Un débat d'experts
Un article fondateur qui établit un consensus médical
En 1972, John Caffley publie la première étude [2] mettant en évidence un lien entre une triade de symptômes (hématomes sous-duraux, hémorragies rétiniennes et lésions cérébrales). Basée sur des cas que Caffley a pu observer depuis 1946, l’étude n’utilise pas le terme de SBS qui sera inventé la décennie suivante mais constitue une étude charnière sur le sujet. Cet article est la base de l’identification du SBS lorsque la triade est présente. Cette méthode, présentée à plusieurs congrès internationaux, n’a jamais été remise en question [3]. Les recommandations de la HAS [4] écrites en 2011 et actualisées en 2017 s’appuient sur cette étude de Caffey : il s’agit de la première référence citée dans leur argumentaire [5].
Jusqu’à 2016, le consensus médical dans la communauté scientifique était le suivant : à part de rares exceptions, la triade identifiée chez un nourrisson indique qu’il a été secoué. D’après les associations de défense, ce consensus a amené de nombreux parents et nourrices à être condamnés injustement.
Un dialogue ping-pong au sein du milieu scientifique
En 2016, l’équivalent suédois de la HAS publie un article fondateur [6] sur la triade : après avoir soigneusement examiné plus de 3000 articles et 30 études. Elle en a conclu que seulement 2 étaient pertinentes : les autres sont supposément soumises à des biais qui invalident leur sérieux. L’article met ainsi en évidence le raisonnement circulaire qui serait à l’origine de nombreuses condamnations et de mauvais diagnostics. Cette étude reflète la situation actuelle de la Suède, qui a récemment vécu un « renversement de la jurisprudence » qui a amené des suspects à être relaxés au prix d’un long combat et d’années passées à analyser la littérature scientifique [7].
Cette étude a eu d’importantes répercussions sur le milieu scientifique : de nombreuses réponses ont été faites à l’article, ce qui a généré un effet ping-pong entre l’équipe suédoise et d’autres institutions – de la Suède ou d’ailleurs – qui se répondent par l’intermédiaire de courts articles. Ces articles ont la particularités de faire plusieurs références à d’autres plus anciens.
Cette période a été riche de grandes avancées sur le SBS. Les recherches se sont multipliées et ont pu avancer grâce à une mise en commun des différentes connaissances sur le sujet. Les institutions suédoises se sont appuyées sur quelques travaux pré-existants dans les autres pays d’Europe tandis que ces derniers ont remis à l’ordre du jour les recherches sur le SBS grâce à l’impulsion donnée par la Suède. Toutefois, ce n’est pas pour autant que les scientifiques ont tous convergés vers les mêmes conclusions. Même si les nouveaux articles s’appuient souvent sur d’autres plus récents pour faire progresser la connaissance sur le SBS, plusieurs arguments sont encore sous l’état d’hypothèses. Malgré ce ping-pong scientifique entre la Suède et les autres pays, le diagnostic exact du SBS n’est pas encore bien défini.
Parmi les critiques émises, le Dr Anne Laurent-Vannier et l’équipe qui a rédigé les recommandations de la HAS affirment [8] que cette étude n’est pas légitime et qu’elle ne fait qu’augmenter la confusion qui règne déjà sur ce sujet. L’équipe suédoise n’a pas manqué de répondre à cette critique en niant les supposés défauts de leur étude [9].
Des cas de revirement de la justice
Bien qu’on arrive à identifier les conséquences d’un secouement chez l’enfant, il reste à savoir si certains de ces symptômes suffisent pour conclure à un cas de SBS. Dans certains cas, les expertises faites en premier lieu éliminent des diagnostics différentiels qu’une nouvelle expertise habilite par la suite. On peut citer [10] le cas d’un grand père qui a été envoyé en prison, accusé car il a amené à plusieurs reprises aux urgences son petit-fils victime de vomissement. Deux ans plus tard, un autre médecin conclut que le SBS n’est pas la seule hypothèse à envisager (les vomissements peuvent être causés par les mouvements spontanés du bébé). L’enfant s’est développé normalement, la mise en en examen du grand père a été levée.
Références
[1] Vinchon, M. (2017). Shaken baby syndrome: what certainty do we have? Child’s Nervous System: ChNS: Official Journal of the International Society for Pediatric Neurosurgery, 33(10), 1727‑1733. https://doi.org/10.1007/s00381-017-3517-8
[2] Caffey J. (1972). On the theory and practice of shaking infants. Its potential residual effects of permanent brain damage and mental retardation. Am J Dis Child
[3] Syndrome du bébé secoué : « Ce qui importe n’est pas tant la moralité des experts que la qualité scientifique de leur travail ». (2019, janvier 23). lemonde.fr
[4] Laëtitia, C. (2017). Haute Autorité de santé. 46.
[5] Alexandre, P. (2017). Haute Autorité de santé. 338.