Deux exemples
Vanessa Keryhuel
Hylan, 7 mois, est fébrile car la grippe frappe plusieurs membres de sa famille. Ses parents, inquiets, l’emmènent aux urgences. Un IRM cérébral puis un scanner sont alors pratiqués.
Ils révèlent un épanchement de liquide autour du cerveau, ainsi que deux hématomes sous-duraux, de 5 et 10 mm. Ces symptômes une fois repérés par les médecins, le syndrome du bébé secoué est immédiatement considéré.
Hylan est alors placé pendant 15 jours dans une famille d’accueil pendant l’interrogatoire de sa maman. C’est la procédure normale, employée afin d’éviter une éventuelle maltraitance au sein de sa famille.
Vanessa Keryhuel et son compagnon, parents de l’enfant, sont alors placés en garde à vue, pendant 48 heures. Ils reçoivent alors une convocation devant le juge d’instruction et Vanessa est placée sous contrôle judiciaire et mise en examen pour « violence suivie
d’incapacité supérieure à 8 jours sur un mineur de 15 ans par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime ». Son conjoint ne se voit pas reprocher la commission d’une infraction et est placé sous le statut de témoin assisté. « Je passais le plus clair de mon temps avec le petit » , précise encore la maman, « ils ont dû estimer que si quelqu’un lui faisait du mal, c’était moi » . Le petit Hylan peut ainsi retourner auprès de son père, au domicile de ses grands-parents.
Quant à Vanessa, sa maman, elle peut rentrer au foyer familial avec son second enfant âgé, lui, de 5 ans. Il faudra attendre plusieurs mois pour que son conjoint et Hylan puissent enfin les rejoindre, sous condition toutefois qu’un suivi de l’aide sociale à l’enfance soit effectué.
Afin de continuer le combat et de l’étendre à tous les autres parents accusés à tard d’avoir secoués leur bébé, Vanessa Keryhuel fonde l’association nationale Adikia en 2017, qui regroupe maintenant quelques 200 familles accusées de maltraitance et criant leur innocence. Le site web rassemble des témoignages de parents injustement accusés de maltraitance alors que leur enfant souffrait d’un problème médical non reconnu.
Vanessa et son mari ont finalement été relaxés en 2019. La défense a mis en avant les contradictions des expertises médicales et l’hypothèse d’une hydrocéphalie pouvant expliquer certains des symptômes.
Sources : [1], [2] et [3]
Un parent de l'association Adikia
L’affaire commence en 2013. L’enfant de 6 semaines qu’il venait d’avoir avec sa compagne refuse de prendre le biberon et son état inquiète ses parents, qui l’amènent aux urgences. Sa fontanelle était anormalement bombée et présente des taux de PCT anormalement élevés. Il tombe dans le coma et décède treize jours plus tard. Entre temps, il était dans un état de souffrance et d’hypothermie important. Des IRM et une radiographie ont révélé une hémorragie sous-durale, une côte cassée et des lésions cérébrales. Plusieurs de ces éléments sont caractéristiques des symptômes de la triade.
Après l’autopsie et l’inhumation, ils furent mis en garde à vue. Sa compagne, qui se remettait à peine de l’accouchement, a fait une hémorragie en garde à vue à cause du stress. Elle a été relâchée deux jours plus tard.
L’interrogatoire était aussi épuisant physiquement que psychologiquement. Il a alors admis avoir levé mon enfant du berceau un peu vivement, ce qui a été pris comme un aveu de maltraitance. Le policier est allé jusqu’à lui montrer des photos de mon enfant ouvert en deux lors de l’autopsie. L’avocat commis d’office s’occupant de son dossier est devenu avec le temps expert dans la défense de ce genre de cas. Au début, il pensait défendre un coupable puis au fil du temps, après s’être renseigné sur la situation internationale de cette affaire, il a changé d’avis.
Les policiers sont allés jusqu'à lui montrer des photos de son enfant, ouvert en deux lors de l'autopsie
Après la garde à vue, il a été envoyé en correctionnelle. Accusé d’infanticide, le crime le plus grave en France, il risquait 30 ans de prison. Il s’est alors lancé dans une véritable bataille pour récupérer le dossier médical de son fils et pour trouver une autre explication aux violences dont on l’accuse. Cela a pris des mois et le dossier n’a jamais été envoyé dans son intégralité, les 3 pages cruciales du dossier de 250 pages ne lui ayant jamais été transmises.
Son enfant a souffert le martyr, car les doses d'antidouleurs étaient quasi nulles : le dossier comportait la mention "si nécessaire paracétamol".
Il a appris plus tard que c’est relativement courant comme situation. Une expertise croisée avec son autopsie donne que son enfant est mort d’une infection généralisée supposée nosocomiale alors qu’il était soigné dans le service de réanimation, dans l’aile la plus sécurisée et stérile de l’hôpital. Cependant, il est écrit dans son dossier “ pas de maladie nosocomiale” alors que son corps s’est révélé couvert d’abcès, ce qui est incohérent. Il a envoyé ce dossier à un expert canadien afin d’avoir un avis plus neutre sur la situation. Il lui a répondu que cette situation est une aberration et lui a donné le nom de la pathologie dont souffrait son enfant. Cette pathologie avait été soupçonnée à l’hôpital qui avait pris des dispositions pour la soigner, mais qui avait été éclipsée par la découverte des symptômes de la triade. Son enfant a souffert le martyr, car les doses d’antidouleurs étaient quasi nulles : elles étaient précédées de la mention « si nécessaire paracétamol ».
En plus de ce dossier, des échantillons ont été recueillis lors de l’autopsie mais la réglementation impose qu’ils soient détruits après 6 mois. Il ne restait alors plus qu’un dossier incomplet et des imageries médicales par nature de mauvaise résolution.
Il a fait appel car c’était la seule arme dont il disposait. Il a perdu. Le dossier a été examiné par 6 experts, seul le 6e a vu que le taux de PCT était anormalement élevé, ce qui est écrit à la main dans une marge en bas d’une des 250 pages du dossier.
Alors que qu’il essaye de mener sa propre enquête, sa vie continue mais est très perturbée : ce genre de procès dure entre 5 et 10 ans. Pendant ce temps, il y a le travail ― il cumulait pendant un temps deux métiers, avec 20h de travail par jour, le chômage, d’autres enfants, les vacances… Mais tout cela se passait en France, car il avait l’interdiction de sortir du territoire. Il a trouvé trois professionnels qui ont accepté d’enquêter pour lui: un neuropédiatre français, un neuropathologiste anglais et un expert canadien pour diagnostiquer la pathologie dont souffrait son garçon. Ils ont tous les trois travaillé bénévolement, dans une simple recherche de la vérité.
Il y a cinq experts en France qui font la pluie et le beau temps dans ces affaires. Ces cinq experts sont débordés par les 400 cas par an, ce qui se voit dans les copier-collers que l’on observe d’un dossier à l’autre. Lorsqu’il a demandé une contre-expertise, elle a consisté en une relecture par un des cinq experts du travail d’un de ses collègues, qui a permis de faire passer le statut de bébé secoué de “probable” à “certain”. Certains de ces cinq experts ont participé à la création des recommandations de la HAS, appliquent ces recommandations et forment les magistrats sur les questions de maltraitance. Ainsi, toute la fonction publique a une unique posture quant à ces questions.
« Il y a cinq experts en France qui font la pluie et le beau temps dans ces affaires. »
« Je vis avec un sentiment de culpabilité permanent, car un parent est toujours responsable de son enfant. »
Aux assises, il faut se taire, adopter la posture que l’on attend et surtout que l’on tienne jusqu’au bout. C’est très dur, chaque question est piégeuse, il n’y a pas de bonne réponse. Il a passé toutes ces années à chercher de quoi est mort son bébé. Il vit avec un sentiment de culpabilité permanent, car un parent est toujours responsable de son enfant.
Il pense qu’il faudrait un changement de l’enseignement de la médecine et un changement de la formation des magistrats. Un chercheur, Geddes, a travaillé dans l’accusation pendant 20 ans. Il a montré récemment que des lésions que l’on pensait traumatiques étaient en fait dues à une hypoxie (manque d’oxygénation). Pour empêchement du travail de la police, il a été assigné en justice par Scotland Yard puis radié de l’ordre des médecins. Après avoir reçu le trophée américain du combat pour la justice, il a pu retrouver sa licence puis finir par prendre sa retraite. De cet exemple, il en déduit que les chercheurs et les médecins n’osent pas remettre en question ce qu’ils ont appris, par peur de la radiation. Les lanceurs d’alertes sont souvent à la retraite, ils n’ont plus grand chose à perdre.
Selon lui, la protection de l’enfance est indispensable et nécessaire mais les fondements scientifiques du SBS sont fragiles. Les cas avérés de SBS sont appelés enfants battus. Les experts n’ont pas de bases scientifiques solides pour leurs affirmations. Ils répètent les recommandations de la HAS. Une des cinq experts est Anne Laurent Vanier. Selon elle, l’accent est mis sur la protection de l’enfance, il ne peut donc y avoir de victoire pour les accusés. Il faudrait plutôt bétonner les preuves scientifiques du lien entre SBS et triade. Les médecins qui font les diagnostics sont légistes, et jamais neuro-médecins, personne qui soit vraiment spécialiste. Les juges veulent des certitudes mais les médecins ne peuvent jamais leur en donner, car il n’y a pas de vérité absolue en médecine. Il y a une sorte de relation triangulaire entre expert-médecins, police et justice.