Les éléments exposés sur ce site ont été recueillis via divers canaux durant le cours de l’année scolaire 2015-2016. Nous avons cherché à balayer au plus large, sans à priori, afin d’embrasser le sujet des réparations pour l’esclavage dans son ensemble. Pour cela, nous avons interrogé des bases de données, portant sur la presse scientifique et la presse non spécialisée. Nous avons également cherché à nous entretenir avec les acteurs principaux du débat, que nous identifiions au fur et à mesure de nos recherches.
La presse généraliste
Premières recherches
Nos recherches dans la presse se sont faites à partir de la base de données Europresse, regroupant toutes les publications de la presse généraliste européenne. Les articles les plus anciens de cette base de données datent de 1945.
L’analyse des articles que nous avons sélectionnés s’est faite grâce à Gargantext, un outil d’analyse sémantique de corpus. Cela nous a permis de mieux comprendre sur quels points les débats et questionnements se portaient.
Dans un premier temps, nos recherches dans la presse se sont faites sans direction particulières.
Dans la suite de cet article, nous utiliserons la notation radical* pour indiquer tous les mots qui commencent par « radical ». Ainsi la notation esclav* désigne aussi bien le mot « esclavage » que le mot « esclave ».
En utilisant les mots-clés esclav*+repar*, qui nous donnent 14600 documents, nous avons relevé une première série de résultats correspondant à notre sujet. Le but était de balayer aussi large que possible en utilisant les mots-clés du titre de notre sujet.
La deuxième étape de cette première recherche a été de se focaliser sur les acteurs que nous avions repérés dans ces textes : le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires), François Hollande, Christiane Taubira. Ces recherches nous ont fourni de nouveaux documents.
Enfin, nous avons grossièrement identifié la chronologie des débats. Nous avons donc segmenté temporellement nos recherches, en nous intéressant successivement aux périodes 2001-2005, 2005-2008, avant 2001 et après 2008. Nous voulions être sûr de ne pas oublier de textes dans la masse des résultats proposés par Europresse.
Après cette première campagne de recherches, nous avions une première idée de la chronologie de la controverse.
On voit sur ce graphique que la controverse semble vraiment démarrer à la fin des années 1990, et connaît des sursauts en 2005 et plus particulièrement en 2013 et 2015.
A ce niveau de recherche, nous disposons de 135 textes.
Approfondissement
Afin de disposer de plus de textes et de pouvoir exploiter les capacités de Gargantext, nous avons analysé plus en profondeur notre corpus, en lisant en détails un certain nombre de textes choisis au hasard. Ils portaient sur les actions du CRAN, la place des historiens et le rôle de l’Etat. Ceci nous a permis d’identifier une série de thèmes que nous n’avions pas repérés lors de notre première analyse.
Les historiens
Nous avons d’abord approfondi la recherche sur les historiens : les acteurs Louis-Sala Molins, Pap N’diaye et Jean-François Niort ressortent tous particulièrement. On voit ci-dessous que l’implication des historiens dans le débat est assez bien corrélée avec l’évolution de la controverse. Les mots-clés historien*+esclav*+repar* donnent 1291 résultats.
La dimension judiciaire
Le deuxième point sur lequel nous nous sommes focalisés est la dimension judiciaire de la controverse : en effet, Wendel, la Caisse des dépôts et le baron Seillière. Ces trois acteurs ont été attaqués par le CRAN.
Chronologiquement, ils n’apparaissent qu’à la fin de la controverse. La caisse des dépôts semble avoir fait grand bruit dans la presse en 2013 : la recherche esclav*+repar*+dépôts donne 587 résultats, et esclav*+repar*+baron+wendel en donne 10.
Interventions marginales de Dieudonné
Un sujet de recherche plus marginal a porté sur les interventions de l’humoriste Dieudonné. S’il semble actif à certains moments, sa contribution est assez ponctuelle : esclav*+repar*+dieudonné ne donne que 104 résultats.
Les cas étrangers
Début janvier, une recherche dans les documents récents (moins de 30 jours) révèle que le Japon a accordé des réparations aux femmes coréennes utilisées comme esclaves sexuels par l’armée japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale. Une recherche plus poussée sur ce thème nous a montré que ce sujet n’avait eu qu’une présence ponctuelle dans la presse, en 2005 et fin 2015, avec 770 documents pour la recherche esclav*+repar*+japon.
Le cas japonais est pour le moment le seul cas relevé qui ne soit pas relié à la traite atlantique. Nous avons donc cherché à chercher d’autres cas ne relevant pas de cette traite.
Nous avons recherché des informations sur des réparations pour l’esclavage subi dans les camps de concentrations nazis. Très peu de documents ont pu être relevés : ce sujet n’a pas fait l’objet d’une grande attention de la part de la presse (770 résultats pour esclav*+repar*+nazi* mais très majoritairement non reliés au sujet).
La même recherche a été faite sur la traite arabe, avec là encore très peu de résultats (5 articles).
Analyse des résultats
Globalement, notre corpus contient donc maintenant 291 textes, s’étendant de 1990 à 2015. Les grands pics de présence dans la presse sont 2005, 2013 et 2015.
Le pic de 2013 correspond à la mise en examen de la Caisse des dépôts, et à un discours de François Hollande excluant toutes réparations matérielles. Le CRAN s’est indigné de cette décision et la presse a largement repris ce conflit.
Le pic de 2015 correspond quant à lui à l’inauguration du mémorial ACTe en Guadeloupe, à l’accusation du baron Seillière et de Wendel, et aux réparations accordées par le Japon aux survivantes des « femmes de réconfort » soumises à l’esclavage sexuel par l’armée japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale.
Les acteurs principaux identifiés, hors ceux détaillés précédemment, sont le CRAN, François Hollande et Christiane Taubira.
Le CRAN
Le CRAN apparaît dans la controverse à partir de 2006. Depuis 2012, le CRAN est un acteur majeur du débat : il est présent en 2012 dans 55% des publications, en 2013 dans 86% et en 2014 dans 97% d’entre elles. En 2015, il n’est plus présent que dans 40% des articles, mais n’oublions pas qu’en 2015 apparaît une dimension japonaise du débat, qui ne fait pas partie des sujets traités par le CRAN.
Remarquons qu’en 2011, donc juste avant que le CRAN ne prenne de l’ampleur dans la controverse, Louis-Georges Tin en est devenu président à la place de Patrick Lozès. On peut grossièrement faire un lien entre les deux évènements, c’est pourquoi nous avons décidé d’interviewer Louis-Georges Tin.
Christiane Taubira
Christiane Taubira est intervenue principalement à l’occasion des pics de 2005, 2013 et 2015. Sa présence dans les médias est non négligeable. N’oublions pas qu’elle est à l’origine de la loi mémorielle reconnaissant la traite transatlantique comme un crime contre l’humanité.
François Hollande
François Hollande, qui nous semblait au premier abord être un acteur important de la controverse, intervient finalement assez peu dans la controverse.
Interactions entre les différents thèmes
Finalement, nous avons pu grâce à Gargantext relever les interactions entre les grands thèmes que nous avons exposés. Sur le graphique ci-dessous, les bulles correspondent à des termes revenant souvent dans notre corpus. Les bulles s’organisent en grappes de termes corrélés. Chaque grappe correspond globalement à un thème distinct du débat. La position des grappes les unes par rapport aux autres indique leurs relations.
On remarque que le CRAN est vraiment au cœur des discussions (bulles rouges). L’Etat, en gris moyen, est en lien direct avec tous les pôles. Les bulles bleues, qui correspondent au sujet de femmes de réconfort au Japon, sont assez éloignées des autres thèmes, tout comme les bulles de couleur gris clair, qui correspondent à l’affaire de la caisse des dépôts et du groupe Wendel. Enfin, en marron, on retrouve la controverse liée aux historiens, proche du CRAN et dans une certaine mesure de l’Etat.
La presse scientifique
La seconde partie de nos recherches a porté sur la presse scientifique, issue de tous les pays du monde. Nous avons utilisé les bases de données Scopus et Web of Science pour trouver les articles correspondants à nos attentes.
La littérature scientifique s’est avérée beaucoup moins fournie que la presse généraliste jusqu’à présent. Nos premières recherches sur Scopus et Web of Science nous ont montré que les articles traitant de réparations couvrent tous les pays relevés dans la Europresse et d’autres, comme le Royaume-Uni.
Scopus
La recherche sur Scopus slavery AND reparation retourne seulement 101 articles, à comparer au 14600 retournés par Europresse pour des mots-clés similaires.
Deux articles de 2015 s’intéressent au cas de la France, trois autres au cas japonais. Tous les autres sont axés sur la traite négrière transatlantique.
Sur les 101 articles, 81 relèvent des Sciences Sociales, 34 des Arts et Humanités, 4 de l’Economie et de la Finance, 4 de la Psychologie.
De nombreux articles ont été publiés dans des revues anglophones, mais une petite partie d’entre eux vient de revues allemandes et surtout françaises, comme le Cahier d’Etudes Africaines.
La recherche slavery AND debt retourne 120 résultats, mais seuls quelques-uns se rapportent au sujet. Ils traitent du chiffrement du coût de l’esclavage.
La recherche slavery AND cost retourne 95 résultats, mais aucun ne se rapporte au sujet qui nous intéresse (les articles s’intéressent plus au trafic d‘esclaves qu’aux réparations).
La recherche slavery AND memory retourne pour sa part 332 articles. Une restriction du spectre aux articles contenant le mot law laisse 22 résultats. Les articles rentrant dans le sujet avaient déjà été analysés.
La recherche slavery AND lawsuit donne 14 résultats, dont 3 sont intéréssants. La recherche slavery AND crime against humanity donne 37 résultats, dont un concerne la loi Taubira.
Au total, le corpus relevé sur Scopus comprend 80 publications. Voici ci-dessous leur répartition au cours du temps.
Le nombre de publications par an est variable. Il existe un pic d’activité en 2004, suivi d’un creux. Des pics se succèdent ensuite sur un rythme de fond assez soutenu. Il est difficile de voir se dégager une dynamique de ces données, les dates fournies par Scopus étant peu précises.
Ci-dessous, un graphique résume la discipline à laquelle sont rattachées les différentes publications. Les sciences sociales représentent une bonne partie du total, suivies par les arts et humanités.
L’origine des publications est résumée sur le graphique suivant. Une majorité des articles ont été publié aux Etats-Unis. Les deux pays arrivant ensuite par ordre d’importance sont le Royaume-Uni et la France. La question de l’esclavage américain, absente des débats en France, est prédominante dans les publications scientifiques.
Web of Science
Sur Web of Science, la recherche slavery AND reparation donne 95 résultats. La majeure partie des résultats était présente sur Scopus.
La recherche slavery AND debt donne 79 résultats, mais très peu relèvent du thème des réparations. La recherche slavery AND cost retourne 34 résultats, là encore peu liés au sujet.
La recherche slavery AND memory retourne par contre 276 résultats, et plus que 6 si on se restreint aux articles contenant le mot law.
La recherche slavery AND lawsuit retourne 4 publications, non liées au thème des réparations. Les articles contenant slavery AND crime against humanity donne 11 textes, qui ne sont pas non plus liés au thème des réparations.
Au total, le corpus relevé comprend 60 publications. Ci-dessous, on peut voir leur répartition temporelle. Le sujet des réparations a donc été abordé dans la littérature scientifique au moins depuis 1976, et de manière soutenue et continue depuis le début des années 2000.
Il est difficile de dire si les pics visibles sur le graphique correspondent à de véritables regains d’activité dans le domaine, au vu du faible nombre de publications relevées.
Les domaines dont relèvent les publications sont plus variés que pour Scopus, et accordent une place bien plus importante à l’histoire et à la loi. Il est à noter que les différences de définition qui existent entre les deux bases de données rendent la comparaison délicate.
Pour ce qui est des pays d’origine des publications, les Etats-unis sont encore plus représentés que pour Scopus. Il est à noter que la présence de la France et du Canada, marquée sur Scopus, est anecdotique sur Web of Science.
Interprétation
En conclusion, les textes relevés sur Scopus et Web of Science (qui se recoupent très souvent) révèlent que le sujet des réparations pour l’esclavage relève apparemment de la sociologie, de l’histoire et des humanités. Le sujet a été abordé depuis la fin des années 1970, et les publications s’y rapportant sont régulières depuis le début des années 2000.
Il est à noter que si la presse française n’aborde jamais le sujet de l’esclavage américain, le débat est réel aux Etats-unis, qui est le principal contributeur à la documentation scientifique du sujet.