Dans la controverse sur les retraites, les acteurs ne s’appuient pas sur les mêmes idées et ils ne font pas appel aux mêmes valeurs lorsqu’ils emploient les termes d’équité ou d’efficacité. Il faut ainsi faire la distinction entre :
- Justice distributive et justice commutative
- Ethique de conviction et éthique de responsabilité
- Justice sociale et justice intergénérationnelle
Justice distributive ou justice commutative ?
Dans les débats autour de la question des retraites et plus généralement tous les débats sociaux, les acteurs font fréquemment appel à la notion de justice. Cependant il apparaît que la justice peut correspondre à différentes définitions ; en particulier il faut distinguer justice distributive et justice commutative (voir l’interview de Didier Blanchet).
La première correspond à l’idée selon laquelle chacun doit recevoir selon son effort : « à chacun selon son mérite » et s’oppose à la seconde qui préconise de donner la même chose à chaque individu : « à chacun selon ses besoins ».
Le fonctionnement général du système des retraites obéit plutôt à une logique « à chacun selon son effort », puisque les pensions versées aux retraités sont proportionnées aux cotisations donc aux salaires qu’ils ont touchés. Néanmoins, comme l’explique Didier Blanchet, le système de retraite par répartition permet également de pratiquer une redistribution selon une logique de justice commutative.
La différence entre éthique de conviction et éthique de responsabilité constitue une autre distinction importante dans le cadre des notions d’équité.
Ethique de conviction ou éthique de responsabilité ?
Lorsqu’il s’agit de faire un choix entre plusieurs politiques différentes, les acteurs de la controverse peuvent recourir à deux formes d’éthique pour guider leur décision (voir l’interview de Philippe Caïla).
D’une part, l’éthique de conviction correspond à l’affirmation de valeurs qui donnent un sens à une action indépendamment des conséquences de cette action. Selon la citation de Kant : « Fais ce que tu dois (ou veux), parce que tu le dois (ou le veux) ». D’autre part, l’éthique de responsabilité interroge les conséquences, les fins et les moyens pour choisir une action en fonction de ses répercussions.
Dans le cadre de la controverse, les acteurs obéissent à une part d’éthique de responsabilité, puisqu’ils conviennent qu’il ne faut pas léguer un système déséquilibré ou inique à la génération suivante. D’autre part, leurs décisions sont également orientées par un certain nombre de valeurs et relèvent donc aussi d’une éthique de conviction.
La position de chacun des acteurs dans le débat s’explique en partie par la valeur qu’ils attribuent à chacune de ces deux éthiques dans leurs choix (voir la notion de « curseur » dans l’interview de Philippe Caïla).
Enfin, il faut distinguer également justice sociale et justice intergénérationnelle.
Justice sociale ou justice intergénérationnelle ?
Lorsqu’ils font appel à la notion de justice, et plus particulièrement lorsqu’ils se situent dans une logique de justice commutative, les acteurs de la controverse peuvent en fait revendiquer deux formes de justice, qui semblent assez proches mais qui conduisent à des positions radicalement contraires sur certains sujets.
En effet, ils peuvent faire appel soit à une notion de justice sociale en réclamant l’égalité des droits et le recours à la solidarité collective, soit à une notion de justice intergénérationnelle, en prônant des décisions politiques qui veillent à ce que chaque génération soit traitée de la même façon. Comme on peut le voir, ces deux notions sont fondées sur une éthique de conviction qui a trait à l’égalité dans la société, soit entre les individus en général, soit entre les générations.
Néanmoins, sur certains sujets ces deux visions de la justice semblent diverger considérablement. C’est le cas pour la controverse sur les retraites et en particulier dans les débats autour de la réforme de 2010.
En effet, le gouvernement préconise de prendre des mesures afin de faire respecter l’équité intergénérationnelle, ce qui le conduit à défendre l’allongement de la durée d’activité, car il y a un risque important que la génération qui suit celle du baby boom ait à faire face à des conditions sociales bien plus difficiles que la génération qui la précède (voir l’interview de Didier Blanchet). Au contraire, les syndicats ainsi que l’extrême gauche et dans une certaine mesure le parti socialiste s’opposent à la réforme et revendiquent la conservation des acquis sociaux, suivant une logique de justice sociale.
Les interactions et oppositions entre équité et efficacité sous leurs différentes acceptions sont complexes : pour en savoir plus, se reporter à la rubrique : Les rapports entre équité et efficacité