- Véronique Lucas-Gabrielli
Read moreMadame Lucas-Gabrielli a d’abord travaillé dans le domaine de la santé avec une approche de géographe. Elle a travaillé sur la planification des soins, et sur la question de l’accessibilité à ces soins. Lorsqu’elle a commencé à s’intéresser à ces problématiques, elle s’est concentrée sur les soins ambulatoires. Il s’agit de réfléchir à la fois à la densité de médecins et à l’activité de ces médecins, c’est-à-dire à l’accès potentiel et effectif des patients aux soins.
Pourquoi vous est venue l’idée de créer un indicateur tel que l’APL (Accessibilité Potentielle Localisée), ce concept qui permet de quantifier la manque de médecins en France ?
Tout est parti des constats qui sont effectués : il y a deux choses : des informations sur l’accès potentiel aux soins, et d’autres sur l’accès effectif. Donc, à la manière de ce qui a été fait par les anglo-saxons, nous avons voulu développer un concept qui couple les deux approches et qui objective un peu plus clairement la notion de « désert médical ». L’APL est construit en se basant sur la densité de médecins ainsi que sur la distance séparant ces médecins de leurs patients. Il permet de quantifier les déficits si souvent évoqués. Dans un premier temps, cet indicateur se décline pour les médecins généralistes. Il vise à être simple, pour pouvoir être compris et ensuite utilisé par les décideurs et par une majorité de personnes.
Pour le construire, nous nous sommes entre autres intéressés à l’activité des médecins, la « consommation » des patients, l’âge de ces patients, ou encore à l’interaction entre l’offre et la demande.
Comment avez-vous collecté les données dont vous aviez besoin ? Avez-vous fait appel à des entreprises travaillant dans le conseil en matière de santé ?
Non, puisque l’IRDES est très proche de la CNAM (caisse nationale d’assurance maladie), qui détient un nombre colossal de données concernant les consultations par exemple. Nous avons également travaillé en collaboration avec le ministère de la santé. D’ailleurs, cette collaboration nous a non seulement aidés pour la collecte de données, mais elle a aussi servi dans la mesure où les décideurs, à qui s’adresse ce type d’indicateurs ou les rapports sur le sujet, étaient impliqués dans l’élaboration de l’APL, ce qui facilite son exploitation. En quelque sorte, le ministère nous a dit : « bien, faisons ce travail, mais faisons-le ensemble ». En 2010 déjà, l’IRDES avait publié un premier rapport cofinancé par le ministère de la santé. Il faisait suite à un premier constat des zones déficitaires en médecins, qui avait été effectué en 2005. Ce type d’indicateurs existe dans d’autres pays comme le Canada ou les États-Unis, mais paradoxalement, il n’est pas arrivé, dans ces pays, au niveau de la décision. Les chercheurs qui les ont développés l’ont remarqué. En France au contraire, les décideurs s’en sont tout de suite emparés ; il n’y a pas eu de clivage entre ces-derniers et les chercheurs. Ceci s’explique par le fait qu’il y avait besoin d’un tel indicateur.
Disposez-vous d’autres méthodes d’analyse qu’il est intéressant d’exploiter en plus de l’APL ?
L’IRDES effectue aussi, deux fois par an, une enquête santé et protection sociale (ESPS) qui vise à apporter des données supplémentaires en matière de santé publique. Ce programme a été lancé il y a environ quinze ans – il était d’ailleurs très novateur lors de son démarrage -, et il comporte un aspect multidimensionnel, puisqu’il recueille des données sur l’état de santé, la couverture maladie, la situation et l’accès aux soins d’un certain nombre de personnes. Cette enquête est aussi intéressante dans la mesure où elle fournit des données individuelles.
Quel futur pour l’indicateur APL ?
L’idée est de le perfectionner, c’est-à-dire d’affiner les données en passant à l’échelle du quartier par exemple. Effectivement, pour l’instant les mesures sont réalisées à l’échelle de la commune. Il pourrait aussi être utile de prendre en compte des facteurs tels que les transports en commun, ou les ruptures urbaines (la présence d’un périphérique par exemple), qui ont aussi leur influence sur l’accès aux soins. En fait, l’idéal serait de mettre en application une méthode utilisable pour chaque région : en entrant simplement différentes données propres à la région qu’on étudie, on obtient un indicateur quantitatif sur le déficit en médecins de la zone étudiée.
En quoi l’émergence des déserts médicaux influence-t-elle votre travail ?
Etant donné le bruit qui est fait à ce sujet, nous nous sommes naturellement penchés sur cette question. Et c’est justement pour pallier le manque de mesure, et d’objectivation de ce phénomène que nous avons travaillé dessus. Un exemple du manque de définition de la chose est l’emploi du terme de « désert médical ». Je préfère parler de zones déficitaires plutôt que de déserts médicaux puisque cette expression n’est pas objectivée, au contraire d’une zone fragile, qui l’est par exemple au niveau local par les agences régionales de santé (ARS).
Envisagez-vous de construire un autre indicateur permettant là aussi de mieux objectiver le phénomène ?
Peut-être plus tard, oui. Je le verrais comme une évolution de l’APL, qui demande à être perfectionné. Ce qu’il peut être intéressant de faire est de comparer ce que nous faisons avec ce qui a été fait à l’étranger, puisqu’il y a différentes façons de construire un tel indicateur : au Royaume-Uni, lors de l’après-guerre, en Allemagne, aux Etats-Unis, des travaux ont été faits. Dans ces deux derniers, il y a eu par exemple, au début des années 70, la mise en place de normes, de seuils, contraignant les médecins à s’installer dans certaines zones plutôt que dans d’autres.
Que pensez-vous des solutions qui ont été avancées ou même mises en place en France jusque-là ?
Premièrement, on s’est bien rendu compte que l’augmentation du numerus clausus ne fonctionne pas. Le problème est qu’au début, on n’a pas diagnostiqué le phénomène et on a simplement augmenté le nombre de médecins formés, ce qui peut expliquer l’échec de cette mesure. En France, on a aussi proposé des mesures financières, comme par exemple les bourses pour les jeunes qui s’installent dans les zones déficitaires. Ce type de mesures financières a pu avoir un impact sur les jeunes qui s’installent et au niveau du maintien des médecins déjà en place dans les zones déficitaires, mais il n’a pas résolu le problème. En fait, nous n’avons pas agi sur les conditions d’exercice. Et nous avons mis du temps à réaliser que ce sont les composantes personnelles qui priment sur les composantes professionnelles chez la plupart des personnes. D’ailleurs, la rémunération n’est que le troisième facteur ayant le plus d’importance pour les médecins, derrière les conditions d’exercice et l’isolement. Les facteurs qui importent sont aussi le travail du conjoint, les conditions de scolarisation des enfants, ce genre de choses.
Ensuite, le travail qui a été fait sur l’implantation des maisons de santé, même s’il est relativement récent, a aussi permis d’éviter la dégradation de la situation actuelle, puisque les conditions de travail y sont plus favorables, et les médecins peuvent y travailler entre eux. Sur ce sujet, Julien Mousquès a réalisé des travaux que l’on peut retrouver sur le site de l’IRDES et qu’il peut être intéressant de consulter.
Êtes-vous favorables aux mesures incitatives ou bien aux mesures coercitives ?
On a vu que les mesures incitatives ne marchaient pas : par exemple, l’augmentation de 20% du salaire des médecins en régions sous-dotées, dont on a pu mesurer les conséquences, n’a quasiment pas porté ses fruits puisque seulement 50 médecins supplémentaires s’y sont installés. Cependant, cela a permis de maintenir en place les médecins qui s’y trouvaient déjà. Mais d’une manière générale, nous manquons d’information sur l’efficacité des mesures prises au niveau local. La question à laquelle il faut répondre, c’est : comment évaluer ces dispositifs ?
Par ailleurs, il y a eu la proposition du pacte santé de Marisol Touraine. Même si on manque de recul sur cette initiative, elle me paraît judicieuse puisqu’elle sensibilise les étudiants à d’autres disciplines comme l’éducation à la santé, l’économie de la santé. Il y a aussi des stages de fin d’études pour la médecine générale qui sont en train de se mettre en place.
Pour toutes ces mesures, il est difficile de juger de leur pertinence puisqu’elles sont assez récentes. Mais il y a quand même des projections encourageantes concernant la répartition et le nombre de médecins qu’il y aura dans 15-20 ans (même si ces projections, réalisées par la DREES, demandent à être actualisées puisqu’elles commencent à dater).
Il faut peut-être aussi se dire que, lorsque les mesures feront effet, on n’en aura peut-être plus besoin, c’est un risque, mais on ne peut pas tout anticiper, et on réagit une fois que les problèmes sont apparus.
De plus, les données deviennent de plus en plus accessibles car les systèmes d’informations, ou le système de données de l’assurance maladie, deviennent eux aussi plus performants. On a mieux connaissance de la façon dont la population accède aux soins. Pour l’APL, il est aussi important de tenir compte des données démographiques, de la structure de la population par tranches d’âge, au niveau communal.
Toujours sur les mesures coercitives, ce qui a été fait pour les infirmières libérales a plutôt bien fonctionné. Un rapport du Sénat ou bien de la Cour des Comptes donne justement des chiffres qui illustrent l’efficacité des mesures coercitives. Mais en ce qui concerne les médecins, il y a toujours de fortes oppositions qui persistent. D’ailleurs, la liberté d’installation des médecins a été réécrite dans le cadre de la loi santé de Marisol Touraine qui a été votée cette semaine (la semaine du 13/4/15, NDLR).
- Arnaud de La Seiglière
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on va créer un maximum de médecins. Mais que vont-ils faire ? Ils vont s’installer en ville et puis là pour pouvoir vivre ils vont faire des dépassements d’honoraires. Ou ils vont faire autre chose et ça va nous coûter cher, ils vont tous prescrire
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on va les obliger à s’installer, donc là on en a parlé ils vont faire autre chose, changer de métier et ça va être du gâchis
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leur donner de l’argent ? Est-ce qu’il n’y a pas des effets d’aubaine ? On va leur donner de l’argent s’ils s’installent dans les zones déficitaires, c’est ce qu’il se passe actuellement. Et puis est-ce que c’est l’argent vraiment qui les intéresse ?
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on peut leur donner des aides en nature, pour les aider à s’installer en pluri professionnel
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leur apporter de l’information sur les aides à l’installation.
Présentation
Arnaud de La Seiglière a travaillé sur les incitations au regroupement des professionnels de santé et la thématique de la crise rurale. Lorsque les médecins se sont mobilisés les premiers pour se regrouper et pallier la désertification il les accompagnait en faisant de la méthodologie de projet, la MSA.
Il a ensuite rejoint le pôle ambulatoire à l’ARS en 2010, date de la création de l’agence. Une de leurs mesures principales est l’aide à l’installation.
NB : Sur le site de l’Agence de l’ARS, le PRS (Programme Régional de Santé) est décliné en schémas d’organisations, on retrouve en particulier le schéma d’organisation des soins pour l’ambulatoire : « là-dedans vous verrez ce que nous avons écrit : les enjeux, les objectifs et en grande partie tout ce qui est aide à l’installation, sur la problématique de la désertification. »
La question des déserts médicaux est surtout abordée depuis les années 2000, on le voit beaucoup moins médiatisé avant cette période : pourquoi tout d’un coup en a-t-on fait un sujet de premier plan ?
Je pense qu’il faut voir les différentes problématiques que cela soulève.
Tout d’abord il y a la problématique de l’offre, avec la diminution du numerus clausus mais ça n’empêche pas qu’il y ait autant de médecins en France que précédemment
Puis vient le problème de répartition de l’offre de santé en spécialités (spécialistes ou généralistes).
L’installation des professionnels de santé est également un point important : aujourd’hui ils sont libres de s’installer où ils veulent, et les conjoints des médecins ne peuvent pas toujours les suivre dans de petites agglomérations où les perspectives d’emplois sont plus faibles par exemple.
D’autre part les médecins ne veulent plus exercer seuls : il y a un changement de conception de l’exercice de la médecine.
En parallèle de la question de l’offre il y a aussi celle du besoin : aujourd’hui les personnes ont besoin d’une prise en charge qui soit plus coordonnée, un peu plus poly professionnelle, les médecins tout seuls ne répondant pas toujours à la demande spécifique du patient. C’est pour cette raison qu’ils se regroupent en maison de santé.
Cela revêt un intérêt pour les personnes, notamment âgées, qui sont atteintes de comordité, i.e. de plusieurs maladies (nldr : plus précisément il s’agit de la présence d’un ou de plusieurs troubles associés à un trouble ou une maladie primaire).
Ces problématiques sont-elles nouvelles ?
Eh bien c’est-à-dire qu’il y a eu ce qu’on appelle une transition épidémiologique. A l’après-guerre en 1945 on soignait surtout les maladies aigues, les maladies infectieuses, et il fallait produire du soin, et maintenant c’est autre chose : quand vous appelez un généraliste, vous avez des personnes âgées qui ont plusieurs pathologies, et donc l’approche va être différente, elle va s’orienter plutôt sur des parcours de soin. Comment je vais prendre en charge votre problème là pour lequel vous venez, mais il peut y avoir une relation à la diététique, comment vous prenez votre médicament, et puis à l’observance, vos ulcères comment va-t-on les traiter avec quels infirmiers, et puis demain si vous êtes hospitalisé où est-ce que vous voulez aller, vous revenez à domicile et quel lien avec le social ? Vous comprenez que ce n’est pas du tout pareil que de traiter par antibiotiques une grippe !
Nous parlions tout à l’heure des problèmes relatifs par exemple à l’installation des médecins, est-ce que vous pensez que nous devrions donc contraindre les médecins, opérer par des mesures coercitives ou rester dans de l’incitatif simplement ?
Moi je n’ai vraiment pas d’avis. Je veux dire si on savait ce qui marchait, on l’aurait probablement fait sauf s’il y avait des raisons politiques. C’est vrai que la coercition pour les médecins ça n’a pas été mis en place, contrairement à ce qui se passe pour les infirmiers, les kinés, …
Après il y a des réglementations : on appelle ça plutôt une régulation à l’installation. Donc oui les médecins y ont échappé, il faut regarder les rapports qui ont été rédigés.
Qu’est-ce qu’il se passe demain ? Moi on me dit vous allez vous installer dans un village de 3000 habitants à 40km de la préfecture (qui est Rodez), j’ai ma femme moi qui est cadre supérieure avec un super poste, elle va habiter où ? à Paris ? Je fais quoi moi ? Je fais autre chose moi, c’est hors de question je change de métier !
Comment peut-on les inciter alors ? N’y-a-t-il aucune solution ?
Il y a une infinité de pistes de solutions qu’on essaie de mettre en place, moi je n’ai pas beaucoup plus d’idées que ce qui se fait déjà, les mesures si vous voulez on peut les lister ensemble, vous aurez à chaque fois des avantages et des inconvénients :
Qu’entendez vous par « effet d’aubaine » ?
Aujourd’hui vous avez l’assurance conventionnelle, c’est l’assurance maladie, la CNAM, qui donne ça : dès lors que vous vous installez dans une zone qui est déficitaire par ex. l’Ile-De-France, vous avez un certain nombre d’avantages, augmentation de 10% des honoraires je crois (à vérifier), donc voilà et l’effet d’aubaine ça veut dire que quand vous êtes déjà installés vous touchez, donc c’est pas ça qui va vous aider à vous installer par exemple, localement.
Autre forme d’aide : les bourses d’étude en échange d’un exercice en zone sous-dotée par la suite.
L’intérêt c’est que c’est fléché, effectivement, et le désavantage c’est que ces personnes, fort heureusement, ont la possibilité de s’en dégager (de cet engagement) en remboursant ces sommes-là.. donc c’est intéressant à court terme : ils peuvent s’installer pendant 2 ans et rembourser immédiatement pour partir.
Après il y a la possibilité de faire des journées découverte auprès des étudiants. Pour leur faire connaître les avantages d’exercer la médecine générale, dans les zones déficitaires notamment.
Quels sont ces avantages justement ?
Dans les zones sous-dotées d’une part vous aurez une clientèle avec des activités qui seront très diversifiées, un panel assez large qui va être du petit hématome à la maladie chronique aiguë. En terme de spécialité vous aurez de la pédiatrie, de la maternité, …
Ensuite il y a un foncier qui n’est pas important contrairement à certaines zones en France comme Paris. Donc il y a la possibilité d’avoir des locaux vastes, et donc de pouvoir facilement se regrouper en [maisons] pluridisciplinaires par exemple.
Les zones déficitaires bénéficient du 10% là encore c’est une chose.
Les jeunes installés, dès lors qu’ils ont fini leurs études, il y a le PTMG (Praticien Territorial de Médecine Générale) et quand il s’installe on prend en charge ses frais liés à la maternité, à la maladie, ce qui est nouveau, et puis il touche une somme s’il ne fait pas le chiffre d’affaire attendu, au début cela peut être tout à fait rassurant.
Il y en a beaucoup de journées découvertes organisées ?
Chaque année il y en a une dans chaque département. Et puis après il peut y en avoir lorsque les professionnels de santé appellent l’agence, la CNAM, ils sont là, ils exercent une permanence locale.
A-t-on pour autant l’impression que ces mesures sont efficaces auprès des généralistes ? Les journées découvertes ont-elles un réel impact ?
C’est très difficile à estimer.
Et nous parlons ici surtout des déserts médicaux pour les généralistes, mais cela peut être également très compliqué de trouver des spécialistes dans certaines régions. Y a-t-il aussi des mesures d’incitations mises en place pour les spécialistes ?
Non, nous ici en Ile-De-France ce n’est pas ce que l’on fait.
Par contre une solution possible est de mettre en place la délégation de tâches, les coopérations interprofessionnelles, ce qu’on appelle le transfert de compétences. Il faut alors trouver des paramédicaux qui soient susceptibles d’effectuer certaines tâches habituellement réservées à des spécialistes.
Par exemple les dentistes, les infirmières, les opticiens qui pourraient effectuer certains contrôles ou prendre des clichés, des radios et les transmettre par la suite à des personnes plus à même d’établir un diagnostic.
Au sujet de la délégation de tâches, il semble aussi que les généralistes sont lassés de toutes les tâches administratives – ils passent également beaucoup de temps à effectuer des opérations très simples comme des vaccins, qui pourraient être déléguées à des pharmaciens notamment.
Pour ce qui est des médecins étrangers qui viennent en France se substituer aux généralistes dans les zones sous dotées, cela pose-t-il un problème pour l’ARS ? Si on a déjà beaucoup trop de médecins et qu’on en fait venir d’autres…
Nous n’avons pas de retour d’expérience par rapport à cela… Cela peut-être une solution, à voir quel progrès peuvent être fait sur l’intégration de ces médecins, par rapport à la langue notamment. Il faut aller voir les chiffres de l’Atlas, ça constitue une part non négligeable je crois.
Quel est votre avis en tant qu’ancien médecin sur la télémédecine ?
Tout dépend dans quelles conditions. Dès lors qu’il y a des conditions géographiques particulières c’est évident. Je veux dire en Guyane, quand vous allez soigner les populations en hélicoptère, bah oui j’aurais été content d’avoir la visioconférence, la télémédecine, etc… Donc la notion de distance est importante. Et puis il y a aussi la question de la délégation de compétences, quel gain de temps ! Pourquoi demain pas des consultations psy sur Skype par exemple ? Il y a plein de choses que l’on va pouvoir envisager, mais ça ne va certainement pas révolutionner tout ça.
La première chose à faire déjà c’est qu’il y ait des systèmes d’information performants entre professionnels de santé, qu’ils soient libéraux ou entre libéraux et hospitaliers, ça semble vraiment là l’urgence : on l’a vu, on parle beaucoup de parcours de santé, donc ca veut dire que le patient, dès qu’il doit passer d’un endroit à un autre il faut que les différents professionnels de santé qui le prennent en charge soient en mesure d’avoir l’information immédiatement.
Donc par exemple pour les psychologues vous ne pensez pas que la télémédecine peut altérer quelque part la relation patient-médecin, le lien qu’ils peuvent avoir ?
Je ne sais pas… Je pense au psychiatre qui fait allonger son patient, et que celui-ci ne le voit pas, qu’est-ce que cela changerait avec un écran ?
Je crois qu’à un moment donné il faut savoir un peu trouver des solutions dégradées qui peuvent être un vrai plus quand même. Ici la télémédecine permettra au moins d’accéder à un professionnel de santé, ce qui n’était même pas le cas avant… Même chose pour tout ce qui est délégation d’actes avec une infirmière : dès lors qu’il y a la notion d’éducation thérapeutique, d’information, elle apporte un plus par rapport au médecin.
On ne va pas pouvoir continuer comme avant, avec un médecin de famille qui est malléable et corvéable à merci du matin au soir et la nuit et le week-end, dans le village… Le rôle des médecins a changé.
Oui d’ailleurs les gens sont maintenant plus exigeants envers les médecins, ils s’informent beaucoup sur internet et ont un œil plus critique sur l’exercice.
Bien sûr, depuis les années 80 et le sida les relations changent, et c’est peut-être aussi un rôle par rapport à la patientèle en termes d’éducation à la santé. Pour qu’il [le patient, NDLR] soit en mesure d’une part de faire de la prévention et donc demain de pouvoir moins consulter puis toute une éducation thérapeutique, pour pouvoir dépister ces complications et ne pas déranger le médecin n’importe quand n’importe comment, il s’agit de prendre en charge sa maladie et d’être capable de faire varier ses doses d’anti-vitamines K, de gérer son poids pour les accidents cardiaques, gérer sa prise médicamenteuse etc.
Aujourd’hui on arrive à ce qu’on appelle, pour les maladies chroniques, les patients experts.
Nous remercions encore une fois Arnaud de La Seiglière pour nous avoir reçus.
- Denis Morin
Read moreMonsieur Denis Morin, venu pour une autre conférence aux Mines, a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions et nous donner son avis à propos des déserts médicaux, et ainsi nous aider à avancer dans notre travail.
A la question de la pertinence des mesures coercitives, Monsieur Morin nous a expliqué y croire personnellement, mais il pense que ces mesures ne seraient pas vraiment applicables. Il nous a en effet rappelé que les internes de médecine ne veulent pas que leur liberté d’installation soit modifiée. Il s’agit de la seule des trois libertés (installation, prescription, exercice) qu’il leur reste.
Il explique cependant que l’on pourrait tout à fait interdire certaines zones qui ont déjà « trop » de médecins.
Il pense aussi que l’on devrait inciter les médecins à s’installer dans des zones où il y a un besoin par des méthodes pratiques, en leur organisant la vie dans ce nouveau lieu. Cela peut paraître surprenant, mais ce sont souvent les détails pratiques d’un déménagement dans un lieu inconnu (localisation des magasins, inscription d’enfants à l’école, …), qui découragent des médecins de déménager dans un endroit où il y aurait plus besoin des médecins.
Monsieur Morin pense que l’on devrait changer le principe de la rémunération identique pour tout le monde. Cela ne serait pas choquant si à certains endroits les médecins devenaient mieux rémunérés par l’Etat qu’ailleurs. Un médecin en Ariège pourrait par exemple être mieux rémunéré qu’un autre médecin exerçant dans certains arrondissements de Paris.
Il rajoute que l’on pourrait changer la tarification à l’acte et à l’activité (T2A), et que le médecin pourrait devenir salarié.
Il pense que l’on est « sur la bonne voie » avec le plan santé de Marisol Touraine, notamment en installant le tiers payant. Ainsi, la sécurité sociale payerait directement le médecin, et aurait accès à tous les soins pratiqués par les médecins, ce qui permettrait de contrôler, et éventuellement réduire, les dépenses liées aux prescriptions ou consultations.
Selon lui, la pluridisciplinarité est la solution aux déserts médicaux. Il faudrait créer des MSP pour faciliter l’accès aux soins et la répartition des médecins. On devrait aussi faire faire des stages à des internes dans ces maisons pluridisciplinaires, pour ainsi donner des compétences plus larges aux médecins.
Il remarque que l’hôpital coûte beaucoup trop cher à l’état et que le « tout-hôpital » (c’est-à-dire, penser que tout doit être soigné à l’hôpital, et y aller par réflexe) est à oublier.
Pour conclure, il rappelle qu’il faut agir à l’échelle locale, sur des petits territoires.
- Cécile Fournier
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Son parcoursCécile Fournier a fait des études de médecine, puis a travaillé pour la santé publique, notamment dans le cadre des dimensions préventives et éducatives. Elle a travaillé 10 ans à l’INPES (Institut National de la Prévention et de l’Education à la Santé), où elle a fait des études et recherches, principalement en sciences sociales, mais aussi en santé publique.
Elle fait actuellement une thèse en sociologie, dans la santé publique, et s’intéresse tout particulièrement aux maisons de santé pluri-professionnelles (MSP). Elle s’est ainsi intéressée à ce que modifient les maisons de santé dans les zones désertifiées. (Elle nous explique ainsi que les MSP sont plus attractives et permettent aussi de développer la prévention.)
Elle a mené un travail sociologique qualitatif notamment sur les maisons de santé en projet, sur les difficultés rencontrées par les MSP, les motivations des alliances avec les élus locaux, etc. Elle a mené des enquêtes qualitatives auprès des professionnels des maisons de santé. Sur d’autres terrains, elle a fait des enquêtes ponctuelles dans plusieurs maisons de santé (de manière approfondie).
Elle cherche notamment à comprendre en quoi cet exercice prend en compte des mesures éducatives.
En réalité, les maisons de santé s’ajustent dans les régions où la démographie de la région varie. Elles ne provoquent pas forcément un repeuplement de la zone, mais préviennent la désertification et maintiennent l’offre de la médecine. Elles permettent aussi la mise en place d’un programme d’éducation des patients.
Incitation financière dans les déserts médicaux
Une incitation financière a été mise en place avec la loi HPST pour encourager les médecins à exercer dans les déserts médicaux. Le Pacte Territoire a été mis en place après la loi, et donne des bourses aux jeunes médecins. Il aide financièrement les médecins pendant leurs années d’études, et ceux-ci doivent ensuite exercer dans des zones dites « déserts médicaux ». Ce système de bourses est assez récent, donc on ne sait pas encore s’il va vraiment fonctionner.
Causes de désertification
Les médecins disent avoir eu du mal à trouver des remplaçants et à partir en vacances dès les années 2000, voire dès la fin des années 1990.
Les travaux de Géraldine Bloy, Anne-Chantal Hardy et François-Xavier Schweyer montrent les dynamiques d’installation des jeunes médecins et montrent que les médecins ont changé : le métier se féminise, beaucoup de médecins sont en couple avec des cadres (et les deux doivent alors trouver du travail, scolariser leurs enfants…), les médecins viennent moins souvent des régions rurales.
La structure de recrutement a changé, et le rapport au travail est maintenant différent.
Implication des médecins dans les maisons de santé
Certaines communes mettent tout à disposition pour la maison de santé et embauchent par exemple des médecins étrangers. Cependant, dans ces configurations, ce ne sont pas vraiment les médecins qui construisent la structure ; ils arrivent dans un projet ou une structure déjà construit. On observe alors que les médecins étrangers qui viennent dans des endroits où tout est préparé (cabinet, logement,…) n’y restent pas et partent au bout de 3 ans en général. En effet, il est important pour les médecins d’être porteurs d’un projet et de sa construction, ils ont besoin d’être engagés pour vraiment s’y investir. Cela explique aussi la grande variété dans la structure et le fonctionnement des maisons de santé, puisqu’elles sont laissées à l’initiative des médecins.
Développement des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) :
Les maisons de santé sont un mouvement résurgent puisqu’il y avait déjà eu des centres de santé où les médecins étaient salariés. Depuis, la médecine libérale, qui s’y oppose, a pris de l’ampleur. L’idée a donc été étouffée dans l’après-guerre. Il y a ensuite eu un mouvement de regroupement depuis 50-60 ans de médecins.
Dans les années 80, il y a eu regroupement avec des paramédicaux pour mutualiser les moyens et donc avoir moins de frais de fonctionnement.
Ce mouvement croissant s’est accentué (nouvel engouement) avec la crise de la démographie médicale : une pénurie de médecins qui commence, l’augmentation du nombre de maladies chroniques, un besoin de se coordonner (avec les réseaux par exemple), et des tentatives qui n’ont pas répondu aux attentes.
Alors qu’il y avait il y a quelques dizaines d’années seulement quelques maisons de santé non déclarées (qui correspondaient donc à des regroupements de médecins dans un même lieu), il y a aujourd’hui 500 maisons de santé, et 1000 projets de maisons de santé, soutenus par une forte impulsion de l’ARS.
Avant, les maisons de santé ont été créées pour répondre à des problématiques sociales, comme dans les villes communistes où se sont développées les offres pour faire venir les médecins aux patients. Les cabinets pluriprofessionels, qui étaient avant côte à côte peuvent maintenant travailler ensemble et recevoir des financements. Ils portent alors des projets communs comme des réunions de staff, des campagnes de prévention ou vaccination, et développent des outils d’échange entre eux, comme des logiciels partagés. (réf: ENMR/IRDES)
Les maisons de santé rassemblent des médecins généralistes, des spécialistes et des paramédicaux. Elles sont cependant structurées pour les soins primaires, pour remettre l’accent sur le généraliste, qui est souvent délaissé au profit des médecines spécialisées.
La priorité des patients est leur relation avec leur médecin, ils ne se rendent pas compte de toute l’organisation nécessaire. Parfois, les patients interrogés ne se rendent pas compte qu’il y a une maison plus près de chez eux, ils préfèrent se référer au médecin qu’ils connaissent.
Financements des maisons de santé
La notion de maison de santé commence à se développer sous l’impulsion de la loi, et l’expérimentation de ces maisons de santé est financée. Ce financement spécifique a été décidé par la direction de la Sécurité Sociale au début de l’année 2008, à la sortie d’une évaluation conséquente. Ainsi, 50 000 € en moyenne sont attribués à chaque maison de santé, sous la forme d’un forfait.
L’engouement pour ces maisons prend principalement deux formes : la loi HPST et les financements expérimentaux. Cette expérimentation a donné de l’impulsion : en se regroupant, les médecins peuvent avoir des rémunérations supplémentaires. Ces financements sont donnés pour des pratiques collectives, et les médecins peuvent ainsi être rémunérés pour les réunions ou appels, ou leurs échanges avec les patients.
Relations entre maisons de santé et hôpitaux
Les articulations entre ces deux structures sont à construire selon les offres existantes et les structures territoriales. L’articulation avec l’hôpital dépend des circonstances et des configurations locales (la distance géographique entre les deux structures par exemple).
De plus, les maisons de santé sont organisées prioritairement dans les « zones à risque de désertification ». Les maisons s’ajustent sans arrêt. Par exemple, s’il n’y a pas assez de personnel, le périmètre délimitant le territoire d’action de cette maison est diminué.
Différence entre le problème aujourd’hui en France avec l’étranger
D’après les travaux de l’INPES, la structuration des modèles primaires dépend des systèmes. Selon les pays, les soins primaires et les professionnels sont structurés ou ne le sont pas. Parfois, tout passe par le premier recours, où les médecins sont salariés. On peut aussi trouver un partage de tâches avec les paramédicaux. Toutes ces variétés de systèmes font que les modèles sont difficiles à comparer.
Pourrait-on résoudre le problème des déserts médicaux avec les maisons de santé ?
La solution est intéressante : c’est une révolution dans la façon de penser. En effet, une maison de santé, très locale, doit se positionner par rapport aux autres offres de soins. Ce sont des offres nouvelles mais très médicales, car souvent un médecin est à la tête de la maison de santé. Les diagnostics des besoins de santé montrent ce qu’il faut à l’environnement en identifiant par exemple les problèmes des patients et de la région. Cela permet de commencer aujourd’hui à bouger des frontières. Ce diagnostic des besoins est à faire en arrivant dans un territoire, de manière ouverte. Cela relève presque d’une étude sociologique, qui s’intéresse aussi aux métiers des personnes, à leur environnement, pour identifier les risques pour la santé. Il s’agit donc d’avoir une démarche collective de santé publique.
Cela demande notamment du temps et de nombreux moyens, ainsi que des alliances pour changer de logique et répondre aux demandes du territoire, et pas seulement des médecins. Les médecins doivent être aidés, et pas seulement financièrement.
Toutefois, les faibles investissements de l’État pour les financements expérimentaux ont produit plus de résultats que ce que cet investissement laissait attendre. En effet, un choix de cette expérimentation a été de laisser l’argent aux médecins des maisons de santé assez librement, ce qui est une plus-value et leur laisse beaucoup de liberté sur l’utilisation de ces fonds. Il s’agit pour cela d’un argent collectif pour développer la maison de santé, et ses différentes activités (campagnes de prévention…) sont laissées au choix et à l’initiative des médecins.
L’investissement dû au rassemblement de plusieurs médecins est très faible, de l’ordre de 2-3 % de l’investissement total d’une maison de santé. Les médecins créent ainsi de la valeur, et cela leur est très chronophage puisque ce qui est organisé dans le cadre de la maison de santé est accompli en plus de leurs consultations habituelles.
Ce fonctionnement favorise l’autonomie, et les médecins restent rémunérés à l’acte et à l’activité. (Beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas forcément être salariés, cela constitue donc un bon compromis.)
Les maisons de santé semblent donc présenter beaucoup de potentiel. D’après le livre de Dominique Dépinoy [NDLR Dépinoy, D., Maisons de santé, une urgence citoyenne], médecin généraliste qui est ensuite passé par Sciences Po, les maisons de santé sont de première importance.
Quel avenir pour les maisons de santé ?
Des négociations ont débuté à la fin de l’année 2014, puisque c’est alors que la période expérimentale des maisons de santé s’est achevée. Ces négociations ont pour but de continuer les financements, mais les tensions interprofessionnelles rendent cela difficile. Certaines maisons de santé ont échoué à cause de difficultés d’entente entre les médecins ou d’un non-fonctionnement des accords pluriprofessionnels. Certains voulaient par exemple que la rémunération des hôpitaux se fasse aussi sous la forme d’un forfait.