L’absence de certitudes face à des théories toujours plus nombreuses
Un des objectifs principaux des scientifiques qui s’intéressent aux FRBs à l’heure actuelle est de comprendre leur origine et le mécanisme qui les génère. Ils sont donc amenés régulièrement à proposer des hypothèses et des modèles.
Lorsqu’on constate le nombre important de théories concernant les FRBs, on peut se demander comment les scientifiques arrivent à trouver un consensus autour d’une théorie plutôt qu’une autre ? Comment décident-ils qu’une hypothèse est meilleure qu’une autre ? Qu’est ce qui fait qu’une hypothèse va persister dans le temps ?
Dans le cas des FRBs, il est certain qu’on ne peut avoir aujourd’hui aucune certitude. Les informations disponibles sur la nature de ces signaux sont très éparses. Et même si certaines nouvelles découvertes permettent de faire des bonds en avant dans la compréhension du phénomène, elles ne suffisent pas.
L’évolution des théories au gré des découvertes
De manière générale, la chronologie de l’étude du phénomène souligne le fait que les hypothèses se font et se défont au rythme des nouvelles découvertes qui ponctuent les campagnes d’observations. Découvrir de nouveaux signaux est absolument indispensable pour avancer et pouvoir faire évoluer les hypothèses, écartant les unes, favorisant ou complétant les autres… Cependant, toutes les découvertes n’ont pas nécessairement le même effet.
Certaines découvertes impliquent des conséquences assez évidentes qui font rapidement et facilement l’objet d’un consensus. Des hypothèses faites au début des FRBs ont ainsi été écartées de façon quasi certaine grâce aux nouvelles avancées liées aux FRBs détectés plus tard. Plus récemment, prenons l’exemple de la découverte de polarisation magnétique de ces signaux radio. Cette donnée supplémentaire a suggéré la présence de forts champs magnétiques à proximité des sources des FRBs. Cela a permis aux scientifiques de réduire les zones de recherche et de se concentrer sur des endroits connus pour leurs importantes propriétés magnétiques. Ici, les théories qui ne pouvaient s’accompagner de champs magnétiques ont été quelque peu mises en retrait. Mais la réduction des hypothèses, et même celle de l’espace à ces zones, laisse une pléthore de possibilités à envisager sans donner de véritables réponses sur les sources.
De plus, de très nombreuses découvertes ne permettent pas de manière évidente de discriminer parmi les théories existantes. Leurs conclusions ne peuvent en fait s’appliquer avec certitude qu’au signal sur lequel elles s’appuient. Ce problème est très bien mis en lumière par Evan Keane dans son article scientifique A Fast Radio Burst Hosts Galaxy, en comparant son étude avec celle de Kiyoshi Masui parue quelques mois auparavant Dense magnetized plasma associated with a fast radio burst. Evan Keane s’intéresse au FRB150418 détecté à Parkes et s’appuie sur des mesures de redshift (décalage vers le rouge du signal), pour accéder à des indications de distances, de rayonnement… L’équipe de Masui a aussi travaillé sur ces mesures de redshift sur le FRB110523 cette fois pour étayer ses conclusions. Et il s’avère quelles sont opposées.
« Our conclusion that FRB 150418 is likely to be from a one-off event in an older stellar population may be at odds with the recent discovery of FRB 110523. It is possible that there are two or more classes of FRB progenitor. These FRBs differ in their observed pulse widths and we speculate that this parameter might act as a discriminator between differing progenitors. »
A Fast Radio Burst Hosts Galaxy, (2016, 25 février), Nature
*Notre conclusion que le FRB150418 est probablement le résultat d’un évènement unique ayant eu lieu dans une vieille population d’étoiles peut être en contradiction avec la récente découverte du FRB110523. Il est possible qu’il existe deux ou plusieurs types de sources de FRBs. Ces deux FRBs différent dans leur largeur d’impulsion et nous supposons que ce paramètre peut être discriminant entre les différentes classes de sources.
Une prudence nécessaire dans les affirmations
Nous venons de voir qu’il n’est pas aisé d’interpréter des résultats, ou d’en tirer des généralisations qui pourraient s’appliquer à tous les FRBs observés. Ce type d’observations ajoute par ailleurs toujours un doute sur la nature même du phénomène dont on parle. Quelles raisons aurait-on de vouloir faire des généralisations et tenter d’unifier les hypothèses quand bien même personne ne peut affirmer avec certitude qu’il n’existe qu’un seul type de FRB, ou un seul type de mécanisme pour les émettre ?
« This trend is seen in the published FRB population : some are clearly resolved, some are clearly not, although extra care needs to be taken in re-analysing this, as very slight errors in dispersion measure, as well as the effect of multi-path scattering, can make an FRB appear to have a longer intrinsic timescale. »
A Fast Radio Burst Hosts Galaxy, (2016, 25 février), Nature
*Cette tendance [d’avoir plusieurs types de FRBs] se voit dans les publications concernant les FRBs : certains sont mesurés comme étant résolu en temps, d’autre absolument pas, il faut donc absolument prendre le temps de réanalyser les données, car d’infimes erreurs dans les mesures de dispersion tout comme la dispersion lors des enregistrements multi-voies peuvent influencer l’échelle de temps d’un FRB et la faire apparaitre plus longue.
Cette interrogation a été plus que jamais au coeur des discussions lors de la découverte du FRB121102, premier signal se répétant. Devait-on prendre cette découverte comme une généralité s’appliquant à tous les FRBs, ou comme un phénomène isolé qui définirait peut-être un second type de signal ? Si on considère à partir de cette observation que tous les FRBs se répètent, il semble cohérent d’éliminer toutes les hypothèses cataclysmiques et de favoriser celles mettant en jeu des objets en rotation. Mais cela revient à faire un choix, avec une très grande incertitude…Nous avons ainsi interrogé Shami Chatterjee sur le sujet, et voici sa réponse :
« This is more of a philosophical issue at this point, until we get more detections of FRBs that repeat, or figure out that most FRBs do not actually repeat. There is no reason to rule out multiple classes of FRBs (why stop at two? Why not three?), but there is also no reason to jump to more complex explanations, as opposed to saying that all FRBs come from the same mechanism and we have just been unlucky with the others so far. In our work, we are very careful to say that: at least in this ONE instance, we can conclude that the mechanism is not cataclysmic. »
Shami Chatterjee, extrait de notre échange par mail, 9 juin 2017
*Il s’agit plutôt d’une question philosophique à ce niveau, en attendant de détecter d’autres FRBs qui se répètent, ou bien d’établir que le plupart des FRBs ne se répètent pas. Il n’y a aucune raison de déclarer qu’il y a plusieurs types de FRBs (Pourquoi s’arrêter à deux ? Pourquoi pas trois ?), mais il n’y a pas non plus de raison de passer à des explications plus complexes, plutôt que de dire que tous les FRBs ont un même mécanisme et que nous avons juste été malchanceux avec les autres jusqu’à présent. Dans notre travail, nous sommes très prudents pour dire que : au moins dans ce cas particulier, on peut conclure que le mécanisme n’est pas cataclysmique.
Finalement, il serait donc très simpliste de considérer que les hypothèses formulées jusqu’à présent forment une sorte de pyramide qui se rétrécit à chaque nouvelle découverte. Bien au contraire, il semble parfois que lorsqu’une hypothèse disparaît, deux font leur apparition, si bien que plus on dispose d’informations sur les FRBs moins on est capables d’affirmer des généralités à leur sujet avec certitude. Cela est notamment dû au fait que le nombre de scientifiques s’intéressant au sujet des FRBs ne cesse d’augmenter. La découverte d’une certaine caractéristique des signaux peut attirer de nouveaux membres de la communauté scientifique. À l’origine personne n’était « spécialiste des FRBs », mais au fur et à mesure, le sujet a attiré des chercheurs de divers domaines, qui ont alors commencé à avoir des idées, puis proposer des théories et échanger avec leurs collègues sur le sujet.
Aujourd’hui, de très nombreuses théories semblent cohabiter sans que l’une prenne réellement le dessus. Les chercheurs restent toujours très humbles et prudents dans ce qu’ils affirment, pour ne passe lancer dans une fausse piste. Ils sont aussi très ouverts d’esprit et ne s’échinent pas à défendre leur point de vue initial si celui-ci est invalidé par de nouvelles mesures par exemple.
Les théories à l’épreuve du temps
Un des moyens de juger de la solidité d’une théorie est d’observer comment elle va survivre au temps. Il est pour cela intéressant d’étudier comment les publications scientifiques se répondent les unes aux autres. Si un chercheur repère ce qui lui semble être une erreur ou une incohérence, il n’hésitera pas à le signaler et, à son tour, à écrire un article. C’est ainsi qu’avance la recherche, et on peut donc considérer qu’une théorie qui survit à ces cycles de mise à l’épreuve est relativement solide (sauf si elle est tout simplement ignorée, ce qui est rarement de bon augure quant à sa validité). Cette remise en question par ses pairs est donc bienvenue et appréciée par les chercheurs, et dès qu’une théorie apparait, chacun s’efforce d’en chercher les failles. Lors de l’entretien que nous avons eu avec MM. Zarka et Mottez, ils décrivaient cela comme « le jeu préféré des scientifiques », car c’est à la fois exaltant pour leur curiosité, et enrichissant scientifiquement.
NB : Nous avons tenu à préciser ces points pour que le lecteur de ce site garde un esprit critique sur les hypothèses décrites précédemment et ne cherche pas forcément la réponse au mystère des FRBs parmi celles-ci. Aujourd’hui, l’incertitude est très forte, et tout reste encore possible.