Race et constitution – Quelles modifications ?

Ajouter des termes, supprimer uniquement ou remplacer ?

L’avis des défenseurs de la modification de l’Article 1 de la Constitution diverge sur la manière d’opérer la modification.

Certains prônent l’ajout de termes comme « supposée » ou « prétendue » devant le terme de « race » (proposition de Jean-Luc Mélenchon en 2008). [1] Dominique Baudis (défenseur des droits) considérait cette proposition applicable. [2]

D’autres affirment qu’il est nécessaire de supprimer le terme de « race ». Dans la proposition du 3 juillet 2008, il s’agirait de supprimer uniquement ce terme, sans le remplacer. Cette approche est en revanche considérée comme dangereuse par différent juriste. En effet, selon Ferdinand Mélin-Soucramanien, il faudrait remplacer le terme de « race », « ne pas laisser béant l’espace ainsi créé » afin de montrer que la France s’attache à la protection des droits des individus. [3] Le juriste François Borella considère quant à lui que remplacer le terme est nécessaire « « pour ne laisser aucune ambiguïté sur les raisons de sa suppression » [4].

Enfin, Dominique Baudis (défenseur des droits) explique que dans les traités internationaux qui utilisent le terme de « race » précisent de différentes façons qu’ils rejettent le racisme et les conceptions raciales. Par exemple, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciale de l’ONU de 1965 affirme dans son préambule « Convaincus que toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races est scientifiquement fausse, moralement condamnable et socialement injuste et dangereuse et que rien ne saurait justifier, où que ce soit, la discrimination raciale, ni en théorie ni en pratique ». Une telle démarche pourrait être itérée en France. [2]

… mais remplacer par quoi ?

  • Ethnie ?

La juriste Danièle Lochak se prononce contre l’emploi du terme « ethnie » à la place de celui de « race ». En effet elle considère que soit le terme d’ethnie est un « substitut euphémisé de la race » (ce qui ne permet pas d’apporter une réelle solution), soit « à l’inverse, on donne à ce mot un contenu positif – puisque aussi bien l’existence des ethnies est moins controversée que celle des races ». Cette deuxième signification pourrait être très dangereuse car elle pourrait par là même donner un « fondement objectif » à des distinctions, soit l’opposé de la démarche voulue. [20] Le défenseur des droits Dominique Baudis considère également que le terme « ethnie » possède tout comme le terme de « race » un sens flou et que ce terme renverrait à des catégorisations issues de l’époque coloniale dans le contexte français. [2]

  • Origine ?

En 2013, l’Assemblée Nationale a adopté une proposition de loi visant à remplacer dans la législation le terme de « race » par celui « d’origine ». [6] Cependant, Dominique Baudis (défenseur des droits) considère que ce terme est trop vague et qu’il nécessite souvent une précision : origine sociale ? géographique ? ethnique ? [2] Danièle Lochak considère que remplacer le terme de « race » par celui « d’origine » révèle un inconscient racialiste de la part du législateur qui « associe constamment « couleur » et élément d’extranéité (les immigrés en général et les étrangers en particulier) » [5].

  • Racisme ?

Ferdinand Mélin-Soucramanien considère que remplacer le terme de « race » par « racisme » pourrait être très pertinent car il s’agirait de remplacer une notion en apparence objective par une autre totalement subjective. Il ajoute que cela permettre également d’élargir l’étendue des discriminations interdites par la Constitution. [7]

Même si Dominique Baudis (défenseur des droits) émet des craintes concernant un décalage par rapport aux textes juridiques internationaux, il considère que cette modification serait celle qui générerait le moins de bouleversements d’ordre juridique. [2]


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Bibliographie

[1] De Ravinel, Sophie. « Retrait du mot « race » : quinze années de revendications ». Le Figaro. Publié le 28 juin 2018. Consulté le 3 avril 2019. <http://www.lefigaro.fr/politique/2018/06/27/01002-20180627ARTFIG00295-retrait-du-mot-race-quinze-annees-de-revendications.php>.

[2] Le défenseur des droits. « Avis du défenseur des droits », numéro 13-05. Consulté le 10 mai 2019. <https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_numphp?ex=10517>.

[3] Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Supprimer le mot «race» de la Constitution : oui, mais… » Libération. Publié le 13 juillet 2018, Consulté le 3 avril. <https://www.liberation.fr/debats/2018/07/10/supprimer-le-mot-race-de-la-constitution-oui-mais_1665506>.

[4] Borella, F. « Le mot race dans les Constitutions françaises et étrangères », Mots. Les langages du politique, 33(1), 305‑316., 1992. Consulté le 3 mai 2019. <https://doi.org/10.3406/mots.1992.1761>. 

[5] Lochak, Danièle. » La race : une catégorie juridique ? », Persée, 1992. Consulté le 2 juin 2019. <https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1992_num_33_1_1760>.

[6] Pascal Mbongo. Recueil Dalloz, 2013 p.1288, « Un antiracisme scripturaire : la suppression du mot « race » de la législation ». Consulté le 20 mai 2019. <https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/09.2017/Mbongo.pdf>

[7] Le Pourhiet, Anne-Marie,  Levade, Anne, De Béchillon, Denys, Mathieu, Bertrand, et Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Faut-il actualiser le préambule de la Constitution ? », Constitutions, 2012 p.247.