Un changement sociologique
Le passage de relais entre deux générations d’exercice médical est un des grands facteurs de la désertion médicale.
De fait, les jeunes médecins aspirent aujourd’hui à mieux concilier vie professionnelle et vie privée. Ils ne sont plus disposés, comme leurs prédécesseurs, à travailler 60 à 70 heures par semaine dans des conditions de disponibilité qui les dévouaient à leurs patients au détriment de leur famille. Ce changement sociologique s’explique notamment par la féminisation de la profession (Fig. 9) : les femmes représentent 39% des effectifs des médecins (29% des généralistes et 40% des spécialistes), elles comptent pour plus de la moitié des membres de l’ordre des médecins depuis 2008 et seront majoritaires dans la population médicale d’ici une dizaine d’années.
La DREES observe dans un dossier de juin 2011 sur « les affectations des étudiants en médecine à l’issue des épreuves classantes nationales en 2010″ (titre du dossier études et résultats) la chose suivante :
En 2010, la part des femmes a encore augmenté en médecine générale (+1,7 point). Depuis 2007, plus de la moitié des femmes font le choix de devenir internes en médecine générale, contre 44 % des hommes. (…) Traditionnellement plus masculines, les spécialités médicales et chirurgicales se féminisent depuis 2004, mais cette tendance marque le pas. Ainsi, en 2010, 38 % des internes affectés en spécialités chirurgicales sont des femmes, contre près de 40% en 2009. Parmi ces spécialités, l’ORL et l’ophtalmologie comptent 49% de femmes, contre seulement 34% pour la chirurgie générale et 10% pour la neurochirurgie. La part des femmes affectées en spécialités médicales recule de près de 4 points (62 % en 2009, 58 % en 2010).
Toutefois, s’il est vrai qu’une femme médecin consacrera davantage de temps qu’un homme à ses enfants à certaines périodes de sa carrière, l’aspiration à un meilleur équilibre de vie est commune aux deux sexes. Il s’agit donc avant tout d’une question de génération.
Figure 9 : répartition par sexe de la démographie médicale de 1984 à 2010
(Source : IRDES )
Cette tendance vers un meilleur équilibre de vie modifie le rythme de travail de la profession et s’accompagne d’une évolution de la répartition territoriale des médecins, des modes d’exercice de la médecine et des attentes de la profession.
On peut même parler d’effet de « cercle vicieux » puisque les zones déjà déficitaires seront encore plus facilement délaissées lorsque ces aspirations seront mises en avant : si l’on désire travailler entre des horaires fixes et préserver sa vie de famille, on accepte moins facilement d’assurer la permanence d’un cabinet devant subvenir seul aux besoins de toute une zone. Par voie de conséquence, un tel cabinet est davantage sollicité qu’une enseigne en zone mieux dotée, où le patient est flexible quant au choix de son consultant.
De nouveaux modes d’exercice
Par ailleurs, selon Hervé Maurey dans son rapport au Sénat :
Cet état d’esprit des nouvelles générations explique leur préférence marquée pour le salariat : sur les 6 053 médecins qui se sont inscrits pour la première fois au tableau de l’Ordre en 2011, 68,8% ont fait le choix de l’exercice salarié, et 9,5% seulement de l’exercice libéral exclusif (1,2% d’une forme d’exercice mixte). Le solde des nouveaux inscrits, soit 20,5%, préfère le remplacement, qui est une forme d’exercice plus rémunératrice et moins contraignante en termes d’organisation de son temps que l’installation en libéral. Cette préférence pour une période initiale de remplacement de plus en plus prolongée explique, d’ailleurs, que l’âge moyen à l’installation se soit sensiblement accru, pour atteindre aujourd’hui 39 ans.
Notons que les femmes des nouvelles promotions déclarent plus souvent préférer le salariat au statut d’indépendant que les hommes. On assiste ainsi depuis 1997 à l’essor de la médecine salariale, année lors de laquelle les proportions entre médecine libérale et salariale se sont inversées alors que la médecine libérale était majoritaire depuis 1986.
Figure 10 : Profils des médecins en activité régulière, évolutions
(Source : Atlas 2014 de la démographie médical, Conseil National de l’Ordre des Médecins)