Les arguments adverses des associations et d'experts indépendants

Les associations de défense et les avocats essayent de faire entendre une vision différente du traitement des cas présumés de SBS par la justice. Les associations dénoncent un raisonnement circulaire néfaste aux parents accusés qui se voient systématiquement présumés coupables [1]. De plus, les associations dénoncent le manque d’investissement du corps médical dans la recherche d’autres causes aux symptômes apparaissant chez l’enfant [2]. Les recommandations de la HAS [3] préconisent de privilégier l’hypothèse du secouement lorsque la triade est observée et qu’aucune autre explication plausible n’est possible. Cependant, les associations de défense estiment [2] que la recherche d’autres explications n’est pas assez approfondie, ce qui mène à des erreurs de diagnostics et donc à des injustices.

L’expertise même des médecins est aussi remise en cause : les parents d’associations déplorent [4] que leurs enfants ne soient pas examinés par des spécialistes en maladies rares, qui peuvent parfois être à l’origine de symptômes qui s’apparentent à de la maltraitance.

Avec quelques 400 cas par an, [les experts] survolent chaque dossier et n'ont pas le temps d'examiner scrupuleusement l'éventualité d'un diagnostic différentiel

Une remise en cause fréquente est aussi le problème de distinction entre ceux qui soignent et ceux qui jugent. Les experts ayant écrits les recommandations de la HAS sont ceux qui sont appelés pour faire des expertises, des contre-expertises ou pour exposer les faits au juge d’instruction. Le parent de l’association d’Adikia que nous avons interviewé estime que les experts en France qui ont rédigé les recommandations de la HAS ne sont pas armés pour répondre à la demande : avec les quelques 400 cas par an, ils survolent chaque dossier et n’ont pas le temps d’examiner scrupuleusement l’éventualité d’un diagnostic différentiel.

Des méthodes remises en cause par des experts

En France comme à l’internationale, nombreux sont les experts, docteurs et professeurs qui remettent en question les connaissances qu’ils ont acquises sur le SBS. Quand ce ne sont pas les connaissances qui sont remises en cause, c’est l’expertise des médecins et la distinction entre le médical et le légal qui sont critiquées.

Une critique bien souvent avancée par le corps médical est l’incompétence des médecins appelés pour apporter une expertise. D’après le Dr Bernard Echenne [5], la plupart des expertises sont menées par des médecins légistes et non pas par des radiologues ou des pédiatres qui savent lire les imageries médicales ou qui sont spécialisés dans les pathologies des tout-petits. Cet argument est appuyé par les Dr Rémi Pellet et Jean Marty [6], pour qui l’expert n’est pas formé pour ce genre de mission : quand on demande ce genre d’expertise, on oriente la réflexion et les recherches de l’expert qui est ainsi victime d’un « effet tunnel ».

Dr Bernard Echenne. Source : LeParisien
Dr A. Norman Guthkelch. Source : choice.npr.org
Les critiques ne viennent pas que d’experts considérés comme des « négationnistes », qui ne croient pas à ce lien de cause à effet entre la triade et le secouement. Norman Guthkelch, un neurochirurgien britannique, a émis l’hypothèse en 1971 [7] que les symptômes de la triade pouvaient être causés par un secouement. Cet article de deux pages est considéré comme fondateur et est communément cité par les autorités et experts persuadés du lien entre secouement et triade. Cependant, Norman Guthkelch a déploré jusqu’à sa mort en 2016 l’attitude des médecins et légistes qui posent le diagnostic de secouement sans explorer d’autres possibilités [8] [9]. Le neurochirurgien considère cet usage comme étant une « mauvaise interprétation de son travail » [9] et déplore la difficulté de communication entre les deux camps [8].

Références

[1] Bébés secoués : « Le débat judiciaire doit faire la différence entre ceux qui soignent et ceux qui jugent ». (2019). Le Monde.fr

[2] Association Adikia. Incertitudes diagnostiques. Consulté 16 juin 2019, à l’adresse Association Adikia website: https://adikia.fr/comprendre/diagnostic/
 
[3] Haute Autorité de Santé, & Somfer. (2017). Recommendations de bonne pratique Syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement – Texte des recommandations
 
[4] Skibinski, V., & Keryhuel, V. (2017). Enfants malades, parents maltraités. Le Monde.
 

[5] Durox, S. (2019, février 26). Syndrome du bébé secoué : le diagnostic est-il fiable ? leparisien.fr

[6] Marty, J., & Pellet, R. (2019, janvier 23). Syndrome du bébé secoué : « Ce qui importe n’est pas tant la moralité des experts que la qualité scientifique de leur travail ». lemonde.fr

[7] Guthkelch, A. N. (1971). Infantile Subdural Haematoma and its Relationship to Whiplash Injuries. BMJ.
 
[8] Shapiro, J. (2011, juin 29). Rethinking Shaken Baby Syndrome. npr.org.
 
[9] Cabut, S. (2019). Le diagnostic du syndrome du bébé secoué donne lieu à une guerre d’experts. Le Monde.