Gilles Lanio est un apiculteur breton, membre de l’UNAF. Voici la retranscription de l’entretien que nous avons eu avec lui:
- Elèves
- Apiculteur
- Une première question que j’aurais à vous poser, c’est : « à votre avis, quelle est la part des pesticides dans la mortalité des abeilles ? »
- Pour ma part, moi si vous voulez ca fait 30 ans que je fais de l’apiculture donc j’ai pris note depuis tout ce temps du développement des colonies etcetera, et c’est vrai que depuis les années 95 le comportement des abeilles n’était pas le même mais il y avait des effondrement de colonies d’abeilles déjà. Et mes enfants qui viennent avec moi de temps à autres me disent que les abeilles c’est plus les mêmes, elles bougent plus, elles sont amorphes,elles sont…
- C’est ça. Moi-même j’ai l’impression d’observer ça, d’observer beaucoup plus de guêpes que d’abeilles…
- Oui, oui. Bon, c’est vrai que vous êtes jeunes, vous êtes étudiants, mais moi j’ai bientôt 55, hein, mais je ferais un certain nombre de remarques qui n’est pas sur le monde des abeilles, mais sur le monde des insectes. Je me rappelle, de mon temps, avant, quand on prenait la route sur Rennes, en Bretagne, on faisait un certain nombre de kilomètres, c’était la belle saison. Nous étions obligés de nettoyer notre voiture, parce que les optiques, les pare-brises, étaient criblés d’insectes. Et depuis quelques années, vous pouvez traverser la France à la belle saison, votre voiture est quasiment propre. Le monde des insectes a disparu. Enfin, pas disparu, mais diminué très très sérieusement. Mais que les abeilles, hein ! Alors c’est vrai que par endroits, il y a des invasions de certaines bestioles, d’insectes, mais aussi je pense que c’est lié à un déséquilibre, à un manque de prédateurs, et à un climat favorable qui fait qu’elles se développent à outrance. Pour moi il y a un gros déséquilibre dans le monde des insectes, quoi. Leur comportement est assez anarchique.
- Et cela est dû à… ?
- Alors, dû à quoi ? Euh, je pense pas que ce soit dû au réchauffement climatique ni à toutes ces choses là parce que on parle des ondes magnétiques, des ondes ceci cela, mais moi je connais des abeilles qui sont parties se loger dans des grands pilonnes électriques : haute tension, et moyenne tension.Et visiblement elles vivent pas moins bien que les autres ailleurs, hein. Don j’ai vu un colonies comme ça, à ma grande surprise. Alors j’avais une idée reçue, un peu comme ça, sur ces endroits où ça peut les brouiller, et si vous étiez par là je pourrais vous montrer où elles sont installées, elles se portent bien encore. Elles sont venues d’elles-mêmes dans ces pilonnes-là, hein ! Personne est venu les mettre, là. Elles ont vu un trou dans un grand poteau qu’est creux, et…
- Ok, et au niveau des pesticides, est-ce que vous avez quelques exemples ?
- Ba moi j’ai des exemples qui sont… comment dirai-je euh… difficilement…
- Contestables ?
- Contestable, contestable… oui et non. Moi c’est du constat si vous voulez. J’ai eu de très grosse mortalités ici il y a trois ans. Alors : anéantissement des colonies. J’ai perdu 95 colonies en l’espace de 3, 4 semaines. Les ruches avaient tout plein de provisions etcetera, et il restait qu’une poignée d’abeilles qui mourraient par une belle nuit parce qu’il faisait froid. Mais j’ai découvert par la suite qu’elles se trouvaient dans une zone où ils faisaient des essaient d’insecticides. Et la chose, euh… je soupçonne très très fortement les essais d’insecticides pratiqués dans le secteur où je suis. Ils avaient testé déjà le cruiser avant l’heure dans le secteur où j’étais, sans autorisations, je l’ai découvert après, et c’est vrai qu’à ce moment là j’ai eu un effondrement.
- La coincidence est frappante.
- D’autant plus troublante que j’ai quand même perdu un nombre important de colonies et il y a eu un espèce de veto pour pas faire d’analyses justement.
- De la part de qui ?
- De la part des services vétérinaires. Ca s’appelle la DDP. Pourtant je suis agent sanitaire, je connais les maladies, je connais pas mal de choses sur les abeilles hei, et la je ne m’expliquais pas du tout ce phénomène de desertion des ruches. Elles partainent, mais elles ne revenaient pas à la ruche, quoi. Cela m’intriguait très fortement de voir ça, alors moi ce que j’ai demandé à la DSV (à l’époque) de faire des prélèvement et des analyses. Donc j’ai eu un responsable que je connais très bien qui est venu pour prendre du nectar, du polen, des abeilles et pleins de prélèvements de ce qui était par là. Deux mois après je ne voyais toujours rien venir, je me suis manifesté, on m’a dit « oui, oui on va voir, on va voir », et au bout de plusieurs mois, on m’a annoncé que non, faute de crédit, on n’avait pas fait les analyses. L’année d’après, j’ai eu les mêmes phénomènes encore. J’ai rappelé les services, j’ai demandé, et ils m’ont répondu : « de toute façon on a pas le budget pour le faire, on l’a pas fait et on le fera pas ». C’est donc assez désolant. D’un côté on vous dit « on cherche », et d’un autre côté vous avez quelque chose qui est quand même fort inquiétant au vu des éléments que j’avais entre les mains, et on veux pas les analyser pour des raisons de budget de crise. Et j’ai eu la même chose de la part de la brigade d’intervention de … je ne me rappelle plus le nom… enfin c’est le monsieur abeille nationale, quoi. Et là c’est un peu vache parce qu’il en reste plus qu’un sur le territoire français. Je l’ai contacté, et là pareil, il a refusé de venir ici, et au bout, il m’a dit : « je tiens à garder mon poste ». Donc vous pouvez le considérer comme quelque chose qui n’est pas clair.
- Et vous pensez que le lobby vient de… ?
- Il y a de fortes pressions. J’ai eu un journaliste qui était sur l’affaire et la DRCH (Direction Générale des Cultures et de la Foret) qui est sous les ordres du ministres, a téléphoné plusieurs fois au journaliste en lui disant qu’il fallait pas trop m’écouter… Le journaliste m’a fait part que c’était quand même gros qu’un gars directement sous les ordres du ministre l’appelle, donc là je me suis dit : « il y a quelque chose qui n’est pas clair ».
- Vous pensez que c’est un lobby de la part de l’industrie phyto-sanitaire ?
- Alors, la brigade d’investigation sur les abeilles, elle s’appelle la BLEVP. LE monsieur que je n’ai jamais pu voir mais que j’ai eu au téléphone a plusieurs reprises il avait promis qu’on ne l’avait jamais arrêté parce que c’était une brigade et qu’une brigade on l’arrête pas, mais je sais pas… Il a jeté l’éponge sur la fin… Son téléphone portable c’est le 06 73 ** ** **. Donc oui j’ai tendance a soupçonner très fortement. Si je regarde la géographie de mon cas, je suis dans une zone où il y avait de grosses cultures. La coopérative agricole a bien voulu m’avouer que je suis dans une zone d’essais expérimentaux de pesticides et d’insecticides, donc en théorie je crois que j’ai des raisons fortes avec ça. Depuis, j’ai quand même déplacé mes ruches, je me suis placé dans des zones natura 2000, ou chez un grand agriculeur qui fait du BIO. Désolé, mais depuis j’ai pas constaté de pertes.
- Et vos collègues qui étaient dans des zonnes qui étaient pas susceptibles d’être touchés par ces essais, ont-ils observé les mêmes pertes la même année ?
- Non, non. Pourtant ils étaient dans une zone agricole. Mais ils étaient pas dans une zone où le Cruiser et tout ça étaient choisis. Depuis ils ont certainement pris certaine précautions, ils ont mis des produits pour capter les poussières et tout ça, mais au début ils faisaient rien du tout de ça.
- C’est intéressant, c’est quand même un exemple flagrant de…
- Je l’ai vécu. J’ai pas d’analyse ou de justificatif fort, mais j’ai de très fortes présemptions si vous voulez. Et un élément qui est troublant, c’est que les collègues sur Ouessan, la race noire d’Ouessan, c’est pas une race particulière, c’est l’abeille noire qu’on avait sur le continent, ramené il y a environ 20 ou 25 ans sur Ouessan. C’est donc pas une souche qui date du moyen-âge. C’est un abeille qui y a été ramené, qui n’a pas eu d’autres apports d’abeilles, et qui depuis subsiste sur l’île d’Ouessan. Sur Ouessan, il n’y a pas d’agriculture, et elle se porte très bien. Les reines à Ouessan sont capables de vivre 5 ans, comme elles vivaient avant 1995. Elles pondent bien, tout va pour le mieux
- Alors que les reines actuelles ne vivent pas plus de deux ans, n’est-ce pas ?
- Voire deux ans. Parfois la deuxième année, elle ne donne plus rien. Donc l’abeille d’Ouessan c’est une abeille qui n’a pas été croisée. Parce qu’on nous met souvent en avant les croisements de race, etcetera… Mais le fait est, que l’abeille d’Ouessan vous la ramenez sur le continent, elle subit les mêmes méfait, si ce n’est les mêmes dégâts que les autres abeilles. Vous pouvez ramener toutes les reines d’Ouessan sur le continent et faire tout ce que vous voulez, au bout de deux ans elles ne donnent plus rien. Donc c’est quand même très fort. Vous êtes dans une zone où il y a pas d’agriculture, vous allez dans une zone où il y en a, et voilà quoi. Donc vous parliez de la synergie entre les différents pesticides tout à l’heure…
- Oui ?
- Donc c’est vrai qu’il y a une étude qui existe là-dessus si vous voulez. De mémoire, vous prenez la deltamétrine qui est utilisé dans un insecticide qui est le … enfin c’est un insecticide lourd, quoi. Vous prenez 50 fois la dose inférieure à ce qui est permis. Autrement dit, quasiment rien. Vous mettez ça sur un champ de fleurs. Vous apportez les abeilles rien ne se passe. C’est normal, vous avez quand même mis 50 fois moins de la dose. Vous faites la même chose sur la parcelle à côté de colza ou ce que vous voulez. Vous prenez le Proclora qui est un autre insecticide, moins violent, vous en mettez 10 fois moins que la dose officielle qui est permise, là aussi rien ne se passe. C’est normal. Mais là où les choses se compliquent, enfin montrent l’accumulation, la synergie des choses, c’est quand vous reprenez la deltamétrine à 50 fois moins la dose permise, vous la mettez sur un autre champ, que l’on appellerait un champ C, (A, B puis C par exemple), dans la foulée vous mettez 10 fois moins de procloras que ce qui est permis. Vous mélangez, vous faîtes un épandage d’un, vous repassez dans la foulée et vous faîtes un deuxième épandage d’un autre. Vous amenez des ruches, et là vous constatez à peu près un quart de mortalité sur vos abeilles.
- C’est une étude qui a été faite par qui ?
- C’est une étude qui a été faite. Je pourrais vous donner les coordonnées. Donc maintenant si vous prenez un bidon, vous mettez la deltamétrine a 50 fois moins, le procloran à 10 fois moins, et là vous mettez vos abeilles, vous observez 75 pour cents de mortalité.
- 75 % ?!
- Eh oui ! Et dans nos champs, il y a combien de produits mis ? Des dizaines de produits mis, avec des durées de vie qui vont à plusieurs années. C’est quasiment mêm ingérable pour étudier ça. ET personne ne sait à priori (inaudible). Alors moi j’ai écrit à la DRCH justement, pour savoir les parcelles qui avaient été semées en Colza, Cruiser, (inaudible). On a vraiemtnd e grosses crainte à l’égard du Cruiser, (inaudible). J’ai donc interrogé la DRCH là-dessus. La réponse que j’ai eu par le courrier, c’est qu’à l’heure actuelle, il ne peuvent pas nous dire les parcelles qui ont été semées Colza à l’automne dernier (aout-septembre 2011). Qu’ils sauront peut-être à l’automne 2012, et plus précisément au printemps 2013. Autrement dit, c’est se moquer du monde.
- Alors que c’est facile à savoir.
- Oui, à l’heure de l’informatique… Donc là on a visiblement pas du tout la volonté de nous aider, parce que nous ce que je voulais, c’est que les apiculteurs conscients de leur environnement, mettent ou pas leur ruches, et qu’avec un épandage Colza-Cruiser à côté, à la moindre alerte d’effondrement, soit ils retiraient leur colonie, soit ils prévenaient les services compétents pour dire attention moi j’ai mes abeilles qui commencent à décliner, à proximité je sais que j’ai un champ. Venez-voir, faites des prélèvements, faites quelque chose.L’année dernière j’avais des traitement sur champ de colza a proximité de mes ruches et j’ai constaté une hécatombe a côté de chez moi. Peu de temps après j’ai surpris un traitement de camp de colza en fleurs, j’ai appelé la gendarmerie pour procéder a un contrôle mais ils ont refusé de se déplacer me disant finalement qu’on leur avait clairement ordonné de ne pas s’en occuper. Ils ont reçu des consignes et quelque part les services de l’état ne jouent pas le jeu. Ca n’est pas le tout de chercher simplement dans le cadre d’expérimentations bien délimités il est aussi bien nécessaire de faire l’effort de se déplacer dès qu’une personne comme moi fait état d’un usage de pesticide qui pourrait être dangereux.C’est une des raisons pour lesquelles les apiculteurs sont agacés de ce comportement de cloisonnement de la recherche et des investigations sur le terrain. Bien sûr il n’est pas nécessaire d’inspecter chaque parcelle de terre qui fait l’objet d’un épandage mais dans le cas ou une demande est formulée et qu’elle peut être appuyée par des antécédents de contamination de colonies aux alentours il est nécessaire pour les autorités concernés de se déplacer.
- Dans le cadre de l’ANSES lorsqu’une étude est faite pour savoir si oui ou non un nouveau produit va être agréé et jugé propre a la distribution dans les cultures, est ce qu’ils étudient les effets croisés entre différents pesticides ?
- Assurément non dans la plupart des cas les études sont simplement effectuées dans le cadre du seul pesticide et l’étude des effets croisés n’est pas envisagé comme un risque du point de vue de l’ANSES. Prenez par exemple le GAUCHO, c’est un produit qui a été retiré de la vente par décret du ministère de l’environnement mais il est clair que ce n’est pas le GAUCHO dans sa totalité qui est a l’origine des disparitions d’abeilles. C’est la molécule active présente dans le mélange qui engendre les décès dans les colonies d’abeille. Le GAUCHO c’est un insecticide systémique composé d’un principe actif, l’imidaclopride, et est produit par le groupe industriel Bayer CropScience (Bayer AG). En allant sur le site du ministère de l’agriculture qui est e-phy.agriculture.gouv.fr en cherchant imidaclopride vous tombez sur une liste conséquente de produits encore distribué avec l’aval du gouvernement. Tous ces produits sont biensûr accompagnés de consignes d’utilisation strictes, leur usage est en général réduit à une utilisation tous les un an voir trois ans mais elles sont rarement respectés.En grande majorité c’est trois types de cultures qui sont sujets aux pesticides sont le maïs, les céréales et le colza. Sur les céréales l’utilisation d’imidaclopride est très répandue alors qu’il est prouvé que ce produit est plus de 7000 fois plus toxique que le DTT un autre pesticide interdit dans toute l’Europe depuis 1972. Pour le colza c’est désormais les produits PROTEUS et CRUISER OSR (enrobage des graines) qui détiennent la majorité des parts de marché, 5400 fois plus toxique que le DTT pour ce dernier. Dans les maïs on retrouve les CRUISER là aussi avec les mêmes toxicité estimées. Ces produits sont tous présents sur le marché, se côtoient et même se succèdent sur les plantations. Il est possible que nos sols en soient déjà saturés, d’année en année le traitement étant devenu systématique dans l’agriculture. Monique NOHSTIF, chercheuse à Nantes à mené des recherches qui l’ont amenée à constater que plus de 10 à 15 ans après on retrouve encore des traces de pesticides dans les cires d’abeilles. Il y a clairement une accumulation dans les ruches de produits phytosanitaires au cours des années. Même si certains sont retirés on les retrouve en grande quantité dans les semences encore présentes sur les sites déjà épargnés en surface. Il faut savoir que lorsque je parle de la toxicité des produit les résultats que j’évoque son ceux de l’INRA CNRS et autre. Il est vrai qu’on peut dire plein de choses, inventer plein de choses en tant qu’apiculteur mais j’essaye de me baser le plus possible sur les expériences qui ont été menées et leurs résultats.Les abeilles sont au tant bénéfiques que les engrais et pesticides pour la production agricole, pour le colza autofertile par exemple. Normalement celui-ci n’a plus besoin des polinisateurs pour se développer mais il s’avère qu’en présence de ruches d’abeilles à proximité la production de colza augmente de trente pourcent. C’est trente pourcent de terrain en plus à couvrir si les abeilles disparaissent et certainement un manque à gagner énorme que les agriculteurs ont plus de mal à se représenter comparé à la menace des insectes et maladies qui touchent les plantations. Et ce n’est pas seulement les abeilles qui participent à l’équilibre de l’environnement , la disparition de certains insectes produit aussi un effet néfaste sur l’agriculture. C’est une menace préoccupante pour l’avenir de l’écosystème qui devra peut être se passer de certains insectes à l’avenir.L’Italie du nord par exemple a retiré de la vente les enrobages il y a maintenant quelques années. Depuis des échanges ont lieu entre les différentes associations d’apiculteurs français et italiens. L’équivalent italien du président de l’UNAF a décrit l’évolution des populations des ruches d’abeilles comme étonnante. D’année en année les ruches ont atteint des populations énormes qui sont proches de celles qu’on pouvait voir il y a trente ans dans les ruches françaises. Mais cette interdiction n’est pas le fruit des protestations des apiculteurs, c’est un décret italien qui vise a protéger avant tout la santé humaine. Malgré certaines évidences de ce type les conclusions des unités de recherches sur la disparitions des abeilles restent orientées vers d’autres causes. Les pesticides sont un point clé des mouvements de contestations écologiques mais malheureusement pour les abeilles cela ne se traduit pas au niveau de la recherche. Le varroa est la première hypothèse des scientifiques pour l’instant et cette situation n’est pas prête d’évoluer.