Le développement de marchés parallèles ou ventes hors réseau, est une des craintes principales des buralistes, relayée par l’industrie du tabac. On inclut dans ces ventes hors réseau les achats issus :
- Du commerce transfrontalier: ce sont les achats licites qui concernent les quantités importées par les voyageurs dans la limite des franchises autorisées, ainsi que les achats transfrontaliers respectant les dispositions nationales restreignant la quantité de tabac pouvant être détenue par un particulier.
- De la contrebande : des stocks effectués dans d’autres pays, puis importés en France de manière illégale et revendu ensuite.
- De la contrefaçon : ce sont des imitations qui viennent à 90% de l’Asie selon Klaus Berg, responsable chez Philip Morris de la lutte anticontrefaçon pour l’Europe du Nord. Les paquets contrefaits sont aujourd’hui pour la plupart d’une telle qualité que seul un œil expert est capable de déceler la falsification. Le produit cependant, est de qualité moindres. Il s’agit évidemment d’un commerce illégal.
Buralistes et industriels du tabac craignent que l’instauration du paquet neutre favorise le développement de ces marchés parallèles.
Quelle part représente ces ventes hors réseau par rapport au volume total de tabac vendu ?
Il s’agit là d’une quantité difficile à évaluer, mais qui reste pourtant cruciale à connaître pour juger l’efficacité même d’une mesure.
Il est indubitable que, comme le soulignent tant les fabricants et les débitants que la direction générale des douanes et des droits indirects, la mesure des achats hors réseau constitue un élément important de l’appréciation de l’efficacité des politiques d’augmentation des prix. [2]Rapport de la Cour de Comptes daté de 2012
La direction générale des douanes et des droits indirects obtient les résultats suivant à l’issue d’une étude effectuée sur l’année 2011.
De ces chiffres, le rapport de la Cour de Comptes tire les conclusions suivantes :
- Les achats dans le réseau des buralistes demeurent la principale source d’approvisionnement en France
- 75 % des achats hors réseau sont licites
- Les achats illégaux de tabac, qu’il s’agisse de contrebande, de contrefaçon ou d’achats sur Internet représenteraient en 2011 5 % des ventes de tabac, soit 2,7 Md d’unités et 3,8 Md de tonnes ;
- Les plus fortes augmentations des prix du tabac se seraient accompagnées d’une croissance des achats transfrontaliers, réputés peu significatifs avant 2003, ce qui souligne l’importance d’une meilleure coordination européenne ou bilatérale des prix et tempère l’analyse en termes de consommation du repli en volume des achats dans le réseau. Selon l’étude économétrique de l’OFDT, sur les 25 000 tonnes de ventes en moins enregistrées entre 2002 et 2004, 44 % seraient ainsi dus aux achats transfrontaliers (soit 11 000 tonnes par an) et 56 % attribuables à la baisse de la consommation des fumeurs français.
L’étude précédente donne des chiffres plus précis quant à l’origine des ventes hors réseau. Les nuances de rouges représentent des voies illégales, à l’inverse des bleues.
Les buralistes et l’industrie du tabac craignent qu’il s’agisse d’une réforme qui favorise le développement des marchés parallèles, ce qui entraînerait une baisse de revenus pour les buralistes, en particulier pour les commerces frontaliers, et dans une moindre mesure, pour les industriels du tabac (le commerce illicite étant largement inférieur aux achats licites dans le marché parallèle). Buralistes et industriels du tabac estiment qu’il s’agit déjà d’une conséquence des augmentations successives du prix du tabac en France.
La principale raison donnée par les deux groupes provient de la position de la France par rapport à ses voisins.
Nous serons d’accord avec le paquet neutre le jour où tous les pays européens seront logés à la même enseigne. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Ce qui nous importe c’est d’arriver à une harmonisation visuelle et tarifaire sur l’ensemble de l’Union pour éviter le marché parallèle qui coûte, au bas mot, 3 milliards à l’État, chaque année Pascal Montredon, président de la Confédération des Buralistes, confédération qui représente 27 500 buralistes.
La France, dans sa politique sur le tabac, se démarque en effet des pays limitrophes, avec des prix plus élevés, et bientôt une législation aussi différente, avec le paquet neutre (à l’heure actuelle, aucun voisin de la France n’a envisagé le paquet neutre). Lorsque la question du paquet à 10 euros a été évoquée en France, le site Atlantico.fr a réalisé l’infographie suivante[3], intitulée « Prix du tabac : les Français préfèrent parcourir des centaines de kilomètres pour acheter leurs cigarettes plutôt que de débourser 10 euros pour un paquet » :
Même si la question du paquet à 10 euros n’est pas la question ici, les buralistes craignent une nouvelle loi qui viendrait déséquilibrer la balance. Les achats transfrontaliers deviendraient encore plus séduisants, juge le groupe.
En ce qui concerne la contrefaçon, les industriels du tabac jugent que le paquet neutre, imposé à tous les paquets, rendra la contrefaçon des paquets plus facile qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Des avis divergents
Cependant, ces arguments sont largement contestés par le camp adverse, camp qui fait la promotion du paquet neutre. Ces oppositions s’appuient en partie sur des études réalisées en Australie, à la suite de la mise en place du paquet neutre. On peut en particulier en citer deux d’entre elles :
Scollo, Michelle, Megan Bayly, et Melanie Wakefield. « Availability of Illicit Tobacco in Small Retail Outlets before and after the Implementation of Australian Plain Packaging Legislation » [4]
L’objectif de cette étude est d’évaluer les changements dans la disponibilité de cigarettes de contrebande dans de petits commerces après l’introduction du paquet neutre en Australie.
Résultats : Il n’y a eu aucune différence concernant la disponibilité de tabac illicite après la mise en place du paquet neutre. Moins d’un pourcent des paquets demandés à la suite de la demande du « paquet le moins cher possible » ont été jugés comme illicites.
Scollo, Michelle et al. « Use of Illicit Tobacco Following Introduction of Standardised Packaging of Tobacco Products in Australia: Results from a National Cross-Sectional Survey ». [5]
Cette étude se penche sur l’un des arguments clés de ceux qui s’opposent à la mesure, puisqu’elle questionne la hausse de la consommation de tabac illicite après l’instauration de la mesure.
Résultat : Le niveau de vente de tabac illicite sans marque (chop-chop tobacco) reste autour de 3%. Les achats de paquet contrefaits et les achats réalisés auprès de vendeurs non autorisés sont aussi restés à des taux constants. En Australie, le paquet neutre ne semble donc pas avoir eu d’effet sur le commerce parallèle.
En ce qui concerne la France, Maître Caron, agrégé des Facultés de Droit, professeur, avocat à la Cour et spécialiste de la propriété intellectuelle affirme que cette mesure n’aura pas d’effet sur le commerce illicite : «Aujourd’hui, la contrefaçon concerne les produits du tabac dont l’emballage est déjà copié. Des paquets neutres avec des visuels graphiques ne seront pas plus faciles à copier que les paquets actuels.».
Cependant, en ce qui concerne les achats transfrontaliers, il est difficile de comparer la situation de la France au cas australien, du fait de la géographie propre du territoire français, comparé au domaine insulaire australien. Les défenseurs du paquet neutre rétorquent cependant que le packaging peut difficilement stimuler les achats transfrontaliers.
Quelle est la situation des buralistes ?
Alors que Pascal Montredon, président de la Confédération des Buralistes évoque un « risque de disparition de notre réseau alors que nous perdons chaque année 1000 buralistes », quelle est la situation réelle des buralistes ?
Le rapport de la Cour des Comptes « Les politiques de lutte contre le tabagisme » datant de fin 2012 [2] effectue un bilan de la filière. En France, les débitants sont rémunérés au moyen d’un pourcentage du chiffre d’affaire tabac qu’ils réalisent. Cette « remise brute » s’élève en 2012 à 8.54%. Pour limiter l’incidence sur la rémunération des buralistes de l’augmentation des prix du tabac et des différentes lois de lutte contre le tabagisme, l’Etat a mis en place trois « contrats d’avenir » (2004-2007, 2008-2011, 2012-2016), s’élevant entre 2004 et 2011 à 1,3 millions d’euros, représentant la moitié des aides publiques données au secteur.
Ces contrats d’avenir soutiennent le réseau sous différentes formes, en particulier une remise « compensatoire » de perte de chiffre d’affaire, allant de 50 à 80% selon la baisse, en plus d’une remise additionnelle.
Cependant, d’après la Cour des Comptes, en prenant compte de l’inflation et de la diminution du nombre de débitants de tabacs, les recettes des buralistes en termes réels ont augmenté de façon soutenue. Cette progression est estimée comme étant de l’ordre de 4% par an en volume, alors que le contexte général est plus de l’ordre d’une baisse générale du pouvoir d’achat.
La croissance forte et persistante de la rémunération moyenne des débitants au cours de la dernière décennie ne doit pas masquer que le nombre de débits connaît une « lente érosion » : 5 300 ont disparu entre 2002 et 2011, dont plus de 4 600 depuis l’instauration des « contrats d’avenir ». Cependant, cette érosion devient moins forte à partir de 2008. Le rapport de la Cour des Comptes souligne le fait que les zones limitrophes ne sont pas toutes identiquement touchées, et qu’une bonne partie de ses fermetures sont indépendantes à l’effet frontalier, mais ont plutôt des origines liées à la désertification des zones rurales à démographie déclinantes.
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