Race et Constitution – Aspect juridique

Creative Commons (Attribution 3.0 Unported)
https://www.iconfinder.com/icons/2315987/court_justice_law_lawyer_icon

Le retrait du terme de « race affaiblirait-il l’arsenal juridique ?

Court, justice, law, lawyer icon. Modifié. [a]

Selon Jean-François de Montgolfier (haut fonctionnaire), le terme de « race » est primordial car il compense la faille présente dans le principe d’égalité de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :

« Le plus souvent, le principe d’égalité devant la loi, proclamé par l’article 6 de la Déclaration de 1789 (« la loi est la même pour tous »), laisse au législateur une certaine souplesse pour – déroger à l’égalité, soit en invoquant une différence de situation, soit pour un motif d’intérêt général. En revanche, l’article premier de la Constitution interdit, sans possibilité de dérogation, toute distinction d’ « origine, de race ou de religion » : c’est le « noyau dur » du principe d’égalité. »

Bertrand Mathieu (juriste) ainsi que Dominique Baudis (défenseur des Droits) considèrent que son retrait susciterait des dysfonctionnements puisque les textes assurant la protection contre le racisme partent de ce texte. Ce dernier point a d’ailleurs été mis en évidence lors de la volonté de la révision constitutionnelle de 2008. [3,1]

En revanche, certains juristes, dont François Borella, considère que la présence du terme de « race » n’est pas utile. En effet, les textes anciens ne comportaient pas ce terme puisque « en pure logique, le principe d’égalité ne demande aucune spécification et, au contraire, les exclut » (François Borella). L’apparition du principe de « non-discrimination » ainsi que des spécifications s’est fait de manière historique, en partie suite au vécu des dominés. De plus, alors qu’il est employé dans de nombreuses Constitutions et traités internationaux, le terme de « race » a un sens flou (et est toujours utilisé de manière négative). [3]

Par ailleurs, depuis qu’il existe un contrôle de constitutionnalité des lois en France, le Conseil constitutionnel n’a invoqué qu’à une seule reprise l’article 1 de la Constitution (le 15 novembre 2007, pour interdire la constitution de fichiers faisant apparaître « l’origine ethnique ou la race » présent dans un test ADN). La faible utilisation de cet article sous-entendrait pour certains (parmi lesquels figure Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public) que ce texte n’a pas une grande utilité. [4,1] Enfin, dans la proposition faite à l’Assemblée nationale le 3 juillet 2018, la présence du terme de « race » est considérée comme « juridiquement inopérant ». [5]

Textes constitutionnels : fruit de l’histoire ou reflet de l’état d’esprit de la société actuelle ?

Le retrait du terme de « race » de la Constitution est controversé car il existe des visions différentes concernant les textes constitutionnels.

En effet, les juristes se prononcent contre la réécriture des textes constitutionnels (comme la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 17889 ou le préambule de la Constitution de 1946). En effet, ils considèrent que ces textes fonctionnent comme des strates qui s’ajoutent, condition sine qua non pour assurer une variété dans « l’inspiration historique et la lignée idéologique » (Denys de Béchillon) et par là même une neutralité de la Constitution.

Cependant, même si tous les juristes considèrent que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ne peut être modifiée, les avis divergent concernant la Constitution de 1958. Plus précisément, Denys de Béchillon la considère intouchable alors que Bertrand Mathieu (professeur de droit constitutionnel) considère que seule la première partie de la Constitution de 1958 ne peut être modifiée car elle affirme des « droits naturels, sacrés et indéniables » (alors que la deuxième partie de la Constitution de 1958 peut être modifiée car elle affirme des principes – politiques, économiques et sociaux – contingents, non universels). Enfin Ferdinand Mélin-Soucramanien considère qu’elle peut être réécrite, qu’il s’agit d’un texte vivant qui a déjà subi des modifications (par exemple pour affirmer l’égalité entre les femmes et les hommes). [1]

De plus, certains juristes considèrent qu’il est inutile de modifier les textes constitutionnels car leur utilisation est suffisamment libre :

« Ce qu’il y a de très commode avec le maniement des normes constitutionnelles, a fortiori anciennes, c’est que tout le monde est d’accord pour ne pas les utiliser forcément aujourd’hui dans l’acception qui était la leur à l’origine. L’interprétation constitutionnelle passe par un mouvement d’actualisation dont l’acceptabilité juridique n’est pas contestée. » (Denys de Béchillon)[1]

En revanche, des politiciens, des militants (notamment le président de la LICRA, Mario Stasi) considèrent que la loi doit refléter l’état d’esprit de la société actuelle et de celle que l’on souhaite atteindre, c’est pourquoi la Constitution a déjà été modifiée.[6]

Est-il pertinent de retirer le terme de « race » des textes juridiques français alors que le terme figure dans des traités internationaux ?

Cette question est très souvent posée par les juristes et leur réponse est unanime : il est inutile de retirer le terme de « race » dans les textes juridiques français car les traités internationaux continueraient à utiliser la notion de race. De ce fait, le terme de « race » continuerait à être utilisé dans le lexique juridique français car la plupart de ces traités ont été adoptés, signés et ratifiés par la France (par exemple : la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). Ce sont donc « des textes invoqués et interprétés quotidiennement » [2] (Dominique Baudis, défenseur des droits). Il ajoute qu’il y aurait un risque de décalage dans la manière d’aborder le problème, ce qui pourrait générait pragmatiquement des difficultés dans le traitement de certains contentieux individuels. [1,7]

Cependant, ces traités sont en anglais, et certains avancent que le terme de « race » en anglais n’a pas la même signification que le terme de « race » en français, levant par là même l’inutilité apparente. [8]

https://www.iconfinder.com/icons/4158685/chemistry_data_fabrication_lab_science_study_test_testing_icon
Creative Commons (Attribution 3.0 Unported)

Est-il judicieux de modifier la loi suite à des découvertes scientifiques ?

Court, justice, law, lawyer icon. et Chemistry, data, fabrication, lab, science, study, test, testing icon. Modifiés. [b]

De plus, il est communément admis sur la scène politique et juridique que le terme de « race » n’a pas de réalité scientifique. Ainsi, la proposition fait à l’Assemblée nationale du 3 juillet 2018 affirme que le terme de « race » est « scientifiquement infondé »[5].

Néanmoins, l’historien des idées Pierre-André Taguieff considère que prôner le retrait du terme de « race » de la Constitution pour des motifs scientifiques est dangereux. En effet, c’est oublier que le savoir scientifique ne cesse d’évoluer (cf les controverses dans le domaine scientifique) [9]

En revanche, malgré l’(éventuelle) absence de réalité scientifique, l’emploi du terme de « race » est considéré par certains comme légitime voire nécessaire car il existe une réalité sociologique voire symbolique. Ferdinand Mélin-Soucramanien affirme par exemple « si la « race » n’existe pas comme catégorie prétendument objective, chacun sait que le racisme en tant que sentiment subjectif lui existe bel et bien… » [10]. Le juriste Bertrand Mathieu considère que le terme de « race » peut être utilisé car il a été employé dans un certain contexte historique marqué par des « conséquences éminemment concrètes et dramatiques. » [1]

L’utilisation du terme « race » sous-entend-elle une existence de « race(s) » ?

Selon des juristes (parmi lesquels figurent Danièle Lochak ou Pascal Mbongo) ainsi que des hommes politiques (dont Richard Ferrand – député LREM), l’utilisation du terme de « race » comme cause potentielle d’actes discriminatoires présuppose que les races existent. Le risque de légitimation des « races » est d’autant plus accru que le vocabulaire technique, notamment juridique a un caractère objectif. Néanmoins, d’autres juristes (comme Ferdinand Mélin-Soucramanien) considère que ce lien logique n’existe pas.

Creative Commons (Attribution 3.0 Unported) https://www.iconfinder.com/icons/4177627/brains_brainstorm_mind_processing_think_thinktank_icon
https://www.iconfinder.com/icons/322421/book_icon 
Free for commercial use (Include link to authors website)

Différentes compréhensions de l’Article 1 de la Constitution

Brains, brainstorm, mind, processing, think, thinktank icon. et Book icon. Modifiés. [c]

Par ailleurs, la compréhension même de l’Article 1 de la Constitution est discutée : est-ce que le terme de « race » doit être compris individuellement ou comme partie du triptyque « origine-race-religion » ?

Selon Jean-François de Montgolfier, haut fonctionnaire et expert en droit constitutionnel, le terme de race doit impérativement compris comme partie du triptyque « origine-race-religion ». Ainsi, enlever un des termes de ce triptyque serait dénaturer le sens du propos.[11]

En savoir plus : triptyque origine-race-religion     Suite :  Différentes perceptions du mot race

Retour au schéma : La notion de race en un schéma    


Bibliographie

[1] Le Pourhiet, Anne-Marie, Levade, Anne, De Béchillon, Denys, Mathieu, Bertrand, et Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Faut-il actualiser le préambule de la Constitution ? », Constitutions, 2012 p.247.
[2] Le défenseur des droit. « Avis du défenseur des droits », numéro 13-05. Consulté le 10 mai 2019. <https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_numphp?ex=10517>.
[3] Borella, F. « Le mot race dans les Constitutions françaises et étrangères », Mots. Les langages du politique, 33(1), 305‑316., 1992. Consulté le 3 mai 2019. <https://doi.org/10.3406/mots.1992.1761>.
[4] Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Supprimer le mot «race» de la Constitution : oui, mais… » Libération. Publié le 13 juillet 2018, Consulté le 3 avril. <https://www.liberation.fr/debats/2018/07/10/supprimer-le-mot-race-de-la-constitution-oui-mais_1665506>.
[5] Passot, Vianney. « Bouvet : “Que des universitaires défendent Houria Bouteldja est un crime contre l’esprit” ». Le Figaro. Publié le 23 juin 2017. Consulté le 29 mars 2019. <http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/06/23/31003-20170623ARTFIG00122-bouvet-que-des-universitaires-defendent-houria-bouteldja-est-un-crime-contre-l-esprit.php>.
[6] Clavel, Geoffroy. « Les députés d’accord pour supprimer le mot “race” de la Constitution (et introduire la lutte contre le sexisme) Un consensus se dégage pour remplacer cette notion “infondée” par la réaffirmation de l’égalité des sexes». Le Huffington Post – France. Publié le 27 juin 2018. Consulté le 30 amas 2019.
[7] Pascal Mbongo. Recueil Dalloz, 2013 p.1288, « Un antiracisme scripturaire : la suppression du mot « race » de la législation ». Consulté le 20 mai 2019. <https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/09.2017/Mbongo.pdf>
[8] Entretien avec un député ultra-marin
[9] Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Supprimer le mot «race» de la Constitution : oui, mais… » Libération. Publié le 13 juillet 2018, Consulté le 3 avril. <https://www.liberation.fr/debats/2018/07/10/supprimer-le-mot-race-de-la-constitution-oui-mais_1665506>.
[10] Combis, Hélène. « Le concept de “race” peut-il s’appliquer à l’espèce humaine ? ». France Culture, 19 octobre 2016. Consulté le 3 avril 2019. <https://www.franceculture.fr/sciences/le-concept-de-race-peut-il-sappliquer-lespece-humaine>.
[11] Montgolfier, Jean François. « « Origine-race-religion », triptyque gagnant ». Le Monde. Publié le 7 juillet 2018. Consulté le 5 avril. <http://www.laicite-republique.org/j-f-montgolfier-origine-race-religion-le-monde-7-juil-18.html>

Sources des images

[a] PINPOINT.WORLD. Court, justice, law, lawyer icon.Creative Commons (Attribution 3.0 Unported). Disponible sur
https://www.iconfinder.com/icons/2315987/court_justice_law_lawyer_icon [Consulté le 14/06/2019] Modifié.

[b] PINPOINT.WORLD. Court, justice, law, lawyer icon.Creative Commons (Attribution 3.0 Unported). Disponible sur
https://www.iconfinder.com/icons/2315987/court_justice_law_lawyer_icon [Consulté le 14/06/2019] et Flatart. Chemistry, data, fabrication, lab, science, study, test, testing icon. Free for commercial use. Disponible sur
https://www.iconfinder.com/icons/4158685/chemistry_data_fabrication_lab_science_study_test_testing_icon [Consulté le 17/06/2019] Modifiés.

[c] Kulmaisa. Brains, brainstorm, mind, processing, think, thinktank icon. Creative Commons (Attribution 3.0 Unported). Disponible sur
https://www.iconfinder.com/icons/4177627/brains_brainstorm_mind_processing_think_thinktank_icon [Consulté le 17/06/2019] et Icons Solid. Book icon. Free for commercial use (Include link to authors website). Disponible sur
https://www.iconfinder.com/icons/322421/book_icon [Consulté le 17/06/2019] Modifiés.