Les tests d’ascendance – Quand la génétique marchande défie la vision universaliste de l’humanité

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L’essor des tests génétiques d’ascendance

Quand on lui a demandé en 2004 si les scientifiques étaient capables par une analyse d’ADN de connaître la « race », la « population d’origine », le généticien Bertrand Jordan a répondu que non [1]. Les connaissances et les technologies de l’époque ne permettaient alors pas de faire ce qui est devenu très commun aujourd’hui : les tests génétiques d’ascendance. Dans le monde entier, les consommateurs et les chercheurs sont désormais très friands de ces tests, et la pluralité des types d’origines fournit tout un panel d’informations complémentaires. Tout d’abord, l’ascendance continentale suppose l’existence de quatre ou cinq populations ancestrales majeures qui ont donné naissance aux populations existantes au cours des 100 000 années passées. C’est cette définition des populations d’origine qui est souvent associée à la notion de race dans le vocabulaire courant. L’ascendance biogéographique d’un individu est quant à elle définie comme la localisation géographique de ses ancêtres présumés. Enfin, l’ascendance généalogique correspond à la liste des ancêtres directs d’un individu depuis son côté maternel ou paternel [2].

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Ces différentes définitions de l’origine conduisent à différentes techniques d’analyses génétiques qui permettent d’obtenir les informations souhaitées [1]. Ainsi, l’analyse des polymorphismes génétiques, des différences ponctuelles dans la séquence nucléotidique, conduit à l’ascendance biogéographique d’un individu. L’analyse consiste à étudier en même temps environ 1500 points où l’on observe le plus souvent une différence d’une personne à l’autre dans la population de l’individu. Puis, lorsqu’un polymorphisme apparait en moyenne avec une fréquence d’au moins 30 à 50 % plus importante dans cette population que dans une autre, il est décrit comme un marqueur informatif de l’ascendance. La sélection de polymorphismes judicieux permet donc d’assigner à l’individu une forte probabilité d’appartenance à un groupe d’ascendance.

Certains tests utilisent l’ADN mitochondrial et le chromosome Y pour obtenir des informations sur l’ascendance [5]. L’ADN mitochondrial est l’ADN contenu dans les mitochondries, des batteries symbiotiques du corps humain. Elles ont leur propre génome et proviennent uniquement de la mère. Ces tests permettent donc d’obtenir des informations sur l’ascendance généalogique à travers la lignée maternelle directe. Ils constituent l’une des premières indications obtenues prouvant que l’espèce humaine est née en Afrique. Le chromosome Y est quant à lui transmis exclusivement de père en fils. Les mutations qui se produisent au cours de ce processus fournissent des informations sur l’ascendance généalogique à travers la lignée paternelle.

Ces tests intéressent grandement les consommateurs et les chercheurs [2]. Les consommateurs ont aujourd’hui de plus en plus recours à la généalogie dite récréative proposée par des entreprises privées. Dans une quête identitaire, leur but est d’étendre ou de confirmer leurs connaissances sur leur ascendance généalogique. Les généticiens des populations et les anthropologues s’y intéressent quant à eux d’une part dans le but d’établir les trajets migratoires des populations humaines disparues, et d’autre part pour comprendre l’origine de la diversité génétique humaine. Enfin, les épidémiologistes espèrent grâce à eux identifier des liens entre génétique et épidémiologie. Ils utilisent ainsi une technique d’analyse des polymorphismes nucléotidiques appellée admixture mapping, qui consiste en l’étude de populations nommées admixed groups. Ces populations, comme celle des Afro-Américains, sont formées à partir de deux populations qui ont été reproductivement isolées pendant des dizaines de milliers d’années, ce qui a généré une différentiation génétique.

Des tests au cœur d’une vive controverse

Les tests génétiques d’ascendance connaissent un essor important depuis une dizaine d’année, en particulier les tests de généalogie récréative qui séduisent de plus en plus les français depuis cinq ans, même s’ils sont totalement interdits par la législation française. Mais cette forte croissance s’accompagne d’une vive controverse questionnant d’une part leur validité scientifique, et d’autre part leurs implications sociales et personnelles.

Comme le souligne Bertrand Jordan, le premier problème posé par l’analyse des polymorphismes nucléotidiques est qu’elle suppose d’avoir accès aux populations humaines telles qu’elles existaient il y a 500 à 100 000 ans, quand le mélange génétique entre populations, liés à la colonisation et aux voyages, n’avait pas encore eu lieu. Toutefois, ces populations ont depuis disparu. Pour mener à bien l’analyse, les chercheurs doivent donc considérer comme population de référence des populations qu’ils jugent proches des populations ancestrales car elles ont peu bougées ou qu’il y a eu peu d’immigration. Par exemple, les Yoruba du Nigeria sont de bons candidats. Toutefois, cette solution pose deux nouveaux problèmes majeurs. Tout d’abord, un problème d’inférence statistique apparait, car ces populations ancestrales ne contiennent que quelques individus seulement. Ainsi, les Yoruba ne comptent qu’une centaine d’individus. De plus, il n’existe que très peu de telles populations, ce qui nuit à la fiabilité des résultats.

Ainsi, selon Charmaine D. Roya & Co, un nombre trop faible de populations de référence pose un problème supplémentaire [2]. Si des proxy faibles sont utilisés pour les populations ancestrales, la méthode appliquée au génome d’un individu risque de compenser et de renvoyer des composantes de populations ancestrales gonflées. Par exemple, prenons un individu dont les quatre grand parents proviennent d’Europe du Sud. Dans le cas où l’ADN de l’individu est analysé par des chercheurs, des banques publiques rassemblant la diversité génétique humaine seront utilisées. Prenons les populations du Hap Map comme référence dans ce test, dont les populations européennes ne proviennent que du nord de l’Europe. Le test assignera très probablement une portion du génome à une population non européenne car le génome correspondra statistiquement davantage aux Yoruba ou aux Han qu’aux européens du Nord. Le test produira donc un résultats totalement non représentatif de l’ascendance biogéographique de l’individu.

Les entreprises privées ont leur propres bases de données qui se veulent enrichies par rapport aux bases de données publiques. Elles promettent un nombre plus grand de populations de référence, qui est de nature à résoudre le problème précédent. Toutefois, pour Marc Thomas, professeur de génétique au University College de Londres, cela se fait au prix de leur caractère ancestral. Certes, MyAncestry constitue sa catégorie anglaise en ne prenant que des individus dont les huit grand-parents sont nés en Angleterre [3]. Mais cela ne leur permet de remonter qu’à 300 ans maximum, car nous n’héritons que de très peu de gènes de nos ancêtres. Pour Bertrand Jordan, la constitution des catégories n’est pas même toujours claire, des dénominations telles « européens du Sud » comptant par exemple 30 % d’Italiens, 40% d’Ibériques, et 30 % de gènes issus de populations « non identifiées » apparaissant. Le résultat fourni par le test perd alors toute pertinence.

Selon le généticien, les pourcentages indiqués sont vendus comme révélant la part du génome qui peut être rattachée à une ascendance donnée. Toutefois, il s’agit seulement de marqueurs d’assignation statistiques à des populations de référence. Prenons le cas d’une personne à qui l’on aurait indiqué une ascendance biogéographique européenne de 29 %. Cela signifie simplement que sur l’ensemble du génome, le test a pu rattacher 29% de la longueur de l’ADN à une population européenne, probablement récente.

Concernant les tests sur l’ADN mitochondrial et le chromosome Y, Bertrand Jordan rappelle que certaines personnes ont des lignées paternelles et maternelles qui partent dans de directions généalogiques opposées. Considérer les deux tests en même temps est donc nécessaire si l’on souhaite les utiliser pour obtenir l’origine biogéographique d’une personne avec justesse. Cela justifie la création de modèles complexes permettant de retrouver la parenté avec des populations de référence. En plus des problèmes évoqués précédents, des marges d’erreurs importantes associées à ce processus s’ajoutent alors, qui rendent les résultats encore moins exploitables.

Pour Charmaine D. Roya & Co et Marc Thomas, c’est le manque de transparence des entreprises de généalogie récréative qui est condamnable [2,3]. Le concept d’ascendance utilisé par ces entreprises n’est pas mentionné, ce qui induit une interrogation sur le type de test utilisé. Le choix et la constitution des populations de référence ne sont pas expliqués, ce qui soulève la question de la pertinence des groupes choisis. Enfin, aucune incertitude statistique n’est associée aux résultats fournis, ce qui est contradictoire à toute démarche statistique rigoureuse.

En plus de ces questions scientifiques, certains journalistes comme Georgina Lawton s’interrogent sur l’avenir des données génétiques collectées [3]. Dans la plupart des cas, l’entreprise n’est autorisée à transmettre l’ADN d’un client que s’il peut servir la recherche et que cela a été accepté par le client. Toutefois, comme l’indique la journaliste, elle peut transmettre l’ADN aux autorités judiciaires si celles-ci le demandent. Ainsi, sur les 34 requêtes des autorités qui ont eu lieu en 2017, l’entreprise MyAncestry a transmis 31 fois les dossiers. Pour les personnes subissant des discriminations, notamment sur des bases raciales, cela signifie que leur génome peut potentiellement être utilisé contre elles dans le cadre judiciaire. De plus, qu’adviendront les données si une telle entreprise fait faillite ? Cette question n’est pas relevée par les entreprises concernées.

Charmaine D. Roya & Co alertent aussi sur l’usage de ces tests par des individus pour justifier la double nationalité dans des pays identifiés comme leurs terres ancestrales [2]. Des questions juridiques sont ainsi soulevées à l’échelle nationale d’un pays. Inversement, les pays eux-même peuvent utiliser ces tests pour identifier la nationalité des personnes qui cherchent asile en leur sein, comme c’est le projet du Royaume Uni avec le Human Provenance Pilot Project [2].

Plus que ces inquiétudes sur la validité scientifique des tests, le futur des données, et leur utilisation politique, c’est la question de leurs conséquences personnelles et sociales qui inquiète les journalistes et les anthropologues. Selon Georgina Lawton, des identités chéries par des familles depuis des générations peuvent être démontées du jour au lendemain [3]. Les réactions de stress ou de choc émotionnel suite à la lecture des résultats sont nombreuses quand les histoires familiales sont mises à mal et laissent un flot d’incertitudes sur leur passage. Cela est d’autant plus déplorable pour la journaliste que l’identité personnelle se construit moins sur la base de frontières géographiques que sur la base de traits culturels, religieux, sociaux, historiques et politiques qui ne sont pas étudiés par les tests.

Timothy Caulfield, spécialiste juridique de la santé à l’université d’Alberta au Canada, alerte sur les dangers sociaux des tests de généalogie récréative [3]. Selon lui, ces tests crédibilisent l’idée selon laquelle les humains se subdivisent en différentes races biologiques. Cela encourage une vision racialisée de la société, dans laquelle un individu devrait penser au groupe auquel il appartient en fonction de ces gènes. Une publicité de AncestryDNA présente d’ailleurs un homme habitué avant son test à porter des vêtements bavarois qui se met à porter des kilts après avoir appris qu’il a des origines écossaises. Cette réification des races biologiques et cette vision racialisée de la société émergent à une période particulièrement critique, dans laquelle les groupes d’individus cherchent de plus de différences entre eux et les autres.

A contrario, pour Alondra Nelson, ces tests de généalogie génétique ne peuvent pas induire une validation de l’existence des races biologiques aux Etats-Unis, car ce que la communauté Afro-Américaine recherche, c’est plutôt un cheminement de la race à l’éthnicité [4]. Les tests leur permettent d’avoir accès à une information sur leur identité personnelle sans référence à un groupe. Il s’agit d’un véritable retour aux origines personnalisé. Ainsi, ces tests doivent être vus comme des projets de réconciliation. La communauté Afro-Américaine souhaite inaugurer un processus de reconnaissance publique de la part de la société américaine, et un processus de réconciliation avec l’Afrique sous la forme d’une réunion diasporale. Ces deux processus ne sont pas antagonistes, ils s’inscrivent dans la logique de « double conscience » mise en évidence par W.E.B Du Bois selon laquelle la communauté Afro-Américaine expérimente une difficulté à réconcilier son héritage africain et son éducation occidentale, la conduisant au développement d’ une double conscience.

Sur la question du racisme, AncestryDNA répond qu’analyser l’ADN pour déterminer l’ascendance ethnique d’une personne est à la pointe des technologies scientifiques actuelles. Certains journalistes, comme Georgina Lawton, reprochent à ces entreprises d’utiliser l’ethnicité comme une euphémisme pour le mot « race » dans une entreprise de réification des races biologiques. 23&Me répond ne pas se référer à l’ethnicité mais à la composition de l’ascendance biogéographique [3]. L’entreprise dit qu’il existe une diversité humaine spectaculaire dans le monde qu’ils célèbrent et valorisent via leur activité. Cela est bénéfique pour l’ensemble de la société. Le site présente par exemple un Afro-Américain issu d’une famille d’esclaves, et une personne de couleur blanche issue d’une famille esclavagiste qui ont trouvé grâce au test de généalogie génétique qu’ils avaient un ancêtre commun [5]. Leurs tests permettent donc de rapprocher les groupes anciennement séparés et favorisent la cohésion de la société.

Toutefois, pour les sociologues Aaron Panofsky et Joan Donovan, il n’y a pas de raison de penser que les nationalistes blancs américains qui réalisent ces tests abandonneront leurs idéologies racistes suite à la réception des résultats [6]. Les deux sociologues ont analysé les discussions de nationalistes blancs sur un site d’extrême droite intitulé StormFront dans lequel les nationalistes disaient avoir reçu de mauvaises nouvelles de leurs tests. Les nationalistes blancs américains très imprégnés par la notion de races biologiques, ont souvent recours à ces tests pour montrer la pureté de leur génome. Mais nombreux sont ceux qui reçoivent un pourcentage non nul d’ascendance biogéographique africaine. Sur StormFront, selon Aaron Panofsky et Joan Donovan, loin de relativiser leurs théories racistes, les nationalistes trouvent des interprétations scientifiques ou non scientifiques permettant de valider leur pureté d’homme blanc. L’information génétique ne permet donc pas de changer leur vision raciste.

Au centre de questionnements sociologiques, les tests d’ascendance génétique permettent de repenser l’identité et défient la vision universaliste de l’humanité. La controverse sur leur validité scientifique, peu médiatisée, jette un autre voile d’incertitude qui ne semble pas gêner l’industrie marchande de la généalogie récréative qui continue à se développer en France et à l’étranger.


Bibliographie

[1] Doron, Claude-Olivier, et Lallemand-Stempak, Jean-Paul.« Interpréter la diversité humaine »? Entretien avec Bertrand Jordan. La Vie des idées. Consulté le 7 avril 2019. <https://laviedesidees.fr/Interpreter-la-diversite-humaine.html>.

[2] D. Roya, Charmaine & Co. « Inferring Genetic Ancestry : Opportunities, Challenges, and Implications », American Journal of Human Genetics, 2010. Consulté le 5 juin 2019. <https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2869013/pdf/main.pdf>.

[3] Lawton, Georgina. « ‘It made me question my ancestry’: does DNA home testing really understand race? », The Guardian, 11 aout 2018. Consulté le 5 juin 2019. <https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2018/aug/11/question-ancestry-does-dna-testing-really-understand-race>.

[4] Peretz, Pauline. « Race et santé dans l’Amérique contemporaine : entretien avec Alondra Nelson ». La vie des idées. Publié le 21 février 2012. Consulté le 4 avis 2019. <https://laviedesidees.fr/Race-et-sante-dans-l-Amerique.html>.

[5] 23&Me. <https://www.23andme.com/en-int/stories/>.

[6] Panofsky, Aaron, et Donovan, Joan. « Genetic Ancestry Testing Among White Nationalists », Septembre 2018. Consulté le 6 juin 2019. <https://osf.io/preprints/socarxiv/7f9bc>.

Sources des images

[a] logo de 23andMe, Disponible sur https://www.23andme.com/en-int/ [Consulté le 17/06/2019]