La façon dont chacun des acteurs de la controverse définit et défend sa position en recourant aux notions telles que l’équité et l’efficacité est très complexe et variable entre les différents débats que comporte cette controverse.
Néanmoins, il semble possible de distinguer certaines logiques qui sous-tendent l’argumentaire des différents acteurs et qui permettent de comprendre et d’analyser les raisons et les fondements de leurs divergences d’opinion.
Gouvernement et PS : d’accord pour réformer…
La position du gouvernement dans l’ensemble de la controverse trouve son origine et son fondement dans l’analyse des conséquences – prévues grâce aux simulations des experts – de la gestion actuelle du système de retraite. En effet, son but affiché est de lutter contre le déficit présent et surtout à venir du système de retraite dans l’optique de léguer à la génération suivante un système équilibré et stable. En ce sens, il apparaît que l’argumentaire du gouvernement est régi par l’éthique de responsabilité.
Le Parti Socialiste reconnaît également la nécessité d’une réforme du fait des déficits prévus en raison des évolutions démographiques et en particulier de l’allongement de la durée de vie. Il analyse également la situation actuelle en fonction de ses conséquences pour les générations futures et en ce sens sa position relève également d’une éthique de responsabilité.
C’est pour cette raison que les débats entre le gouvernement et le Parti Socialiste portent davantage sur les leviers auxquels il faut recourir pour lutter contre le déficit ainsi qu’à la prise en compte des cas particuliers, tels que la pénibilité ou les carrières longues.
Si le gouvernement et le Parti Socialiste sont d’accord pour réformer, néanmoins leurs positions divergent quant aux modalités de la réforme.
… mais pas de la même façon !
Si effectivement le gouvernement et le Parti Socialiste semblent s’accorder sur une éthique de responsabilité concernant la prise en compte du déficit prévu du système de retraite, néanmoins ils s’opposent sur les modalités de la réforme à mettre en œuvre. Pourtant, tous deux revendiquent une réforme efficace.
En effet, le gouvernement, dans le but de réduire ce déficit, prend en compte une définition de l’efficacité qui s’appuie principalement sur l’efficacité économique. Celle-ci considère uniquement des paramètres quantitatifs tels que le niveau de vie moyen des retraités ainsi que le montant du déficit des caisses de retraites afin d’évaluer si une réforme est efficace.
Par ailleurs, le gouvernement fait également appel à la notion de justice intergénérationnelle pour justifier la réforme. Ainsi, d’après les experts de la démographie tels que Didier Blanchet, si aucune réforme n’est effectuée, la génération qui suit celle du baby boom aura des conditions de vie moins bonne que celle qui la précède (voir justice sociale et justice intergénérationnelle).
Le Parti Socialiste emploie également cette notion d’efficacité mais en lui donnant un sens qui prend en compte également l’équité et la justice sociale. Pour être efficace, une réforme doit être économiquement profitable et socialement juste. Cependant, cette dernière notion n’est pas objectivement quantifiable comme l’efficacité purement économique. C’est pourquoi la position des différents acteurs peut être analysée en fonction de la valeur attribuée à l’efficacité et à l’équité dans l’évaluation des réformes (voir la notion de curseur dans l’interview de Philippe Caïla).
La place de l’éthique de conviction
La position du gouvernement relève également pour une part de l’éthique de conviction. C’est le cas par exemple pour la question de la diminution du niveau des pensions des retraités. En effet, l’opposition du gouvernement à la diminution des pensions des retraités s’appuie sur un argument d’équité et correspond à une éthique de conviction.
Le Parti Socialiste, qui se fonde sur une éthique de responsabilité dans son approche globale de la question de la réforme des retraites, fait aussi appel à une éthique de conviction lorsqu’il s’agit d’évaluer quels leviers doivent être utilisés pour rétablir l’équilibre du système de retraite. C’est notamment en raison d’une telle logique qu’ils défendent la retraite à 60 ans.
Dans ce débat, la position du gouvernement et du Parti Socialiste diffèrent notablement de celle des syndicats, de l’extrême gauche et des altermondialistes.
Syndicats, extrême gauche et altermondialistes : quelle opposition ?
A l’inverse du gouvernement et du Parti Socialiste, les syndicats, les acteurs d’extrême gauche et les altermondialistes semblent s’appuyer davantage sur une éthique de conviction – ce qui ne signifie bien évidemment pas que leur position est dénuée de responsabilité.
Les syndicats par exemple s’attachent à défendre les acquis sociaux, tels que la retraite à 60 ans, qui ne tirent pas leur valeur des conséquences bénéfiques de leur mise en application mais apparaissent comme des causes qui doivent être défendues parce qu’elles possèdent une valeur intrinsèque.
De même, les acteurs d’extrême gauche ainsi que les altermondialistes ne fondent pas leur position sur l’analyse des conséquences prévisibles des mesures qu’ils défendent. Ils constituent au contraire leur argumentation sur des définitions du travail, de la retraite ou encore de la valeur auxquelles ils reconnaissent des valeurs propres.
Néanmoins, les syndicats ainsi que les acteurs de l’extrême gauche et les altermondialistes font également preuve de responsabilité (voir l’interview de Philippe Caïla). Ainsi, les mouvements de contestation n’ont pas été organisés dans un but paralysant.
Philippe Caïla explique : « Dans tous les cas, ce n’est pas éthique de la responsabilité ou éthique de la conviction, on veut tous une pondération, c’est une question de critères, dans la part que l’on donne à l’un et à l’autre. Moi je trouve que d’abord les syndicats ont mis en avant une éthique de la conviction mais en faisant preuve de responsabilité. Ils n’ont pas été jusqu’au-boutistes dans la mobilisation sur les retraites. »
Le résultat des oppositions entre les acteurs de la controverse sur les questions d’équité et d’efficacité est apparu clairement à l’occasion de la réforme de 2010 du système de retraite : pour en savoir plus, voir la page : La réforme de 2010.