L’Homme a commencé à modifier la nature et à la transformer. Le nier est une hypocrisie, vouloir arrêter cette exploitation du jour au lendemain, une utopie. L’Homme ne s’arrêtera pas en chemin alors, quitte à continuer la grande opération de transformation du monde par la technique, autant agir en notre faveur, tel est le point de vue développé par les partisans de cette voie pour le futur.
L’intelligence humaine et les progrès scientifiques peuvent permettre de nous sauver. Face aux technico-sceptiques frileux et effrayés de toutes origines, athées, religieux, conservateurs, altermondialistes, se trouvent des ingénieurs et des savants qui par une bonne connaissance du fonctionnement du monde et par des technologies de pointe peuvent agir contre sa périclitation.
Si cette vision peut paraître de prime abord l’incarnation de l’hybris humain jamais assouvi, il faut noter qu’il existe différents degrés d’écologie de pilotage. La plus radicale est sans doute la géo-ingénierie. Mais l’on peut aussi orienter et transformer raisonnablement la nature pour mieux la faire valoir. Ce n’est pas forcément une négation de la nature. Si comme l’écrivait Rousseau, il faut « s’efforcer de tirer du mal lui-même le remède qui doit le guérir », on pourrait espérer retrouver la nature en continuant de la transformer pour la rendre vivable.
Défenseurs
Paul Crutzen : Météorologiste et chimiste, ancien ingénieur ayant fait carrière en Suède et en Allemagne, récompensé par le prix Nobel pour ses travaux sur la couche d’ozone. Auteur du terme d’Anthropocène en 2000. En faveur de l’adoption du terme et pour le développement de la géo-ingénierie afin de contrer les actions néfastes responsables du changement d’ère géologique.
David Keith : Physicien, professeur à Harvard, fondateur de Carboon Engineering, société spécialisée dans la captation du CO2 atmosphérique. Chef de file de la géo-ingénierie, il étudie précisément les moyens de réguler par la technique le rayonnement solaire.
Paul Crutzen : Il faut refuser tout fatalisme. Le constat du désastre que l’on peut faire via l’Anthropocène recèle en même temps les voies de son dépassement : la technique et la science sont responsables, la technique et les sciences répareront leurs erreurs, il ne faut pas se voiler hypocritement la face mais accepter notre action passée et infléchir son cours sans limiter l’utilisation de sciences et techniques. Vision active et optimiste de l’écologie. Propose un plan B, qui ne doit pas empêcher la lutte écologique, mais qui pourrait s’appliquer si la situation est vraiment plus terrible que prévue (ce qui risque d’être le cas), larguer un million de tonnes de soufre ou de sulfure d’hydrogène dans l’atmosphère pour lutter contre le réchauffement. Ce n’est pas une excuse pour arrêter de servir l’écologie, mais pour autant, il ne faut pas avoir peur et pour lui « la manipulation du climat ne doit pas être un sujet tabou ». (Legros et al., 2015)
« La manipulation du climat ne doit pas être un sujet tabou ». (Legros et al., 2015)
David Keith : Soutenu par des mécènes comme Bill Gates, ses projets de géo-ingénierie pour la limitation du rayonnement solaire ont également le soutien de Crutzen, l’une des solutions retenues étant également de larguer des molécules sulfatées dans l’atmosphère pour le réguler. Pour lui, la géo-ingénierie « sauvera probablement plus de vies qu’elle n’en prendra ». « Elle pourrait devenir la seule solution efficace pour éviter la catastrophe ». (Legros et al., 2015)
La vision naturaliste occidentale du XVIIième siècle, avec des auteurs comme Galilée et Descartes inspire les technophiles. Ces visions croient au potentiel démiurgique de l’Homme. En effet, pour Galilée, “l’Univers est écrit en langue géométrique” (L’Essayeur), la nature, la Terre, ne sont donc que des étendues calculables, qu’il faut comprendre scientifiquement avant de songer à intervenir sur eux.
Descartes insiste : « par Nature je n’entends point ici quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais je me sers de ce mot pour désigner la Matière même » (La lumière naturelle : intuition, disposition, complexion). La philosophie cartésienne fait de la nature une machine précise. La connaissance scientifique pourrait nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la Nature ». Attention, cette phrase, souvent mal interprétée, ne plaide pas pour une soumission aveugle de la nature à l’humain mais pour un projet humaniste prométhéen, créer, inventer des processus pour améliorer la vie humaine et lui être utile.
La vision proposée par les technophiles est celle d’un Anthropocène marquant l’apogée de la capacité humaine à contrôler le monde qui l’entoure et notamment la planète et son climat. Il s’agit donc d’un Anthropocène naturaliste et technocratique. C’est également une vision optimiste qui est proposée puisque l’Homme est capable de trouver une solution à ses problèmes par son action.
Pour Shakespeare, dans Hamlet, “Il vaut mieux supporter les maux qui nous accablent que voler vers d’autres que nous ignorons”. Les opposants aux technophiles partagent ce point de vue et souhaitent arrêter le recours à la technique qui n’est qu’un jeu d’apprentis sorciers et changer notre manière d’agir sur le monde, car nous ne savons pas quelles seront les conséquences de la géo-ingénierie. Bacon, dans le Novum Organum écrivait encore :“On ne commande la nature qu’en lui obéissant”, ceci semble contredire l’idéal des technophiles qui prétendent contrôler le monde en s’improvisent démiurges capables de modifier l’évolution et les lois naturelles. Parmi les opposants à cette vision de l’Homme à l’ère de Anthropocène, nous pouvons citer :
- Clive Hamilton (Philosophe australien, professeur d’éthique publique à l’université. Prend le parti opposé de Crutzen et Keith en dénonçant les dangers de la géo-ingénierie) : pour lui, le terme de géo-ingénierie est fourre-tout et peu pertinent à employer tant sont nombreuses les facettes possibles de cette discipline et les méthodes proposées. Le recours à la géo-ingénierie ne serait qu’un sursaut d’hybris humain pensant encore, malgré toutes les alertes qui le mettent en garde, être l’égal d’un démiurge. (Legros et al., 2015)
- Bernadette Bensaude Vincent (Membre de l’académie des techniques et de l’institut universitaire de France.) est de son avis : “La possibilité pour l’homme d’observer la Terre comme de l’extérieur, à travers la réalité objective de la science est obsolète. Or la géo-ingénierie n’est que la poursuite de cet idéal cartésien de maîtrise. Ce rêve démiurgique d’extériorité par rapport au monde, totalement utopique et dangereux, contredit précisément l’idée que nous sommes “embarqués” dans l’ère de l’Anthropocène” (Legros et al., 2015). Elle rejoint donc ainsi le point de vue des partisans d’une symbiose Homme/Nature représentés par Bruno Latour.
- Christophe Bonneuil (historien des sciences, chargé de recherche au CNRS et membre du Centre Alexandre-Koyré de recherche en histoire des sciences et techniques) définie cette vision comme une approche nouvelle, proposant un détachement avec la Nature et accordant la liberté à l’Homme de se placer en “pilote planétaire”. Néanmoins, il dénonce cette attitude comme étant un prolongement de la philosophie capitaliste, cause primaire des dégâts de l’Homme sur la planète selon lui. La transition vers une domination totale de l’Homme présente le risque de perdre plus que ce qu’on y aura gagné. (Bonneuil 2014)
Pour passer au futur suivant, veuillez cliquer ici