cours et conseils pour faire valoir leur bon droit et que le paquet neutre soit reconnu comme illégal. Le 4 mai 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne a débouté les cigarettiers en appel, légitimant ainsi le paquet de tabac neutre.
Cependant, cela n’arrête pas les grandes marques, puisque la Seita (Imperial Tobacco), a annoncé un recours devant le Conseil d’État pour annuler la loi.
Si les industriels échouent à faire reconnaître le paquet de tabac neutre comme illégal, cela ne les empêche pas de demander une compensation.
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