Le « criminel-né »
La criminologie est apparue comme discipline dite scientifique au XIXème siècle, suivant l’essor des sciences sociales à ce moment-là. Elle s’attache à étudier l’individu criminel et les causes qui l’amènent au crime, séparant de cette manière un « Nous » suivant les normes sociales et un « Autre » hors de ces normes qu’il s’agirait de surveiller. [1]
L’anthropologie criminelle de Cesare Lombroso apparaît alors dans une Italie en pleine mutation économique à cette époque. Devant la recrudescence des crimes, il s’agit d’identifier les populations à risque, susceptibles de passer à l’acte ou de récidiver. S’appuyant sur les théories naturalistes de classification des races, Lombroso lie les anormalités comportementales aux anormalités physiques : une étude précise des caractéristiques physiques des criminels permettrait d’en déduire le portrait-type de « l’homme primitif », un criminel-né, forcément multirécidiviste. Auror Llorca explique que cet être, tel qu’il est mis en évidence par Lombroso, est en fait étonnement proche de ceux qui occupent les franges plus vulnérables de la société : pauvres et non-Blancs sont criminalisés. Néanmoins, cette étude jette les bases de la criminologie et révolutionne le monde juridique en introduisant un principe d’individualisation et de hiérarchisation des peines : un multirécidiviste ne sera pas condamné de la même façon qu’un criminel occasionnel. Les biais dont souffrent la criminologie aujourd’hui ont donc été présents depuis la naissance même de la discipline : selon Lombroso, il faut donc juger un individu non seulement sur la gravité de ses actes, mais aussi sur sa capacité à récidiver, autrement dit sur son apparence physique. [2]
Une analyse effectuée par Garfinkel dans les années 1940 montre bien l’influence de l’ethnicité sur les destins judiciaires : il classe près de 700 homicides jugés en Caroline du Nord en quatre catégories en fonction des « statuts raciaux » dans le couple criminel-victime, à savoir Blanc-Noir, Noir-Blanc, Noir-Noir ou Blanc-Blanc. Ainsi, il montre qu’une personne Noire est plus facilement considérée comme criminelle qu’une personne Blanche, et que les homicides Noir-Noir suscitent un certain désintérêt de la part des juges, contrairement aux homicides Blanc-Blanc où la responsabilité doit être établie à l’aide de preuves.
Il faut attendre les années 1960 pour que Barth propose de rompre avec cette conception de l’ethnicité, et propose de la voir plutôt comme un rapport entre deux groupes socialement différenciés : il s’agit alors d’une réalité sociologique. [1]
Le profilage racial
Les contrôles « au faciès » et la notion de « groupe à risque » dans le milieu policier sont des éléments qui font débat dans la mesure où ils introduisent une utilisation de la notion de « race » par les forces de l’ordre. Souvent non formalisées, ces pratiques créent des polémiques lorsqu’elles sont relayées par la presse, car elles peuvent être interprétées comme relevant d’une certaine forme de discrimination raciale. En effet, le champ d’application du « profilage racial » suppose une généralisation d’un comportement réalisée sur la base de l’appartenance à une certaine « race » ou ethnie. Guillaume Roux, dans son état de l’art des discriminations faites dans les quartiers dits « difficiles », cherche à recenser ces pratiques afin d’expliquer le rejet auquel la police fait face dans ces lieux. Il propose de voir la « race » comme une catégorie mentale qui racialise les rapports entretenus entre police et minorités de ces quartiers. Certains groupes font alors l’objet d’un ciblage racial et territorial, les deux tendant parfois à se confondre. Dans les années 1940 aux Etats-Unis, le milieu policier déclare même criminogène « la race mexicaine ». Néanmoins, cet état de l’art souligne également l’étroit rapport entretenu entre les dimensions raciale et sociale. [3]
Les portraits-robots génétiques
L’analyse de l’ADN aujourd’hui peut mettre en évidence les caractéristiques physiques d’un individu, sa prédisposition à certaines maladies ou encore la présence d’anomalies génétiques. Néanmoins, la notion de portrait-robot génétique fait débat en raison des informations personnelles qu’il divulgue.
La législation distingue par ailleurs différents usages de l’ADN : En Suisse, seule la partie non codante de l’ADN, c’est-à-dire la partie qui n’entraîne pas de traduction sous forme de protéines, est autorisée à des fins d’identification. Ainsi, il n’y aucun moyen de former un portrait-robot génétique à partir de ces séquences. Des appels à autoriser l’exploitation des séquences codantes de l’ADN reviennent pourtant régulièrement : Rebecca Ruiz, conseillère nationale et criminologue, insiste par exemple sur l’utilité de ces techniques pour les milieux policiers et rappelle que les informations sur le physique d’un suspect sont autorisées lorsqu’elles proviennent d’un témoin. Utiliser les portraits-robots génétiques reviendrait donc à obtenir ces informations, sans les erreurs et les approximations résultant de la subjectivité d’un témoignage. En France, l’analyse de l’ADN codant est autorisée depuis un arrêt de la Cour de cassation datant de 2014 : un magistrat avait en effet demandé à un laboratoire d’effectuer une telle expertise à partir d’ADN prélevé sur des victimes d’agression sexuelle, allant à l’encontre de la position du Ministère de la Justice. L’expertise a néanmoins été validée en cassation car seuls les « caractères morphologiques apparents » étaient révélés. Ce principe prévaut toujours en France où l’analyse de l’ADN codant à des fins d’identification ne doit révéler que des caractéristiques physiques apparentes, qui pourraient très bien être obtenues par témoignage et ne relèvent pas de la vie privée. Les maladies génétiques ou autres prédispositions du suspect ne doivent en revanche pas être divulguées afin de protéger l’individu. [4] [5]
Cependant, certains experts souligne l’incertitude entourant ces méthodes : les prédictions réalisées ne pas certaines, mais probables, et certaines caractéristiques sont obtenues avec une fiabilité limitée. C’est cet argument que relaie Bertrand Renard, professeur en faculté de droit et de criminologie. Les prédictions peuvent également être perturbées par la chirurgie esthétique. Par ailleurs, mettre des caractéristiques physiques en évidence implique aussi de rendre apparente une certaine ethnicité. Dans la législation française actuelle, la divulgation des « caractères morphologiques apparents » pourrait encourager les discriminations raciales et accentuer les biais déjà existants. [6]
Retour au schéma : La notion de race en un schéma
Bibliographie
- Jaccoud, Mylène. « Le construit de l’ethnicité en criminologie », Criminologie, Volume 36, Numéro 2. Publié en automne 2003
- Llorca, Aurore. « La criminologie, héritière paradoxale de l’école d’anthropologie criminelle », Raisons politiques. Publié en 2005.
- Roux, Guillaume. « Expliquer le rejet de la police en banlieue : discriminations : « ciblage des quartiers » et racialisation . Un état de l’art », Droit et société, 2017, numéro 97(3), 555‑568. Consulté le 6 mai 2019. <https://www.cairn.info/revue-droit-et-société-2017-3-page-555.htm?contenu=resume#> .
- Schüpbach, Julie. « Dresser le portrait-robot d’un criminel grâce à un brin d’ADN: la technique fait débat », Le Temps. Publié le 23 juin 2016. Consulté le 15 avril 2019. <https://www.letemps.ch/sciences/dresser-portraitrobot-dun-criminel-grace-un-brin-dadn-technique-debat>.
- Ruiz, Rebecca. « Il faut réviser la loi actuelle sur les analyses ADN pour servir la justice », Le Temps. Publié le 1 juillet 2016. Consulté le 4 avril 2019. <https://www.letemps.ch/opinions/faut-reviser-loi-actuelle-analyses-adn-servir-justice>.
- Renard, Bertrand. « Non à l’utilisation des profils ADN pour dresser le portrait-robot d’un suspect », Le Temps. Publié le 1 juillet 2016. Consulté le 6 juin 2019. <https://www.letemps.ch/opinions/non-lutilisation-profils-adn-dresser-portraitrobot-dun-suspect>.
Sources des images
[a] Atlante / Cesare Lombroso (1897) L’uomo delinquente in rapporto all’antropologia, alla giurisprudenza ed alla psichiatria. – Torino : Fratelli Bocca, Domaine publique, Disponible sur
https://www.flickr.com/photos/fdctsevilla/4157826992/in/photolist-7kpX7h-7kpWp1-7km4uc-7km4nR-7kpY1q-7kpZfN-7kpYzf-7XcXPY-g5UrRW-9a75vr-bxTxr7-bxNLM2-9a78jP-apErm8-9hJhnA-9aTFMg-7kpWYQ-7mRhwN-99W4uw-7mMqdD-9hFcER-9hFbo8-7mMpYn-99WbpJ-7mRhB7-9hFcyc-6c3vZB-9hFaBV-9hJi6U-9hFc28-6c3yMP-7km4kT-7km46M-bjTTf1-9aahSd-9hJhHh-7mMpU2-7mMqcD-6c7FCq-q6cB9a-9hJhs9-7mRhFG-7km4i4-7kpY3G-7kpXhG-g3Xsr8-7kpYwf-7km4Zn-7mRhDq-7kpXd5/ [Consulté le 17/06/2019]