L’héritage colonial…

« CFA » : un acronyme qui révèle de premières dissensions

Le franc CFA est officiellement né le 26 décembre 1945, quand la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des colonies françaises d’Afrique ».

Il s’agit alors de restaurer l’autorité monétaire française dans ces territoires qui ont été isolés de la métropole durant la seconde guerre mondiale, et ont souffert de la raréfaction des échanges, et ont dû parfois créer des émissions locales appuyées sur d’autres devises que le franc français …

La règle du jeu monétaire est simple : dans tous les pays membres circuleront désormais des billets de nom et des graphismes différents mais de parité fixe avec le franc. Les initiales CFA désigne alors la « Communauté financière africaine » pour les sept États de l’Ouest et la « Coopération financière de l’Afrique centre » pour les six autres pays. En 1958, le franc CFA devient « franc de la communauté française d’Afrique ». Aujourd’hui, l’appellation franc CFA signifie franc de la communauté financière d’Afrique pour les pays membres de l’UEMOA[CA1] , et franc de la coopération financière en Afrique centrale pour les pays membres de la CEMAC[CA2] .

La sédimentation des différentes significations de l’acronyme suffit à elle seule à faire comprendre la complexité du conflit qui opposent les défenseurs et les détracteurs de la monnaie. Le nom originel de la monnaie fait encore scandale parmi les opposants à la monnaie qui la considèrent comme une relique du passé colonial de la France :

« […] on va parler du franc CFA. Alors déjà première blague : « CFA » ça veut dire « Colonies Françaises d’Afrique. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte … ils ont une monnaie qui s’appelle « Colonie » ! » Extrait d’une vidéo de la chaîne YouTube

« Abdel en vrai », vidéo Youtube, 19/01/17 [1]

Ces acteurs préfèrent ont donc tendance à porter le débat sur le versant historique de la controverse.[CA3]

 

Le trésor français : une « tutelle » malvenue ?

Avec les indépendances, une première critique de nature « idéologique » traverse la zone franc. Selon ses détracteurs, le mécanisme du franc CFA pérennise des relations dépassées entre les pays nouvellement indépendants et l’ancienne métropole coloniale. Les États africains sont privés d’un réel pouvoir monétaire qui est un rouage d’une réelle indépendance. C’est cette conviction qui explique le départ du Mali en 1962 et de Madagascar en 1973. Cependant, rapidement ces deux pays se retrouvent avec de sérieuses difficultés économiques et le Mali finit par réintégrer le système en 1984.

Certains critiquent le rôle du trésor français dans cette tutelle économique. Dans une tribune dans laquelle apparait le Logo de « Vox AFRICA » (une chaîne de télévision panafricaine) datant d’il y a quelques années, une présentatrice dénonce un impôt colonial payé par les pays africains :

« Vous ne le saviez peut-être pas, mais aujourd’hui encore, beaucoup de pays africains continuent de payer un impôt colonial en France, et ce malgré l’indépendance. (…) Quatorze pays africains sont obligés par la France à travers le pacte colonial de mettre 85 % de leur réserve à la Banque centrale de France. A savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée-Equatoriale et le Gabon. »

Extrait de reportage de « Vox Africa » publié sur Twitter, 5/01/17 [2]

Selon l’auteur d’un article du site « Silicon Africa » publié en 2014, le franc CFA rapporterait « autour de 500 milliards de dollars pour son Trésor chaque année, depuis l’Afrique.

Pour Pierre Ange SAVELLI, membre de la direction générale du Trésor dans la sous-direction des affaires financières multilatérales – Adjoint au chef du bureau « Afrique et AFD »​, ces éléments sont faux. L’erreur viendrait du fait que les détracteurs confondent la réserve de change qui est conservée par le trésor « dont le taux de centralisation des réserves de change est passé de 100% à 67% et aujourd’hui il est à 50 % (sauf aux Comores) » avec cette prétendue taxe.

Il ajoute d’ailleurs que le Trésor ne touche aucun bénéfice financier de cette coopération, et que la balance est même négative a priori :

“[Le compte d’opérations], C’est un compte qui est rémunéré, qui a une garantie sur les variations de change, et qui coûte des dizaines de millions d’euros chaque année à la France, et ça pourrait coûter beaucoup plus cher s’il y avait un problème.”

Pierre-Ange SAVELLI, entretien du 6/06/18 [E]

D’après Pierre-Ange Savelli, certains sont mêmes opposés à l’intervention du trésor dans la gestion de la monnaie du fait du coût de cette organisation. Il rappelle en outre que rien dans les statuts des différentes institutions de la Zone Franc empêche ses membres de la quitter.

« Question : Macron a dit “Personne n’oblige quelque Etat que ce soit à rester membre (de la zone Franc). Est-ce que le Trésor Français soutient cette position ou bien est-ce que ce n’était qu’une boutade politique visant à montrer qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur le plan postcolonial ?

Pierre-Ange SAVELLI : Depuis 58, la guinée n’est pas rentrée, la Mauritanie est sortie, la Mali est sorti puis rentré et la Guinée-Bissau, qui n’a rien à voir historiquement avec les colonies françaises, est rentrée dans les années 90. Donc rien n’empêche juridiquement la sortie de l’un des états membres. Ensuite, politiquement, c’est une décision des chefs d’état. Enfin, concernant le Trésor, est-ce que ça lui est égal… Le Trésor a pas vraiment d’avis là-dessus. »

Entretien du 6/06/18 [E]

En plein débat sur la colonisation, la vidéo virale qui assure sans détour que les pays africains versent encore aujourd’hui un « impôt colonial » à la France pour les « bienfaits » de la colonisation contribue néanmoins à nourrir la controverse sur son versant symbolique et historique. Le poids de la colonisation reste ainsi particulièrement présent.

Pour Kako Nubukpo, l’importance de la symbolique ne doit pas être prise à la légère : l’organisation de réunions de la zone franc en Afrique ou à Paris en compagnie de Bruno Lemaire – l’actuel ministre de l’Economie et des Finances français –  “Grand homme blanc entouré de ses petits ministres noirs” est assez malsaine, 60 ans après la décolonisation. Ces événements créent une violence symbolique qui pose les pays africains de la zone franc comme des annexes ou des protectorats de l’état français.

 

Vous souhaitez revenir à l’accueil de la controverse ou visiter la page suivante ?

 

Bibliographie : 

[1] Abdel en vrai. LA PLUS GROSSE ESCROQUERIE DE FRANCE : LE FRANC CFAhttps://www.youtube.com/watch?v=V7_MtxxWIf4.

[2] Mababu, Nsi. « 14 pays africains contraints par la France à payer l’impôt colonial pour les « avantages » de l’esclavage et de la colonisationpic.twitter.com/6JIR9qG9O8 ». Tweet. @NsiMababu (blog), 5 janvier 2017. https://twitter.com/NsiMababu/status/817052671949570049?ref_src=twsrc%5Etfw&ref_url=http%3A%2F%2Fwww.liberation.fr%2Fdesintox%2F2017%2F02%2F22%2Fnon-les-pays-africains-ne-versent-pas-un-impot-colonial-a-la-france_1550206.

[E] Entretien réalisé en 2018 par les élèves de l’Ecole des Mines de Paris. http://controverses-minesparistech.fr/groupe7/wordpress/entretiens/