Le droit de veto

Très souvent, les voix critiques dénoncent dans les manifestations l’existence d’un droit de veto de la France au sein des institutions de la Zone Franc.

« Si cette monnaie est une monnaie africaine, si cette monnaie n’est pas une monnaie coloniale, qu’est-ce que des Français cherchent au conseil d’administration de notre banque centrale, jusqu’à y avoir un droit de véto ? »

Guy Marius Sagna, coordonnateur du front “Non aux APE (Accord de partenariat économique), non au FCFA” , Le Point Afrique, 18/09/17 [1]

“Il y a trois banques centrales africaines qui gèrent l’économie et la vie de millions de personnes et devinez qui est ce qui a un droit de veto dans chacune de ces banques ? La France !”

« Abdel en vrai », vidéo Youtube, 19/01/17 [2]

Systématiquement relayée par les blogs d’activistes et les youtubeurs  panafricains, tournée en dérision par des humoristes comme « Abdel en vrai », cette critique est également émise par des sources plus modérées comme des économistes :

“Il [Emmanuel Macron] a à présent toute l’opportunité de mettre fin à ce crime qui continue d’être ressenti dans les pays de la zone franc. Ceci passe par trois axes : d’abord abolir le droit de veto de la France[…]”

Abdoulaye Ndiaye, Le Monde Afrique, 27/09/17 [3]

On le voit, cette critique est omniprésente et constitue l’un des principaux motifs de la contestation grandissante au sein de la population de la Zone Franc. Néanmoins, pour la plupart des cas, la référence est brève et cède immédiatement le pas à une interprétation néo-colonialiste, sans explicitation d’un quelconque élément de preuve. Parfois, ces acteurs précisent la nature de ce veto. Ils s’appuient, pour leur démonstration, sur des extraits des statuts des banques centrales [4], et plus précisément sur ceux du conseil d’administration.

“Les propositions de modification des présents Statuts dans les domaines relevant de la compétence du Conseil d’Administration, sont arrêtées à l’unanimité.”

Extrait de l’Article 82 [4]

Ceux-ci ne peuvent être en effet modifiés qu’à l’unanimité des membres présents. D’autre part, lors d’une session banale, les délibérations ne sont valides que si un certain quorum de membres est atteint (à la B.C.E.A.O. comme à la B.E.A.C.). Il suffirait alors à la France de se porter absente afin d’enrayer toute tentative de modification ou de transformation des instances régissant la monnaie unique.

“Il suffit pour la France de pratiquer la politique de la chaise vide (n’envoyer aucun de ses membres aux réunions de prise de décisions) pour bloquer toutes les affaires des six pays membres de la BEAC.”

Site internet cameroonvoice, 29/01/14 [5]

Le Trésor Français – l’un des deux représentants de la France, avec la Banque de France, dans les institutions de la Zone Franc – se défend naturellement de tels pouvoirs. Pierre-Ange Savelli tient à rappeler que la France n’est représentée que dans trois des cinq conseils de la B.C.E.A.O. (Comité de Politique Monétaire, Conseil d’Administration de la B.C.E.A.O. et Commission Bancaire). Il explique en outre que ces conseils ont surtout un rôle technique.

Voici représenté ci-dessous le schéma organisationnel des instances auxquelles participe la France, représentée par ses deux institutions impliquées dans la gestion du Franc CFA (Banque de France, Trésor Français) :

Source : Schéma réalisé à partir des informations du site officiel de la BCEAO – https://www.bceao.int/fr

 

“Concrètement, c’est une institution qui décide d’assez peu de choses. Ce conseil [Conseil d’Administration] régit la Gestion interne de la banque, notamment de la gestion du patrimoine matériel…”

Pierre-Ange Savelli, entretien du 6/06/18 [E]

Ces conseils auxiliaires restent soumis aux décisions politiques des deux principaux conseils (Conseil des Chefs d’Etat et Conseil des Ministres), qui restent, eux,  vierges de toute représentation française.

“Dans l’U.E.M.O.A., il y a deux principales institutions, deux principaux conseils : le conseil des Chefs d’Etat et le Conseil des Ministres. La France n’y est pas, juridiquement, alors que ce sont ces conseils (notamment le premier) qui prennent les décisions.”

Pierre-Ange Savelli, entretien du 6/06/18 [E]

Le droit de veto est une notion qui, indépendamment du problème du Franc CFA, soulève de nombreuses interrogations (il suffit de se tourner du côté du Conseil de Sécurité de l’ONU pour l’observer). La légitimité de son détenteur est constamment remise en cause, la dissymétrie qu’il induit fait surgir la crainte d’une ingérence. Dans le cas de la zone Franc, l’argument se déploie assez spontanément dans le spectre de l’histoire coloniale. De ce fait, la problématique du droit de veto acquiert une forte inertie symbolique qui sert positivement le discours anti franc-CFA (et notamment panafricaniste). C’est ce symbolisme dangereux que des économistes défendant une monnaie commune comme Abdoulaye Ndiaye veulent abolir, car il met en péril la viabilité d’une monnaie potentiellement profitable [3].

 

Vous souhaitez revenir à l’accueil de la controverse ou visiter la page suivante ?

 

Bibliographie :

[1] « Afrique : les anti-franc CFA se mobilisent dans la rue ». Le Point Afrique, 18 septembre 2017. http://afrique.lepoint.fr/economie/afrique-les-anti-franc-cfa-en-quete-de-strategies-face-a-la-bceao-18-09-2017-2157931_2258.php.

[2] Abdel en vrai. LA PLUS GROSSE ESCROQUERIE DE FRANCE : LE FRANC CFA. Consulté le 21 juin 2018. https://www.youtube.com/watch?v=V7_MtxxWIf4.

[3] « “Il faut changer l’identité du franc CFA qui crée une violence symbolique” », 27 septembre 2017. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/09/27/il-faut-changer-l-identite-du-franc-cfa-qui-cree-une-violence-symbolique_5192504_3212.html.

[4] https://www.bceao.int/sites/default/files/inline-files/StatutsBCEAO2010_0.pdf

[5] « Le Franc CFA pour les nuls », 29 janvier 2014. http://www.cameroonvoice.com/news/article-news-14007.html.

[E] Entretien réalisé en 2018 par les élèves de l’Ecole des Mines de Paris. http://controverses-minesparistech.fr/groupe7/wordpress/entretiens/