L’utilisation des catégories ethno-raciales : uniquement par les racistes ?
L’équipe du Centre de Recherche Droit, Sciences et Techniques de l’UMR a mis en lumière un constat intéressant : les catégories ethno-raciales continuent à être utilisées, non seulement par les discours raciaux (qui se servent notamment des dernières découvertes sur la génomique pour « prouver » l’existence de races) ; mais également dans un but de revendications de la part de certaines populations défavorisées. Celles-ci s’appuient sur la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux de l’UNESCO qui affirme « tous les individus et tous les groupes ont le droit d’être différents, de se concevoir et d’être perçus comme tels ». Les revendications prennent alors la forme de médecine ethnique, de politiques de santé publique ciblées… [1] D’après Pascal Mbongo (professeur de droit), il s’agit de la raison pour laquelle la suppression du « mot » race n’intéresse pas les victimes du racisme : elles se sont appropriées ce mot dans leur lutte. Il considère de plus qu’il existe une forme de paternalisme dans la manière dont certains intellectuels considèrent que les victimes se seraient approprié le mot race sans en comprendre le concept, alors que la signification d’un terme évolue. [2]
Néanmoins, certains groupes qui cherchent à défendre des populations défavorisées utilisent des catégories ethno-raciales et se montrent parfois racistes. Par exemple, les indigènes de la Républiques se revendiquent comme un groupe qui vise à défendre toute personne issue de l’immigration et venant d’un pays colonisé par la France dans le passé car ces derniers subissent des différences sociales suite à leurs différences d’origine. Ce parti est considéré comme raciste, notamment suite à l’utilisation de l’expression « Les Blancs, les Juifs et Nous » par Houria Bouteldja porte-parole de ce parti. Selon le politologue Laurent Bouvet, ce parti est défendu par des universitaires car il existe une forme de tolérance concernant le racisme lorsqu’il est utilisé par des victimes en train de lutter pour leur émancipation. [3]
Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR). [a]
La suppression du terme de « race » de la Constitutions : quels effets sur le racisme ?
Certains juristes (Denys de Béchillon Ferdinand Mélin-Soucramanien) et sociologues (dont Pierre-André Taguieff) s’attachent à rappeler que le vrai problème est le développement du racisme, pas l’utilisation du terme de « race ». Ainsi Ferdinand Mélin-Soucramanien affirme que « ce sont les atteintes aux droits fondamentaux qui comptent, non l’usage d’un mot plutôt qu’un autre » dans Les fins de l’anti-racisme (Michalon, 1995))[4, 5]
Certains considèrent que le retrait du terme de « race » de la Constitution n’aura aucun effet dans la lutte contre le racisme. En effet, le racisme peut être ressenti de manière instinctive : « Somme toute, nombre d’individus ont des opinions ou des stéréotypes racistes qui sont articulés, non pas à un théoricisme, mais à quelque chose de prosaïquement répulsif à l’égard de telle ou telle catégorie de personnes. » (Pascal Mbongo, professeur de droit) Il explique qu’il s’agit de la raison pour laquelle il existe des sociétés humaines où ni le terme ni le concept de « race » existe, bien que le racisme soit présent dans de telles sociétés. [2]
D’autres considèrent que le retrait du terme de « race » de la Constitution peut être dangereux. En effet, il risque d’affaiblir la lutte contre le racisme selon le juriste Bertrand Mathieu et le politologue Pierre-André Taguieff. En effet, en focalisant l’attention sur la suppression du terme de « race », les autres facteurs du racisme sont occultés. Le juriste Bertrand Mathieu considère même qu’il y a un risque d’oublier la lutte contre le racisme car « langue de bois et « politiquement correct » sont de précieux atouts pour masquer des réalités. » Selon lui, l’Etat ne doit pas chercher à masquer certaines réalités dérangeantes mais au contraire à pour mission de « civiliser l’Etat de nature ». Enfin, selon Pierre-André Taguieff, si la lutte contre le racisme se résume à la négation des races humaines, cela signifierait que si elles existaient, le racisme serait légitime. [4,6]
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Bibliographie
[1] Canselier, Guillaume, et Desmoulin, Sonia. « Les catégories ethno-raciales à l’ère des biotechnologies », Note de synthèse. Consulté le 5 juin 2019. <http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/view/droit-sciences-races-et-ethnies/>
[2] Pascal Mbongo. Recueil Dalloz, 2013 p.1288, « Un antiracisme scripturaire : la suppression du mot « race » de la législation ». Consulté le 20 mai 2019. <https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/09.2017/Mbongo.pdf>
[3] Passot, Vianney. « Bouvet : “Que des universitaires défendent Houria Bouteldja est un crime contre l’esprit” ». Le Figaro. Publié le 23 juin 2017. Consulté le 29 mars 2019. <http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/06/23/31003-20170623ARTFIG00122-bouvet-que-des-universitaires-defendent-houria-bouteldja-est-un-crime-contre-l-esprit.php>.
[4] Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Supprimer le mot «race» de la Constitution : oui, mais… » Libération. Publié le 13 juillet 2018, Consulté le 3 avril. <https://www.liberation.fr/debats/2018/07/10/supprimer-le-mot-race-de-la-constitution-oui-mais_1665506>.
[5] Le Pourhiet, Anne-Marie, Levade, Anne, De Béchillon, Denys, Mathieu, Bertrand, et Mélin-Soucramanien, Ferdinand. « Faut-il actualiser le préambule de la Constitution ? », Constitutions, 2012 p.247.
[6] Lochak, Danièle. » La race : une catégorie juridique ? », Persée, 1992. Consulté le 2 juin 2019. <https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1992_num_33_1_1760>.
Sources des images
[a] Claude TRUONG-NGOC (2016) Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR). Wikimedia Commons – cc-by-sa-3.0 [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)]. Disponible sur
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Houria_Bouteldja_par_Claude_Truong-Ngoc_avril_2016.jpg [Consulté le 17/06/2019]