Quantification des effets du diesel

        Tout d’abord, c’est le rapport du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) qui a explicitement classé les gaz d’échappement diesel parmi les produits cancérigènes pour l’Homme. Le rapport, publié le 15 juin 2012, s’appuie sur des études expérimentales et épidémiologiques réalisées avec des données s’étendant de 1967 à 97. Les études expérimentales s’attachent à soumettre des animaux et des cellules humaines aux particules fines, et les études épidémiologiques exploitent des statistiques sur des populations exposées aux gaz d’échappement diesel. Ces deux types d’études concordent, comme le souligne Isabella Annesi-Maesano. Le rapport du CIRC se place ainsi comme une sorte de conclusion à une trentaine d’années de recherche sur les effets des gaz d’échappement diesel sur la santé.

          Un reproche est souvent fait à cette étude, ici énoncé par Yves Maroselli :

« Les particules sont-elles cancérogènes ? Oui, comme l’a démontré une étude récente de l’OMS. Mais il faut souligner que cette étude a été réalisée sur une population de mineurs exposée aux gaz d’échappement de moteurs diesel sans aucun système de dépollution, car trop anciens, et ce, dans un espace ultra-confiné : les galeries d’une mine. »

       Ainsi, les sujets de l’étude seraient exposés à des dangers supplémentaires, par exemple, à des particules fines de silicose. De plus, une grande partie des données des études mentionnées dans le rapport proviennent de moteurs diesel d’avant 1990, comme le fait remarquer Pierre Macaudière. Des auteurs comme Roger O. McClellan objectent que le rapport du CIRC n’en tient pas compte, et qu’il est nécessaire de séparer les gaz d’échappement diesel « traditionnels » (TDE), d’avant 1988, des gaz d’échappement diesel « nouvelle technologie » (NTDE) :

«The composition of New Technology Diesel Exhaust (NTDE) is qualitatively different and the concentrations of particulate constituents are more than 90% lower than for Traditional Diesel Exhaust (TDE)»

      Non seulement les moteurs, mais aussi les carburants diesel seraient très différents. Dans la conclusion de son article (Evaluation of carcinogenic hazard of diesel engine exhaust needs to consider revolutionary changes in diesel technology), McClellan demande que, dans les futures études du CIRC, les NTDE soient étudiés séparément des TDE, afin de rendre justice aux efforts de recherche faits pour améliorer la qualité de ces gaz d’échappement. Les auteurs de l’article suggèrent qu’étant donné l’état de la connaissance sur le diesel, les NTDE devraient être classés dans « Group 3, not classifiable as to human carcinogenicity. ». Autrement dit, nous ne savons pas encore si les gaz d’échappement diesel émis par les voitures fabriquées après 1988 sont ou non cancérigènes, par manque de données sur le sujet. Il est à noter que les auteurs déclarent dans la partie « Conflict of interest statement » avoir longtemps été les associés d’entreprises privées développant des technologies de diesel ultra-propre, avoir fait partie de plusieurs comités et associations en rapport avec le diesel, et être employés par des constructeurs majeurs de moteurs diesel.

         Pierre Macaudière de PSA partage cet avis, et ajoute que plusieurs autres facteurs ont pu jouer sur la mortalité des sujets de l’étude :

« il faut savoir que nous, on ne remet pas en cause l’étude, les gens sont très surpris quand on dit ça, on ne remet pas en cause l’étude mais on explique pourquoi on pense qu’elle n’est pas adaptée à ce qui a été fait. Notre position, même maintenant quand on en discute avec le CIRC, le laboratoire contre le cancer de l’OMS, IARC en anglais, ce laboratoire a fait des études qui s’étalent entre 1967 et 1997. Et pourquoi on a seulement l’étude maintenant ? Parce qu’il faut 15 ans pour que les populations témoins qui développent ou pas le cancer, qu’ils aient le temps de voir. Sur toute la période les derniers mecs qu’ils ont suivi c’était en 1995 donc ils ont attendus 15 ans pour savoir si le groupe avait un écart significatif de développement de certaines maladies et ainsi de suite. Et ils ont donc travaillés avec des moteurs qui n’étaient pas équipés de FAP. Le moteur aux Etats-Unis, probablement pas équipés de FAP et probablement pas de catalyseur d’oxydation, donc vraiment des moteurs de premières générations et des gros moteurs lourds. Et deuxième point, les carburants ne sont pas des carburants propres surtout à cette période là, surtout des polyaromatiques, et troisième point les conditions d’exposition étaient dramatiques. C’était des mineurs, des gens exposés 8 heures ou dix heures par jour dans des milieux clos confinés et en plus avec des risques qui venaient d’autres particules. On sait très bien que pour les mineurs, il y a la silicose. »

           Le rapport du CIRC donne des résultats qualitatifs, et non quantitatifs sur les effets du diesel. D’après le professeur Annesi-Maesano, c’est l’exposition régulière aux gaz d’échappement diesel qui augmente considérablement le risque de cancer du poumon. La communauté scientifique estime que les habitants de Paris perdent en moyenne 7 mois d’espérance de vie. L’exposition ponctuelle à des pics de pollution n’ont pas d’effets sur le long terme. Par contre, ils peuvent provoquer des accidents cardiovasculaires, ou des crises d’asthme, chez des personnes déjà malades. La communauté scientifique retient surtout l’effet néfaste d’une exposition sur le long terme à des niveaux élevés de pollution aux particules fines, d’où la nécessité selon eux d’établir des normes limitant les taux d’émission.

        Il y a bien entendu des estimations du nombre de morts dus aux émissions de polluants, gaz et particules fines. L’Organisation mondiale de la Santé publie régulièrement une telle estimation. Cependant, la méthode d’estimation pose quelques problèmes. L’OMS a annoncé en 2011 1,3 millions de morts dus à la pollution atmosphérique (Burden of disease attributable to outdoor air pollution, World Health Organisation, Geneva 2011), puis 3,7 millions en 2012 (Burden of disease from Ambient Air Pollution for 2012, World Health Organisation). L’OMS explique cette grande différence en partie par une modification de la méthode d’estimation : découverte de nouveaux liens entre exposition et effets sur la santé, une augmentation du nombre de maladies non contagieuses, l’ajout à l’étude de la population rurale, l’utilisation d’un counterfactual plus bas (le niveau à partir duquel la pollution est considérée comme dangereuse), et la modification de la fonction de corrélation. Il a également été nécessaire de travailler sur le modèle d’exposition aux particules fines, afin de déterminer plus précisément dans quelle mesure chaque population a été exposée à la pollution. Toutefois, le rapport reconnait qu’il reste de nombreuses faiblesses dans le modèle utilisé pour déterminer le nombre de morts liés à la pollution, essentiellement de par la difficulté d’exploiter les données, souvent incomplètes.

          L’établissement des normes à respecter est un point délicat, de même que la façon d’introduire et de contrôler le respect de ces normes.

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