Race et constitution – Perceptions du mot race

Quelle position adopter face au poids historique de ce terme ?

Presque tous les différents acteurs conviennent que le terme de « race » a un poids historique important. Cependant, ils considèrent différemment ce rapport à l’histoire.

Ainsi, le juriste Denys de Béchillon considère que le terme de « race » est un rappel des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale, il s’agirait d’un témoignage historique [1].

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En revanche, Mario Stasi, le Président de la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) affirme que le terme de race ne peut être utilisée car trop chargé historiquement. En effet, il reflète selon lui une cicatrice car il renvoi à un temps où le terme de « race » était généralisé, banalisé (celui de la Seconde Guerre Mondiale). Qui plus est, ce terme serait issu d’une langue néocoloniale marquée par le resurgissement du racisme en France (et qui s’appuie sur le « racisme d’Etat »). Ce terme était historiquement lié à une notion de hiérarchie, notion qui est liée et qui rend ce terme inadéquat à l’utilisation. [2]

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Cet aspect était d’ailleurs évoqué dans la proposition de loi constitutionnelle de 2007 : 

« il s’agit par ailleurs de tirer les conséquences du fait que ce mot « est dangereux politiquement et juridiquement », parce qu’il « a toujours servi de support au discours qui prélude à l’extermination des peuples » [3]

Cependant, selon Pierre-André Taguieff (historien des idées) cette peur d’utilisation du terme de race pour des raisons historiques serait liée à la croyance selon laquelle son emploi pourrait susciter de nouveaux actes discriminatoires. Néanmoins, il explique qu’il n’existe pas forcément de lien causal et que généralement l’histoire se répète justement parce qu’on l’oublie. [4]

L’utilisation du terme de « race » dans la Constitution : quel symbole ?

Généralement les juristes ne se prononcent pas trop quant au symbole renvoyé par l’utilisation du terme de « race » dans la Constitution, ils préfèrent s’intéresser aux conséquences pratiques. [5] Cette question est plutôt posée par des philosophes, sociologues, militants…

Le philosophe Etienne Balibar ainsi que la professeure en sciences sociales Pap Ndiaye considèrent tous deux que le terme de « race » dans l’article 1 de la Constitution est un symbole fort de lutte contre le racisme : il s’agit d’une « condamnation solennelle des distinctions fondées sur la catégorie imaginaire de la race » (Pap Ndiaye). [6,7].

En revanche, Mario Stasi (président de la LICRA) considère que la présence du terme de « race » dans ce texte de loi exerce une violence symbolique :

« Leur présence [des mots] dans ce texte [la Constitution] leur confère une charge et une puissance symboliques plus forte que nulle part ailleurs. Ils engagent la nation sur ce qu’elle dit d’elle-même et dessinent l’horizon des valeurs qui la fondent. » [2]

Cette question est intimement liée à la controverse sur le tabou lié à la notion de race.

En savoir plus sur la controverse sur le tabou lié à la notion de race : La "race" dans la société

Suite :  Quels liens avec le racisme ?


Retour au schéma : La notion de race en un schéma


Bibliographie

[1] Le Pourhiet, Anne-Marie,  Levade, Anne, De Béchillon, Denys, Mathieu, Bertrand, et Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Faut-il actualiser le préambule de la Constitution ? », Constitutions, 2012 p.247. (avt 21)
[2] Stasi, Mario. « « Le mot “race” doit disparaître de notre Constitution » ». Le Monde. Publié le 26 juin 2018.  Consulté le 29 mars 2019. <https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/26/le-mot-race-doit-disparaitre-de-notre-constitution_5321573_3232.html>. (avt 2)
[3] Pascal Mbongo. Recueil Dalloz, 2013 p.1288, « Un antiracisme scripturaire : la suppression du mot « race » de la législation ». Consulté le 20 mai 2019. <https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/09.2017/Mbongo.pdf> (avt 22)
[4] Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Supprimer le mot «race» de la Constitution : oui, mais… » Libération. Publié le 13 juillet 2018, Consulté le 3 avril. <https://www.liberation.fr/debats/2018/07/10/supprimer-le-mot-race-de-la-constitution-oui-mais_1665506>. (avt 16)
[5] Le défenseur des droit. « Avis du défenseur des droits », numéro 13-05. Consulté le 10 mai 2019. <https:://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_numphp?ex=10517>. (avt 23)
[6] Vincent, Catherine. « Faut-il vraiment retirer ce mot de la Constitution? » Le Monde. Publié le 30 juin 2018. Consulté le 29 mars 2019. <https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/28/et-si-le-mot-race-etait-utile-dans-la-constitution_5322600_3232.html>. (avt 8)
[7] Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Supprimer le mot «race» de la Constitution : oui, mais… » Libération. Publié le 13 juillet 2018, Consulté le 3 avril. <https://www.liberation.fr/debats/2018/07/10/supprimer-le-mot-race-de-la-constitution-oui-mais_1665506>. (avt 15)

Sources des images

[a] Ludwik Szaciński (1844–1894) (Unkown date) Portrett av uidentifisert [Blue pencil], Norway – Mo i Rana : Nasjonalbiblioteket. National Library of Norway [Public domain]. Disponible sur
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hans_Kamstrup_-_no-nb_digifoto_20140327_00004_bldsa_FA1455.jpg [Consulté le 17/06/2019]