Débats au Parlement Européen

   Le 12 janvier 2017, la mise à l’agenda du Parlement Européen d’une éventuelle taxe sur les robots est rendue publique. S’ensuit la publication de la proposition de résolution élaborée par la commission Règles de droit civil sur la robotique, dont la rapporteuse est l’eurodéputée luxembourgeoise Mady Delvaux. Elle invite notamment à une refonte des systèmes de sécurité sociale voire à la mise en place d’un revenu universel. [1]

« Nous avons présenté une proposition de loi qui portait sur les conséquences de la robotisation et traitait des mesures qu’il fallait prendre selon nous, y compris l’instauration d’un revenu universel et la taxation des robots. » (entretien du 17/04/18)

   Des discussions à l’échelle européenne font sens puisque le débat n’est pas circonscrit à la France. Dès 1982, on trouve des propositions de taxe robot en Belgique [2]. En juin 2005, le PS Belge (représenté alors par Laurette Onkelinx et Rudy Demotte) propose une taxe sur les robots, qui se heurte à une ferme opposition du président du VLD, Bart Somers [3]. En mai 2010, un article du Monde sur le sujet « Comment financer les retraites » suscite de nombreuses réactions de lecteurs, regroupées dans un article suivant [4]. Parmi elles, il y est fait mention d’une taxe sur les robots, sur le modèle des idées déjà discutées en Belgique ou en Suisse.

« Tout le monde parle de taxation des robots aujourd’hui, en France, aux États-Unis, en Suisse, aux Pays-Bas…» (entretien du 17/04/18, Mady Delvaux)

   Se pose alors la question de l’harmonisation à l’échelle européenne :

« Tout d’abord, il ne pourra en aucun cas être question d’une loi européenne de taxation, car les États sont souverains sur les questions d’imposition et l’Europe n’a aucune habilité à décider pour eux. Il faudrait donc que chaque État décide seul, puis qu’il y ait une harmonisation progressive. […] Ce qui compte, c’est d’avoir des lois précises sur le sujet. » (entretien du 17/04/18, Mady Delvaux)

   Cette directive a notamment été critiquée par Nathalie Nevejans, qui a lancé une lettre ouverte à son encontre. Lors de son entretien avec nous, elle se justifie :

   Pour elle, « Les choses que [cette résolution]  dit sont justifiées par les choses qu’elle ne dit pas », à savoir l’influence d’une vision sensationnaliste des performances des robots. Elle propose une explication à cette vision biaisée : les chercheurs auraient du mal à trouver des financements pour leurs travaux et donc tendance à exagérer leurs  résultats et leurs débouchés éventuels. Les pouvoirs publics auraient alors une vision surévaluée des potentiels de la robotique et de l’intelligence  artificielle.

   Le 16 février 2017, le Parlement Européen renonce à la mise en place immédiate d’une taxe sur les robots et d’un revenu universel. Il est néanmoins écrit dans le rapport de session qu’une telle éventualité doit être considérée (notamment dans les Alinéas I,J,K).

   On rappelle que le même jour, Bill Gates donne une interview à Quartz dans laquelle il se positionne en faveur d’une taxe sur les robots.

La création d’une éventuelle personnalité juridique des robots :

   L’éventualité d’une taxation des robots pose la question de la création d’une personnalité morale, ou du moins juridique des robots.

   En effet, comme Xavier Oberson le mentionne dans sa conférence à l’Université de Genève, il s’agit de définir, de manière fiscale et juridique, qui est le contribuable. En l’occurrence, un robot n’a aujourd’hui pas de capacité contributive (puisque pas de personnalité fiscale !) et donc pas de capacité économique propre. En réalité, c’est leur usage qui augmente la capacité contributive de l’entreprise qui les utilise.

   Cet enjeu a bien été ressenti par le Parlement Européen, qui, le 16 février 2017, dans sa Résolution contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique, envisage la création d’une définition juridique du robot en cinq points.

“59. [Le Parlement européen] demande à la Commission, lorsqu’elle procèdera à l’analyse d’impact de son futur instrument législatif, d’examiner, d’évaluer et de prendre en compte les conséquences de toutes les solutions juridiques envisageables, telles que:

f) la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un tiers; il serait envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers;”

   Il ne va toutefois pas jusqu’à accorder une personnalité morale aux robots.

   En réaction à la résolution du Parlement européen, des protestations à l’encontre de l’idée de personnalité juridique des robots se font entendre, dans la presse grand public [6] mais aussi par le biais d’une lettre ouverte [7].
Rédigée par Nathalie Nevejans, maître de conférence HDR en droit et membre du Comité d’éthique du CNRS, suite à la Résolution qui proposait l’adoption de la personnalité juridique des robots de février, cette lettre s’oppose à la création d’une personnalité morale du robot,. En ce qui concerne la création d’une personnalité juridique, Oberson relève qu’il existe des précédents similaires, en effectuant la comparaison avec la création au XIXème siècle d’un nouveau statut moral pour les sociétés. [8]

   Elle est cosignée par 257 experts de la robotique, scientifiques, juristes ou industriels, et en particulier des membres du SYMOP. Elle s’oppose précisément au paragraphe 59.f de la résolution (cité précédemment).

   Les échos de l’open letter sont nombreux mais inégalement répartis: « Il en a été fait mention dans plusieurs journaux plus ou moins grand public. Elle a notamment donné des entretiens à la radio bulgare et à la télévision tchèque, mais n’a pas été sollicitée en Europe de l’Ouest ou même en Allemagne. » (entretien)

   Après plus d’un an en attente (pendant lequel elle collectait des signatures et était visible sur Internet), l’open letter est publiée le 12 avril 2018.

   Conséquemment, la députée Mady Delvaux a réagi publiquement à cette open letter en publiant sur son site Internet le 13 avril 2018 un article intitulé « Fake news in the open letter on robotics and AI » visant à rappeller qu’elle souhaite un élargissement du débat sur la question de la place juridique du robot et que le rapport visait seulement à être une recommandation d’exploration des conséquences des statuts légaux des robots qui pourraiewnt être envisagés. Enfin, elle appelle à un débat public sur le sujet.

Avancement de la mission
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Sources :

[1] « La commission Affaires juridiques du Parlement européen a adopté le rapport de l’eurodéputée luxembourgeoise S&D Mady Delvaux sur l’encadrement juridique de la robotique – Europaforum Luxembourg – Janvier 2017 », 12 janvier 2017.

[2] Wetz, Jean. « Belgique : le poids des inactifs ». Le Monde, 7 décembre 1982.

[3] Coppi, David. « Somers, ses quatre vérités ». Le Soir, 20 juillet 2005.

[4] « Comment financer les retraites ? » Le Monde, 23 mai 2010.

[5] Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)), P8_TA(2017)0051 § (2017).

[6] Rodarie, Hubert. « Contre la personnalité morale des robots ! » FIGARO, 24 mars 2017. 
 

[7] Nevejans, Nathalie. « Robotics Openletter | Open letter to the European Commission », février 2017.

[8] Université de Genève. Taxer les robots? Conférence de X. Oberson, 2017.