La controverse autour de la disparition des pollinisateurs, dont nous constatons les effets sur les abeilles domestiques, stimulée par des enjeux de taille, prend toute son ampleur avec le problème de l’éventualité d’effets de synergie entre pesticides. C’est une piste qui est méconnue du grand public, seulement évoquée par les experts, et négligée par les entreprises phytosanitaires. Les protocoles de mise sur le marché et les tests effectués sur ces produits ne prennent actuellement pas en compte l’interaction de la substance active avec d’autres pesticides.
Les rares recherches effectuées sur cette thématique (INRA Avignon) n’ont pu étudier la combinaison que d’au plus deux produits. L’expertise se heurte en effet à des limites techniques et financières qui entravent la mise en place de protocoles de test d’éventuels effets cumulatifs. En effet, il est discutable que ce soit l’organisme accusé qui finance les tests qui doivent le discriminer. De plus, l’étude de la surmortalité des abeilles doit composer avec des paramètres spatiaux et éthologiques complexes qui empêchent l’observation exhaustive de la santé d’une colonie. L’aspect multifactoriel du phénomène, qui doit être nuancé en séparant causes primaires et secondaires, apporte encore son lot de complexité.
Quand bien même un expert arriverait-il à trancher, et prouverait qu’un mélange particulier de pesticides est particulièrement dangereux, la question de la responsabilité de la surmortalité des abeilles ne pourrait être imputée à un seul acteur. Des protocoles légaux d’homologation aux pratiques des agriculteurs, en passant par le comportement des agriculteurs, les responsables sont multiples. Doit-on comme en 2011 pour le Cruiser retirer du marché les pesticides dont on ne connaît pas réellement les interactions avec les autres, ou au contraire appliquer un principe de présomption d’innocence ?
La protection de notre environnement, dont les abeilles sont sûrement les meilleurs sentinelles, doit-elle être privilégiée aux 67 milliards d’euros que représente l’agriculture française ? A l’avenir, sera-t-on capable de mettre en place un protocole d’autorisation de mise sur le marché et d’homologation qui prenne en compte les éventuelles interactions entre pesticides, à l’instar des médicaments dans l’industrie pharmaceutique ?
Tiraillé entre son désir de préserver la nature et la nécessité d’en tirer le rendement maximal, l’homme continuera sûrement longtemps à butiner de retraits de mise sur le marché en homologations incertaines.