Modalité des réparations

L’un des points cristallisant les débats autour des réparations pour l’esclavage est la question des modalités des éventuelles réparations. En effet, alors que la question de la légitimité des réparations est loin d’être tranchée, des réparations ont déjà été accordées, sous différentes formes.

Réparations morales et mémorielles

Dans la majeure partie des cas, ceux qu’on appelle à réparer sont des états, qui ont pratiqué l’esclavagisme dans leur passé. La réponse choisie par une majorité d’états acceptant d’accorder des réparations est de se limiter à une dimension mémorielle et morale.

Ainsi, la France a depuis plusieurs années déployé une politique mémorielle importante vis-à-vis de son histoire esclavagiste. En 1983, l’abolition de l’esclavage entre par décret dans l’éducation, à raison d’une heure à date fixe par an. L’article concerné a été abrogé depuis.

Le 27 avril de chaque année ou, à défaut, le jour le plus proche, une heure devra être consacrée dans toutes les écoles primaires, les collèges et les lycées de la République à une réflexion sur l’esclavage et son abolition.

Décret n°83-1003 du 23 novembre 1983, Article 2 (abrogé), legifrance.gouv.fr, disponible à: lien

En 1998 et 1999, des propositions de lois mémorielles vont être rejetées par les députés. En 2001, la loi Taubira qualifiant l’esclavage et la traite atlantique de crime contre l’humanité est adoptée. En 2012 est inauguré le mémorial de l’abolition de l’esclavage à Nantes. Ceci est suivi par l’inauguration par François Hollande en 2015 du mémorial ACTe dédié à la traite et l’esclavage en Guadeloupe.
La France a également présenté des excuses et reconnu ses torts dans la gestion de l’indépendance d’Haïti. En 2015, François Hollande a déclaré que la France allait « s’acquitter de sa dette », avant de préciser qu’il s’agissait d’une dette morale. Il a toutefois annoncé un plan pour l’éducation en coopération avec Haïti.

Cela s’est produit sous la monarchie Charles X en 1825, qui réclama même à la jeune République d’Haïti une indemnisation d’Etat de 150 millions de francs afin d’indemniser les anciens colons qui le réclameraient. Certains ont appelé cette exigence la rançon de l’indépendance ; eh bien quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons.

Discours du président de la République lors de l’innauguration du Mémorial ACTe, François Hollande, elysee.fr, publiée le 13/05/2015, disponible à: lien

Réparations financières

Outre les réparations mémorielles, des réparations financières sont parfois accordées pour des faits d’esclavage. Ce type de réparation est rarement accordé par des états, bien que le fait ne soit pas sans exemple. Ainsi, l’Allemagne a promulgué en 2000 un loi permettant des indemnisations financières pour les personnes victimes de travail forcé ou d’esclavage sous le joug du régime nazi.

Néanmoins, les réparations financières sont principalement demandées par des groupements issus de la société civile. En France, le meilleur exemple en est le CRAN (Comité Représentatif des Associations Noires). Cette association a demandé à la France de rembourser la « dette d’indépendance » qu’Haïti a payé à la France en 1825 en dédommagement de son indépendance, survenue en 1804. Cette « dette », dont le montant final a été 90 millions de franc-or, est aujourd’hui largement considérée comme du racket pur et simple, la France ayant appuyé sa négociation par l’envoi de navires de guerre au large d’Haïti. Le CRAN a chiffré cette dette à 17 milliards d’euros, et ni la France ni Haïti n’ont commenté cette demande.
Une autre des propositions de réparations évoquées par le comité serait la création d’un jour férié rémunéré commémorant l’esclavage.
Le CRAN a également déposé plainte contre la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) en 2013, pour complicité de crime contre l’humanité. En effet, la CDC a encaissé la « dette d’indépendance » d’Haïti avant de la reverser aux anciens colons ayant perdus leurs terres. Le CRAN affirme qu’elle en détient encore une partie et en demande la restitution à Haïti.
Le comité a aussi assigné en justice en 2015 le fonds Wendel et le baron Seillière pour crime contre l’humanité et recel de crime contre l’humanité. Le CRAN a déclaré que la fortune d’Ernest-Antoine Seillière était « en bonne partie issue de la traite négrière ».

Points de débats

Le débat entourant les modalités de réparations s’axe autour de plusieurs points. En premier lieu, les réparations financières souffrent de la difficulté, voire de l’impossibilité de chiffrer précisément les dégâts causés par l’esclavage. Le manque de documents historiques, la difficulté de quantifier précisément les dommages subis et les dommages résiduels rend toute demande de réparation financière extrêmement arbitraire. Sans compter que les actes d’esclavage ont été dans de nombreux cas intimement liés à l’exploitation coloniale (comme au Congo belge), le couplage des deux phénomènes rendant le chiffrement financier encore plus ardu.

Un autre obstacle aux réparations financières est tout simplement l’attribution de ces sommes d’argent. Face à des faits datant bien souvent de plusieurs siècles, comment déterminer qui doit recevoir de l’argent, et en quelle proportion ? Le problème est particulièrement prégnant en France, où personne n’est exclusivement descendant d’esclave ou d’esclavagiste. Verser cet argent à des régions victimes de l’esclavage passé aurait plus de sens, même si cette proposition ne dédommagerait potentiellement pas tous les descendants d’esclaves, ou dédommagerait des descendants d’esclavagistes.
Néanmoins, le point le plus épineux est l’identité des payeurs. Dans le cas de la France, tous les esclavagistes sont morts depuis belle lurette.

Pour l’historien Alban Dignat, il serait absurde de décréter aujourd’hui que certaines personnes de la population française sont coupables de l’esclavage pratiqué dans le passé, et que d’autre vont se voir verser des réparations.

L’idée d’une « réparation » financière évoquée par certaines associations communautaristes ne manque pas de sel. Pourquoi des Français de métropole dont les ascendants n’ont jamais, ni de près ni de loin, participé à la traite devraient-ils s’y soumettre ? Et qui devrait bénéficier de ces réparations ? Les ressortissants des Antilles qui, dans leur immense majorité, cumulent les gènes des esclaves et des propriétaires d’esclaves ? Ou les Africains dont les ascendants ont participé à la réduction en esclavage de leurs congénères ?

La traite, un crime contre l’humanité ?, Alban Dignat, herodote.net, publié le 26/04/2016, disponible à: lien

A l’inverse, Louis-Georges Tin, président du CRAN, a déclaré :

Les descendants des esclavagistes ne sont pas coupables mais ils sont bénéficiaires et leur fortune est faite de biens mal acquisEt en refusant toute réparation, ils deviennent solidaires de fait du crime dont ils essaient de se démarquer en vain. 

Louis George Tin

Traite négrière à Bordeaux : le CRAN a assigné en justice le baron Seillière, lemonde.fr, publié le 09/05/2015, disponible à: lien.

En un sens, la réparation mémorielle est intrinsèquement financière. Par exemple, des critiques ont été formulées quand à la pertinence du mémorial ACTe, le plus important lieu de mémoire dédié à l’esclavage. En effet, sa construction a demandé 83 millions d’euros, alors que la Guadeloupe doit déjà faire face à un taux de chômage élevé chez les jeunes. La réponse opposée à ces critiques a été le potentiel accroissement de l’attractivité touristique de l’île.